AATIFA TIMJERDINE, coordinatrice nationale du réseau ANARUZ et présidente de la section Rabat de l’ADFM.
FDM Expliquez-nous pourquoi vous êtes si opposée à ce projet de loi ?
Aatifa Timjerdine : La position des féministes est radicale s’agissant de l’âge légal du mariage, qui ne devrait pas être autorisé avant 18 ans. L’adolescence c’est l’âge de la scolarité, de la formation, de l’épanouissement de la personne, mais certainement pas du mariage ! Ce projet de loi rendant le mariage possible à partir de 16 ans est archaïque et propre aux sociétés qui considèrent la femme comme un objet d’échange au moment du mariage ! Le Maroc, depuis son indépendance, a fait en sorte de poser des limites et des règles de vie à respecter par les Marocains dans les villes et les campagnes, que ce soit en matière d’habitat, de santé ou de scolarité. Or, les traditions qui pèsent sur les épaules des filles qui sont nées dans une famille pauvre et qu’on pousse à se marier pour alléger les frais ne sont plus acceptables. Du côté d’Anfgou ou d’Imilchil, l’Etat a laissé ces filles subir ces traditions avec le consentement de leur famille, des juges, des médecins… Nous défendons les droits humains fondamentaux de ces jeunes filles, leurs droits sociaux et civiques, tels qu’ils sont inscrits dans la constitution.
Mais que proposez-vous comme autre alternative pour lutter contre le mariage des mineurs ?
Car on peut critiquer le PJD sur beaucoup de points, mais ils ont un avantage certain: ils font bouger les choses… Il faut sensibiliser la société, les adouls, les juges et la famille au sujet de la scolarisation des filles. Il faut que le ministère de l’Education nationale prenne ses responsabilités et mette en oeuvre tous les mécanismes et les outils pour permettre aux filles de rester à l’école. Il faut davantage d’internats, de personnel qualifié, d’aides sociales pour les familles. Il faut ensuite pénaliser le travail des enfants car les filles vont travailler en tant que domestiques, et s’exposent ainsi au viol. Il faut absolument qu’une loi protège en particulier les petites bonnes. Il faut empêcher les filles de travailler chez des particuliers car c’est précisément dans ce cas-là qu’elles ne sont absolument pas protégées par la loi, et qu’aucune règle ne régit leur condition.
Cette loi concerne les mineurs en général. Pourquoi la polémique portet- elle exclusivement sur les filles ?
Comme a pu le constater le ministre de la Justice et des Libertés lui-même en citant des statistiques, le mariage des garçons mineurs est très rare. C’est presque une exception alors que pour les filles, c’est une règle ! Les garçons sont moins exposés au mariage avant 18 ans car par tradition, on leur met moins la pression, ils travaillent, et aux yeux de la famille, ils ont très tôt la capacité de décider, contrairement à la fille pour qui la famille choisit. Encore une fois, le facteur socioéconomique s’immisce dans cette question.
Certains pensent que cette proposition de loi du PJD peut être considérée comme une avancée, une transition vers quelque chose de mieux…
Non, il faut supprimer les deux articles du code de la famille qui permettent au juge de faire des exceptions à la règle. Je ne dis pas qu’aucune exception ne doit être possible. Si une fille de 18 ans moins deux mois, issue d’une famille sans contraintes socio économiques souhaite se marier de son plein gré, alors oui, je ne suis pas contre. Mais le mariage pour justifier la mentalité des conservateurs, non !Ça rime à quoi de marier une fille à 16 ans ?Tout ça pour qu’elle divorce un an après avec un enfant sur les bras, qu’elle connaisse la violence et qu’elle rentre dans une spirale terrible qui gâchera sa vie ?
Faut-il changer la loi et ensuite la manière de penser de la société, ou changer la société et puis la loi ?
Il faut changer les lois d’abord ! La loi a une autorité et tout le monde doit lui obéir. En parallèle, il faut ensuite changer les mentalités à force de sensibilisation et grâce à la scolarisation. Dans les campagnes, on a réussi à réguler les naissances de manière à ce qu’elles ne dépassent plus le nombre de trois. Tout le monde évolue. Si on a réussi à faire ça, on peut aussi y arriver pour le travail et le mariage des mineurs.
AMINA MAELAININE, députée PJD.
FDM Pourquoi voulez-vous légaliser le mariage dès l’âge de 16 ans plutôt que d’imposer l’âge de la majorité sans exception possible ?
Amina Maelainine : Dans l’article 19 du Code de la famille, l’âge du mariage est fixé à 18 ans pour tout le monde. On en arrive à l’article 20 qui pose problème car le juge peut autoriser une mineure à se marier avant sa majorité, sur la base d’un avis médical entre autre. La réalité, c’est qu’aujourd’hui, le mariage des mineurs est devenu courant et nous ne pouvons plus parler d’exception car celle-ci est devenue une règle. Pour enrayer ce phénomène, nous proposons donc de maintenir l’âge légal du mariage à 18 ans, mais de limiter les dérogations délivrées par le juge en fixant pour cela un âge minimal à 16 ans. Pourquoi permettre tout de même une exception ? Parce qu’il faut être réaliste et admettre qu’il y aura toujours des cas particuliers. Ce que nous préconisons, c’est de procéder progressivement, car nous sommes conscients que les mariages par la fatiha sont très nombreux et que les interdire brutalement ne résoudrait rien. Il faut aussi procéder étape par étape, car à l’heure actuelle, nous devons encore remettre à jour les registres de l’état civil pour officialiser les mariages par la fatiha, déclarer les enfants nés de ces unions… Deux cas de figures qui entraînent de nombreux problèmes juridiques compliqués à résoudre. Donc, pour le moment, notre souhait est de limiter les dérogations du juge en demandant notamment qu’un médecin puisse attester de la capacité physique de la jeune fille mineure à se marier. Il faudra qu’il puisse attester qu’elle n’est plus une enfant. Ensuite, il faudra que le juge évalue les raisons invoquées pour ce mariage et que le droit de veto du mineur ou d’un tuteur soit pris en compte. Ce qu’on espère à terme, c’est la disparition des mariages des mineurs de moins de 16 ans.
Pour marier une jeune fille de 16 ans, vous dites qu’un médecin devra attester de son aptitude physique au mariage ?
Comment peut-on dire qu’un enfant est apte physiquement au mariage ? Mais cette contrainte imposée au juge figure déjà dans le Code de la famille, nous ne l’avons pas inventée ! Il est évident que pour marier une fille de moins de 18 ans, qui est considérée comme une enfant, il faut une attestation médicale qui prouve son aptitude physique au mariage.
C’est-à-dire ?
Et bien qu’elle est mûre d’un point de vue physique, qu’elle réunit tous les critères pour être une femme. C’est le médecin qui peut dire si la jeune fille peut avoir un rapport sexuel avec son mari, si elle est apte au mariage, aux rapports sexuels, à avoir des enfants.
Mais que faites-vous de la dimension psychologique de celle qui reste un enfant malgré ses “capacités” physiques à être une femme ?
Oui, effectivement, je suis d’accord avec vous, il faut en tenir compte. Mais encore une fois, le mariage des mineurs de moins de 18 ans sur dérogation spéciale est inscrit dans le Code de la famille et approuvé par tout le monde depuis 2004 ! Nous, nous voulons faire bouger les choses en limitant cela à 16 ans. Est-ce une avancée ou une régression ? Pour nous, c’est à coup sûr une avancée !
Mais admettez tout de même qu’à 16 ans, on est encore soumis aux droits de l’enfant…
Ce n’est pas un recul par rapport à ce qui existe législativement en ce moment car aujourd’hui, un juge peut marier une fille de 10 ans ! Mais je suis d’accord avec vous dans le sens où l’aspect psychologique ne doit pas être mis à la trappe… Est-ce que les filles de 16 ans du 21ème siècle sont prêtes à se marier ? Quelles sont leurs aptitudes ? Quelle est leur personnalité ? A quel point sont-elles matures ? Nous devons nous poser toutes ces questions et le débat doit être ouvert à ce sujet. Mais que les choses soient claires: de notre point de vue aussi la place d’une jeune fille de 16 ans est à l’école.
Justement, les féministes dénoncent le risque de déscolarisation des filles…
Les féministes doivent comprendre que le Code de la famille, qui a été approuvé par tous au Parlement en 2004, comportait déjà ces exceptions dans la loi sur le mariage. On fait un pas en avant et elles nous tombent dessus. Mais quelles sont les autres propositions à négocier à ce sujet ? Le fait est qu’on a le choix entre garder la loi telle qu’elle est, et faire un pas en avant ; ce qu’on essaie de faire, en limitant la marge du juge. Je ne vois pas pourquoi les féministes s’opposent à toutes les avancées qu’on veut faire !
Et que répondez-vous à celles qui comparent la légalisation du mariage des mineurs à de la pédophilie autorisée ?
Quoi ? Mais non ! Cette loi sur le mariage existe tout de même ! Et quel rapport entre la pédophilie et ce que nous proposons ? On ne légalise pas la pédophilie à travers cette loi ! Mais à vrai dire, la pédophilie existe à travers cette loi sur le mariage que tout le monde approuvait jusqu’à présent, et qui permet de marier des fillettes de moins de 16 ans ! Nous, on pose des limites ! Si on doit aborder le sujet de la pédophilie et bien allons-y. Il n’y a qu’à aller en boîte de nuit dans les villes pour la voir à l’oeuvre, sur les boulevards, sur le Web, et lire ces articles qui classent le Maroc comme destination sexuelle privilégiée des pédophiles ! Parlons de la pédophilie, mais dans le cadre d’un débat national et pas seulement dans le cadre du mariage.
Vous ne trouvez pas que ce projet de loi sonne comme un désaveu pour le corps magistral, sa capacité à juger du bienfondé d’une situation? Vous ne leur faites pas confiance ?
Les juges en charge de la famille doivent être formés et sensibilisés sur cette question pour être à la hauteur et mieux comprendre les lois pour bien les appliquer. Leur formation est nécessaire aussi car certains peuvent encourager ces mariages de mineurs en n’y voyant aucun mal. Mais ce n’est pas qu’on ne leur fait pas confiance, on veut juste poser des limites à une loi…