Niklas Kebbon : “L’égalité relève de la responsabilité partagée entre les pères et les mères” (Interview)

La Suède compte parmi les pays les plus avancés en matière d’égalité des sexes. Aujourd’hui, il est tout à fait admis qu’un papa reste à la maison pour s’occuper du bébé pendant que la maman reprend son travail après la maternité. Pour nous parler des effets d’une telle politique familiale, nous avons rencontré Niklas Kebbon, Ambassadeur de Suède au Maroc, au lendemain d’une conférence internationale qui s’est tenue à Rabat sur le sujet du rôle du père dans la famille.

Quels bénéfices reconnaît-on à une politique familiale qui donne au père et à la mère les mêmes droits et les mêmes devoirs vis-à-vis de la famille et des enfants, comme c’est le cas en Suède, par exemple ?
Il y a des intérêts évidents à encourager la responsabilité partagée. D’abord des intérêts économiques. Prenons le cas de mon pays. La Suède a instauré le congé parental en 1974, au moment où nous étions dans une situation économique qui exigeait plus de main d’œuvre. Il y avait certes à l’époque une immigration ouvrière nécessaire pour notre industrie et pour la croissance de notre économie, mais ce n’était pas suffisant. Il fallait aussi que la femme participe au marché du tra- vail. Donc si à la base cette démarche a été adoptée pour des raisons économiques, elle a par ailleurs contribué sensiblement à réduire les inégalités homme/femme dans la société : si les deux parents partagent la responsabilité des tâches domestiques et de l’éducation des enfants, cela permet aux femmes de travailler et d’être économiquement indépendantes.
Ce que je trouve très important aussi, parce que je suis un père également et que j’ai eu la chance de profiter de ce système trois fois, même en tant que diplomate en poste à l’étranger –j’ai pu prendre entre 4 et 6 mois de congé parental- c’est le fait de pouvoir établir une relation de grande qua- lité avec mes enfants. En outre, je ne serai pas heureux si ma femme est frustrée parce qu’elle passe tout son temps dans les tâches domestiques. Pour moi, une vraie masculinité, c’est prendre ses responsabilités, protéger sa femme et ne pas la laisser faire tout le travail domestique toute seule. J’avoue que ma femme continue de s’occuper plus que moi des enfants, mais je suis toujours disposé à le faire, notamment quand elle s’absente. Je sais que je peux m’occuper de mes enfants parce que j’ai appris à le faire. C’est un point qu’il ne faut pas sous estimer, à mon sens.

C’est donc une loi qui a des avantages à tous points de vue et qui se révèle, en outre, comme un mécanisme important dans la lutte contre les inégalités homme/femme, n’est ce pas ?
Oui et nous avons quelquefois tendance à l’oublier. On peut, par des mesures institutionnelles et des décisions stratégiques, garantir aux femmes l’accès au marché du travail ou à tout autre service, mais si l’homme n’assume pas sa part de responsabilité dans le foyer, c’est-à-dire en participant aux tâches domestiques au même titre que la femme, et aussi dans l’éducation des enfants, celle-ci ne pourra pas évoluer dans sa carrière et n’aura pas le temps ni les mêmes opportunités. Elle sera par conséquent privée d’une partie de ses droits. L’égalité relève de la responsabilité partagée. C’est une évidence et c’est pour cette raison que c’est très important de discuter du rôle de l’homme dans la lutte pour l’égalité.

Y a-t-il d’autres effets de la politique familiale en Suède et notamment le congé parental, que l’impact sur l’économie et sur l’égalité des chances entre les hommes et les femmes ?
Oui il y en a. Il n’y a pas que les conséquences sur l’économie. Vous savez, il est reconnu partout que les pères ont une influence importante sur leurs enfants. Une politique qui encourage les pères à assumer leur part de responsabilité dans la famille a, par conséquent, le mérite de favoriser une relation épanouie et équilibrée, entre les parents et les enfants et agit donc sur le développement psycho-affectif de ces derniers. Les liens se tissent entre les parents et l’enfant, quand il est encore tout petit. Donc un père qui ne n’occupera pas de son enfant très tôt, dès la naissance, manque l’occasion de développer des compétences relationnelles importantes.

En dépit des lois en faveur d’une responsabilité équilibrée entre le père et la mère dans la famille, aucun pays au monde n’est proche de l’égalité en matière de partage des tâches. Est-ce si difficile ?
Difficile, je ne sais pas. Je suppose qu’il y a encore, partout dans le monde, des attitudes conservatrices qui ralentissent l’évolution vers l’égalité. Et j’avoue que je ne comprends pas, parce que les arguments économiques à eux seuls sont tellement évidents que j’ai du mal à expliquer cette situation. Il faut savoir qu’il s’agit d’égalité et de justice sociale. Nous ne pouvons pas exclure la moitié de la population. Il faut donc continuer de se battre, se battre contre les injustices et sensibiliser à l’importance d’une répartition égale des tâches dans la fa- mille, notamment les jeunes. Les attitudes, ce n’est pas quelque chose de constant, elles finiront bien par changer.

Ne pensez-vous pas qu’instaurer des mécanismes, comme le congé parental a un coût qui peut être contraignant pour certains pays ?
Il est vrai que ces congés parentaux ont un coût, mais ces coûts sont partagés car, indirectement, ils sont pris en charge par la fiscalité. En Suède par exemple, cela représente 4% du budget de l’Etat. Mais ce coût est repayé par les bénéfices économiques de la politique familiale. Il n’est pas nécessaire d’accorder des congés longs dans un premier temps, je pense qu’on peut commencer petit à petit. Vous savez, on parle au Maroc du dividende démographique, il faut que ce dividende devienne un atout et pour cela je pense qu’il faut élargir l’accès au marché du travail à plus de femmes. Cela implique que les hommes participent davantage aux tâches domestiques et à l’éducation des enfants.

Compte tenu de l’expérience de votre pays en la matière, si vous deviez partager des pistes pour la mise en place d’un système qui encouragerait le partage des responsabilités dans la famille, par quoi commenceriez-vous ?
Par le congé parental sans que cela soit, comme je le disais, aussi long dans un premier temps pour réduire les coûts et j’ajouterais aussi une politique de développement des infrastructures de garde d’enfants, comme les crèches par exemple, qui seraient par les tarifs qu’elles pratiquent accessibles au plus grand nombre. En Suède, on ne dépasse pas une certaine somme plafonnée. Je pense qu’il faut mener une réflexion au niveau national pour trouver les formules les plus adaptées. Il n’est pas question de dupliquer des modèles, parce que chaque pays a ses contraintes et ses spécificités. Je suis au Maroc depuis un an seulement et j’ai constaté qu’il y avait déjà une réflexion en cours au niveau du gouvernement pour augmenter les chances pour les femmes sur le marché du travail et que la société ci- vile est également très active notamment sur le sujet de l’égalité homme/femme. Nous sommes disposés à partager nos expériences si cela peut aider, car l’égalité homme/femme est un élément central dans notre politique étrangère, une politique résolument féministe. Il faut encourager le changement qui vise à réduire les inégalités.

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