Nés hors mariage, quelle protection pour les enfants ?

Exclus sur le plan social, relationnel et institutionnel, les enfants “nés sous X” portent en eux des blessures indélébiles. Si certains s’en sortent grâce à une force inouïe, une main tendue, d’autres en revanche s’engouffrent, sans jamais voir le bout du tunnel. En quoi les enfants nés hors des liens du mariage sont-ils différents des autres ? Pourquoi ne jouissent-ils pas des mêmes droits ? Zoom avant.

Dans un contexte socio-culturel hostile aux mères célibataires, ce sont les enfants qui trinquent. Nés hors de l’institution du mariage, ils sont considérés par la société d’“illégitimes”, “fils du hram”, une étiquette d’une cruauté telle que les stigmates sont durs à effacer. Aux yeux de la loi, ils sont “les enfants de la débauche : zina”, ce qui les prive de jouir de leurs droits. Si le Code de la famille représente une grande avancée et permet à de nombreux enfants nés hors mariage de recouvrer la filiation à leur père biologique, certaines dispositions demeurent défavorables à leur égard. Selon les estimations des associations qui travaillent sur le terrain, environ 150 femmes accouchent clandestinement chaque jour, dont 24 sur Casablanca et près de 40.000 enfants naissent chaque année d’une relation extraconjugale, dont 6 000 sont abandonnés. 500 bébés sont retrouvés morts dans les rues de la métropole et 300 à Marrakech. “Des chiffres qu’il faut considérer avec précaution, d’abord parce qu’ils doivent être réactualisés. Les deux études réalisées (par INSAF et l’UNICEF) datent de 2009 et 2011. De plus, on ne dispose pas de statistiques officielles”, tient à préciser Hafida El Baz, directrice de Solidarité Féminine. Elle estime toutefois que les choses ont beaucoup évolué. “Le tableau n’est peut-être pas aussi noir”, nuance-t-elle.

En effet, la situation est loin d’être ce qu’elle était quand Solidaité féminine a débuté son action, il y a de cela 35 ans. “Aujourd’hui, beaucoup de familles soutiennent leurs filles. Tout comme certains hommes reconnaissent de manière spontanée leur enfant. Ce qui n’était pas le cas, quand je suis arrivée à Solidarité féminine en 2003”, explique Mme El Baz. Cela dénote d’une évolution des mentalités. Un changement dû en partie à l’action des associations qui soutiennent la cause des mères célibataires. “Notre premier objectif est de convaincre les mamans de ne pas abandonner leur bébé”, n’a cessé de rappeler, à plusieurs occasions, Aïcha Ech-Chenna, fondatrice de Solidarité féminine.

Changement des mentalités

“Quand elles sont accompagnées par l’association, les mères célibataires ne rencontrent en principe pas beaucoup de difficultés pour inscrire leur bébé sur le registre de l’état civil, mais il n’est pas exclu de rencontrer quelques couacs, pour certains cas”, explique Mme El Baz.

En effet, la circulaire du ministère de l’Intérieur du mois d’octobre 2019, visant à simplifier la procédure de reconnaissance parentale en vue d’une inscription à l’état civil pour les enfants nés hors mariage, est une aubaine pour ces enfants et leurs mamans. Elle permet au père de reconnaître sa paternité sans passer par la procédure du tribunal, à condition de ne pas dépasser un mois après la naissance.

Aussi, quand les filles sont assez averties pour aller vers les associations, elles bénéficient du soutien nécessaire pour faire valoir leur droit et celui de leur enfant, mais ce n’est pas acquis d’avance.

Nombreuses sont celles qui optent pour l’abandon, pour de multiples raisons. Quand il s’agit d’un abandon juridique à travers une procédure légale et un jugement, l’enfant est placé par la suite dans un orphelinat ou chez une famille adoptive. Hélas, ce n’est pas toujours le cas, certaines filles obnubilées par la peur et la honte, optent pour la solution la plus radicale : la rue. En octobre dernier, le cas du bébé dévoré par les chiens, alors qu’il était dans une poubelle, témoigne d’une triste réalité qui nous interpelle tous. C’est ce qui motive entre autres la revendication de l’avortement. La sensibilisation au même titre que l’éducation sexuelle sont impératives. “Il est important que les artistes se mobilisent afin de mettre en lumière les sujets sociaux les plus épineux afin de contribuer à une véritable prise de conscience et un réel changement des mentalités”, avait déclaré pour sa part Meriem Touzani réalisatrice, qui aborde avec beaucoup de tact le problème des enfants conçus hors du mariage, dans son film Adam.

Risque de prison

En France, une femme enceinte peut accoucher anonymement, c’est-à-dire sous X, dans un établissement public ou privé. Tandis qu’au Maroc, le contexte socioculturel étant différent, nombreuses sont les futures mères célibataires qui évitent d’accoucher dans un milieu hospitalier de crainte qu’elles ne soient poursuivies pour débauche. Elles encourent jusqu’à un an de prison, selon l’article 490 du code pénal. Ce qui pousse certaines à accoucher dans des conditions d’insalubrité, au risque d’y laisser leur peau ou celle de leur bébé. Ce dernier est souvent abandonné, le jour même ou quelques jours après l’accouchement. Celles qui ont le courage de garder leur bébé bon gré mal gré, doivent mener un long et épineux chemin.

Nonobstant le soutien des associations, le combat est tellement rude car le plus difficile pour ces femmes et leurs enfants, c’est le regard de la société. La stigmatisation vient se greffer aux difficultés administratives, financières et familiales. “La société discrimine et pénalise lourdement ces enfants”, rappelle Nawal Khamlichi, pédopsychiatre, lors d’une rencontre débat organisée à l’initiative du Comité Parité et Diversité de 2M en novembre dernier.

Selon la praticienne, il est impératif de prendre en charge ces enfants dès le plus jeune âge. L’objectif étant de leur apporter l’aide nécessaire en vue d’accepter la situation et aller de l’avant. Vulnérables, les enfants “naturels” rencontrent souvent des difficultés, qu’ils peuvent dépasser s’ils ont le soutien nécessaire pour se construire. Le manque peut créer une force étonnante, selon Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et auteur français. “D’où est-ce que je viens ? À qui je ressemble, quelles sont mes origines, pourquoi était-je abandonné ?”,… sont autant de questions que ces enfants se posent tôt ou tard.

Avancées et lacunes

L’article 16 de la loi 37-99 du code civil (dahir 1-02-239 de novembre 2002) relatif à l’inscription à l’état civil, avec la circulaire de 2012 permet aux mères célibataires de donner à leur enfant leur matronyme, si elles le souhaitent ou un nom fictif de leur choix. “C’est un grand pas en avant. On est loin du petit trait qu’on mettait à la place du nom du père, auparavant”, souligne Aicha Ech-Chenna.

À défaut d’une filiation paternelle, ces enfants portent le stigmate de la honte tout au long de leur existence. “Et même quand on dépasse cela, la plaie n’est jamais tout à fait fermée”, confie Mustapha, aujourd’hui enseignant. “Une blessure précoce ou un grave choc émotionnel laisse une trace cérébrale et affective qui demeure enfouie sous la reprise du développement”, explique Boris Cylurink.

Test ADN, pas systématique

Le Code de la Famille permet d’établir la filiation paternelle (articles 145, 152, 158), grâce à un test ADN, à condition que la femme prouve que sa grossesse est le résultat de rapports sexuels “douteux” (choubha) qui ont eu lieu durant la période des fiançailles. Donc, faute de fiançailles, de témoins, de fête, de photos, etc., cette grossesse entre dans le cadre d’une relation “de débauche : zina”. Et par conséquent, certains magistrats ne jugent pas nécessaire d’ordonner une expertise scientifique. Ce qui pose un réel problème. Outre la question de la filiation, ce sont tous les droits y afférents dont le bébé est privé. Aussi, et à défaut de reconnaissance paternelle, l’enfant ne pourra pas jouir de ses droits les plus élémentaires. Pas de pension alimentaire, pas de sécurité sociale, pas d’héritage … Le sort de l’enfant, censé avoir les mêmes droits que ses pairs dépend alors du bon vouloir du juge ou de l’interprétation des textes. C’est une précarité matérielle et affective dont il hérite, à peine venu au monde. L’État n’a t-il pas le devoir de garantir les mêmes droits à tous, comme il est stipulé dans la Constitution ? “Il appartient à l’Etat de prendre les mesures nécessaires en vue d’assurer la protection des enfants, de garantir et préserver leurs droits conformément à la loi.”

Deux catégories d’enfants

Qu’en est-il de l’égalité des chances, de l’égalité des genres évoqués dans la Constitution ? Que fait-on des droits humains, des droits de l’Enfant, et de toutes les Conventions ratifiées par le Maroc ?  Quand le tribunal déboute la requête de la mère, le père biologique n’est redevable d’aucune obligation envers cet enfant, son enfant. Mais quand la mère biologique fait le choix de garder son enfant, elle doit assumer toutes les responsabilités sociales, familiales, économiques, et affectives pour son bébé.

Les chiffres du rapport de l’Agence de développement espagnole, avec le concours du Collectif pour le Droit de l’Enfant à la Protection Familiale (CDEPF) atteste d’une croissance exponentielle des familles monoparentales dont la femme est seule à subvenir aux besoins de ses enfants. C’est dire que les “mâles” peuvent engrosser comme bon leur semble sans jamais être inquiétés. À partir de là, on comprend que certaines dispositions de l’actuelle mouture du Code de la famille devraient être revues, pour le bien de ces enfants et de la société. Les lois marocaines pourraient ainsi être en conformité avec les normes et conventions internationales qui consacrent le principe de l’égalité. 

Camélia Zakaria : “Savoir qui on est et d’où on vient est un besoin universel”

Psychologue clinicienne et psychothérapeute, elle est spécialisée en thérapies cognitivo-comportementales.

Quel est l’impact psychique ou psychologique sur ces enfants qui ne connaissent pas leurs origines ?

Tout être humain à un moment de sa vie, questionne ses origines et son existence sur terre. Savoir qui on est et d’où on vient est donc un besoin universel. La curiosité que suscite cette notion fondamentale qu’est celle des origines est inhérente à l’espèce humaine et englobe son lot de fantasmes, d’attentes, de projections d’avenir. La mère biologique laissant très peu d’informations dans le dossier de l’enfant né sous X, ce dernier se retrouve dans l’incapacité de se représenter en tant qu’individu porteur d’une histoire, d’un patrimoine génétique permettant la filiation biologique et la construction identitaire : “à qui je ressemble, pourquoi m’a-t-on abandonné, ai-je des frères et sœurs ? Mes parents sont-ils en vie ? etc.” Face à cette inconnue existentielle, l’impact est plus ou moins important d’un individu à un autre : crise identitaire, difficultés à nouer ou entretenir des relations, dépendance affective, distance ou froideur émotionnelle, etc.

Et en quoi cela est-il important dans la construction de la personnalité de tout un chacun ?

L’enfant se construit par identification à ses parents, aux membres de la famille et aux codes sociaux de “sa tribu”. Nous sommes ainsi dépendants d’une généalogie et d’une culture qui nous inscrivent dans une filiation et permettent notre développement.

Dans la construction de notre personnalité, nous avons besoin d’être reconnus comme l’enfant d’un parent et de reconnaître notre parent comme le nôtre, d’être reconnus en même temps dans notre lignée. La personnalité puise ses sources dans un discours et un regard que d’autres portent sur nous ; des parents valorisants, brimants, présents ou absents ont à un impact différent sur notre construction identitaire. L’absence de repères à laquelle est confronté l’enfant né sous X  n’est donc pas favorable pour l’édification de la personnalité sur des bases sécurisantes et étayantes. L’enfant se retrouve contraint de s’identifier aux personnes de son entourage, parents adoptifs s’il a la chance d’en avoir, amis, professeurs, tout en faisant face à son histoire.

Est-ce que vous avez déjà été confrontée à de tels cas dans l’exercice de votre métier ? Jusqu’à quel point cette personne (enfant ou adulte) était affectée par cette situation ?

Il n’est pas rare de voir des personnes abandonnées venir en thérapie. Les raisons peuvent être multiples : dépression, carences affectives, déséquilibres dans la construction de la personnalité, quête de sens, addictions, etc. L’impact, encore une fois, diffère d’une personne à une autre. Toute personne ayant été abandonnée à la naissance n’est pas forcément en demande thérapeutique, heureusement ! Il y a aussi de belles rencontres qui permettent à ces enfants ou adultes de trouver leur place dans leur monde intra et interpersonnel et d’aspirer au bonheur.

Et que recommanderiez-vous aux familles adoptives ?

Il est nécessaire de parler de l’adoption à l’enfant. Par expérience, il n’est jamais bon de lui cacher sa propre vérité. L’histoire de la naissance de l’enfant vient se greffer à l’histoire de son adoption racontée par les parents adoptifs.  Ce genre de “secret familial” finit toujours par transpirer et le savoir d’une manière ou d’une autre jette l’enfant dans l’incompréhension la plus totale et le choc. Lui cacher les deux histoires, qu’il a été placé ou abandonné et par la suite adopté reviendrait à lui faire endurer une double peine, celle du rejet et de la trahison.

Il n’est pas rare que l’enfant adopté veuille retrouver ses parents biologiques,  ces derniers sont souvent idéalisés et “tout-puissants”, pouvant résoudre tous les problèmes. Ceci perturbe souvent les parents adoptifs qui ont appris à créer un lien affectif avec cet enfant et qui voient cela comme un danger ou un rejet de la part de leur enfant. Il est nécessaire de garder le dialogue ouvert surtout à l’adolescence et ne pas aller vers une rupture de communication. La quête de sens sur sa propre existence est nécessaire et parfois déroutante tant pour les parents que pour les enfants, il est nécessaire de s’armer de patience et de bienveillance tout en n’hésitant pas à aller consulter des spécialistes qui peuvent accompagner dans cette démarche. 

Par Leila OUAZRY

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