Livre-événement, en partie autobiographique où l’héroïne lève le voile sur sa sexualité dans le Maroc des années 70, “L’amande” ne laisse pas insensible, d’autant plus qu’il est difficile de ne pas se heurter au choc des corps. Son principal atout ? Celle qui se délie et s’effeuille sous l’œil du lecteur appartient au sexe féminin. Immense succès en France et à l’étranger, les droits de cession se sont élevés à plus de 550.000 euros !
Et le récit intime de cette Marocaine a, depuis, fait des émules : on ne compte plus les romans d’inspiration érotique qui ont fleuri sur la scène littéraire, dont les auteures féminines sont issues du Maghreb et du Machrek. Nedjma continue à susciter la curiosité et à alimenter les rumeurs. Elle persiste et signe avec “La traversée des sens”, publié le 5 mars dernier aux éditions Plon. Ce conte érotique est l’histoire de Leïla, répudiée le jour de ses noces pour “vice d’hymen”, son mari n’étant pas parvenu à la pénétrer. Adolescente, elle aurait été soumise au tqaf, une pratique de sorcellerie à laquelle les mères recourent pour que leurs filles restent vierges jusqu’au mariage. L’auteur a accepté de répondre à distance à nos questions lors d’un dévoilement furtif. Interview paravent, bien dans l’esprit de Nedjma…
Pourquoi êtes-vous venue à l’écriture ?
A force de lire et d’observer. Par envie de dire, de m’amuser, de damner le pion aux hommes en général, en particulier aux Arabes. Aux plus frileux d’entre eux sur les questions du sexe.
Etait-ce pour renouer avec la tradition érotique arabe ?
Je ne me suis pas dit qu’il fallait réhabiliter le genre, ouvrir une boutique pour articles tombés en désuétude. Je sais que la littérature arabe érotique était des plus belles et des plus libres et qu’en empruntant ce registre, je marchais sur les traces de mes aïeuls afin de faire à nouveau entendre leur voix pour dire la grandeur d’une culture qui n’a pas frappé le sexe d’interdits, qui n’a pas rendu le plaisir tributaire de la procréation, qui n’a pas hésité à en décrire les techniques les plus jouissives. Et puis l’érotisme échappe aux codes et ne cesse d’être inventif, il ouvre à l’amour de l’Homme, il n’a jamais prêché de tuer personne. Il déverrouille les consciences et pourrait être un vrai programme idéologique pour faire tomber les dictatures de l’esprit !
Dans quelles conditions écrivez-vous ?
Entre le fourneau, le boulot et l’ordi.
Que vous a inspiré le succès de “L’amande” ?
L’anonymat m’a évité la grosse tête et le sentiment d’autosatisfaction. Je n’ai pas eu de plus, à gérer mon image. J’ai surtout réalisé à quel point la sexualité intéresse. Celle des Arabes, encore plus. Réputée voilée d’interdits, elle est en fait un objet de fascination. Pourquoi pas ? Les réactions étaient différentes : de la fatwa à l’éloge le plus dithyrambique. J’ai lu, écouté et je m’en suis amusée. Je vous surprendrai peut-être un jour avec un roman sérieux et romantique, tout est possible pour l’auteur libre que j’entends rester.
Pourquoi le choix du pseudonyme Nedjma ?
Il fait référence à la femme fatale, à Kateb Yacine. A toutes les Nedjma anonymes en terre arabe et musulmane.
Votre nouveau conte érotique, “La traversée des sens”, évoque la pratique du tqaf…
L’actualité française faisant débat autour de la virginité et des pratiques maghrébines m’a amenée au thème de la virginité. Cette membrane a toujours été au centre des rapports homme-femme dans ma culture ; elle représente un symbole de paix sociale, pouvant en dire plus sur nos sociétés qu’un tract politique ou un prêche religieux. C’est en brisant les tabous liés au sexe que nous libèrerons nos sociétés. Un livre érotique peut fissurer le carcan de l’obscurantisme et de la tyrannie davantage qu’un manifeste d’idéologie.
Le monde arabe ne peut évoquer ni la politique, ni la religion, ni la sexualité. Néanmoins, de nombreux artistes ont dépassé l’autocensure et tentent d’abolir les préjugés inscrits dans l’inconscient collectif de leurs contemporains. Est-ce également votre démarche au sujet de la pratique du tqaf dans “La traversée des sens” ?
Alors que les autres peuples sont paniqués par l’adultère ou la pureté, les nôtres tremblent de voir leurs vierges déflorées ! Chacun son enfer. Chez nous, c’est un interdit suprême, un objet de toutes sortes de phobies, mais aussi de rêves et de fantasmes. Et pourtant, il ne s’agit que d’une membrane. A partir de cette contradiction entre l’insignifiance de ce morceau de peau et la démesure de son impact sur des sociétés entières, j’ai, bien sûr, trouvé à me moquer des miens.
Comment est née l’idée de ce conte érotique ?
En écoutant l’une de mes tantes parler de l’hymen ensorcelé de sa fille. Je ne voyais pas cette histoire autrement que sous la forme d’un conte, elle en rappelait les principaux ressorts : la magie, la formule des dés d’ensorcellement, la nécessité de recourir à un personnage clé, la quête par monts et vallées…
Que nous apprennent Leïla, vierge docile et Zobida, femme d’âge mûr, qui a été comme Leïla aux prises avec l’obscurantisme dans sa jeunesse ?
La bêtise des hommes et leur combat autour du corps de la femme, qu’ils voudraient en vain enfermer et soumettre à leur loi : leurs parades viriles et leurs politiques répressives qui s’attachent sans cesse à la peur de la sexualité féminine. La ruse des femmes qui, lorsqu’elle opère, déjoue les pièges et témoigne ainsi de la naïveté masculine. Enfin, l’importance de connaître son corps, de l’aimer, et de l’offrir en tout consentement.
Le destin de Leïla est-il celui d’autres femmes du Machrek et du Maghreb ?
La pratique est courante dans nos villages arabes mais elle existe également sous les cieux français. On assiste actuellement à une revalorisation de l’hymen – retour du voile et de la tradition – et à une vague de réfection des membranes auxquelles les Américaines ont aujourd’hui recours grâce à la chirurgie esthétique. Et, dernièrement, l’annonce sur le Net d’une jeune occidentale vendant son hymen au plus offrant… La virginité est au cœur de l’actualité et la cote de l’hymen est à la hausse, même en temps de crise !
Votre écriture est très crue. Pourtant vous associez les passions de la sexualité et de l’amour…
J’ai toujours lié le sexe au sentiment. Il ne faut pas confondre un certain érotisme prisé par les romans occidentaux, souvent débarrassé d’éthique, fondé sur la mécanique, la posture et le plaisir absolu, avec le mien, fondé sur le sentiment, le désir de vie et la beauté de la manière.