« My Land », une terre pour deux peuples

En plein tournage de son dernier film, "Les étoiles de Sidi Moumen", Nabil Ayouch ouvre une parenthèse pour s'évader avec nous le temps d'une interview et retourner sur ses pas, ceux qui l'ont conduit il y a quelque temps en Israël et dans les camps de réfugiés palestiniens dans le Liban-Sud. Fruit de ce périple, un documentaire exceptionnel et plusieurs fois primé, "My Land", sera dans nos salles en février.

FDM : Vous êtes né d’une mère juive tunisienne et d’un père marocain musulman. Au-delà de votre histoire personnelle, comment l’idée de réaliser ce documentaire vous est-elle venue ?

Nabil Ayouch : Pendant très longtemps, j’ai refusé de mettre les pieds en Israël car le seul prisme que j’avais était celui de l’actualité et mes convictions politiques me menaient à boycotter ce pays. Un jour, j’ai fait la rencontre d’une jeune femme, Yael Perlov, qui a réussi à me faire venir en acceptant les conditions drastiques que je posais, parmi lesquelles figurait celle de montrer “Ali Zaoua” d’abord en territoire occupé, et de ne pas être contrôlé par les agents des douanes. J’ai découvert des gens incroyables, rencontré des êtres humains avec des convictions différentes, des Israéliens qui se battent pour de vrai pour la fin de l’occupation, pour le droit des Palestiniens… J’ai découvert que les points de vue étaient aussi multiples que le nombre d’individus vivant dans cette région, et ça m’a donné envie d’aborder cela sous un axe avant tout humain, plutôt que biographique, politique ou géopolitique.

Avez-vous rencontré des difficultés particulières pour tourner ce documentaire ?

Oui, du côté des Israéliens, je me suis heurté à une grosse méfiance. Ils avaient du mal à m’identifier, à comprendre pourquoi je voulais faire ce film ; à plus forte raison parce que je pense qu’ils éprouvent un sentiment de culpabilité très fort. Puis, j’ai aussi connu des difficultés au Liban, dans les camps de réfugiés palestiniens. Ce sont vraiment des états dans l’Etat, et le Liban est en plus un pays où la censure est très forte. Il faut obtenir une autorisation étatique, puis de l’armée dans le Liban-Sud, et quand on arrive enfin dans les camps de réfugiés, on bascule dans d’autres formes d’autorité, celles des milices, de factions opposées les unes aux autres… Ce n’est pas toujours simple et il vaut mieux être protégé et couvert, pendant un certain temps en tout cas.

Pourquoi avoir donné la parole précisément à de vieux réfugiés palestiniens du Liban-Sud ?

Il faut savoir que les réfugiés au Liban-Sud sont ceux qui connaissent la pire des situations, comparativement aux autres exilés palestiniens. Ceux qui vivent en Syrie, par exemple, ont le droit de travailler et en Jordanie, 80 % de la population est palestinienne. Ceux du Liban sont dans une espèce de zone stratosphérique depuis 1948. Ils n’ont ni le droit de voyager, ni le droit de posséder une maison, ni celui de travailler. Ce ne sont plus des citoyens palestiniens puisqu’on leur a pris leur terre, leur Etat, leur maison… et ce ne sont pas non plus des citoyens libanais car le Liban se dit, avec beaucoup d’hypocrisie, que reconnaître leur statut de réfugiés est une manière de reconnaître Israël. Il y a aussi une histoire commune entre Libanais et Palestiniens faite de “je t’aime, moi non plus”, car beaucoup de Libanais estiment que les Palestiniens sont responsables d’avoir importé la guerre sur leur territoire. Ces gens-là sont vraiment en train de payer une double peine. C’est pour cette raison que j’ai décidé de m’intéresser à eux en particulier. Ils vivent dans un souvenir, une mémoire figée, puisqu’ils n’ont plus aucune perspective, ni physique, ni mentale, de retrouver leur terre. Ils vivent dans des cages à poule, avec pour seule vue la maison d’à coté, dans des camps, barricadés, parqués comme des animaux. La mémoire de leur terre s’est transformée en fantasme arrêté dans le temps. Je voulais faire revivre ces souvenirs, ces odeurs, ces sons, et leur demander de me parler le plus possible de leur vie avant 1948, de la cohabitation avec les juifs, les “wataniyines” comme ils les appellent.

Et côté israélien, pourquoi avoir choisi d’interviewer uniquement des jeunes ?

Ce qui m’intéressait, c’était de faire entendre les témoignages de ces Palestiniens à des jeunes Israéliens. Cette jeunesse, malgré le fait qu’elle soit hyperconnectée au monde entier, vit dans le déni le plus total. Je me suis rendu compte à quel point le gouvernement et les médias israéliens cultivent le sentiment de peur chez les jeunes et leur lavent le cerveau. Ils peuvent vous parler pendant des heures de ce qui s’est passé il y a 2000 ans mais ils ne savent rien des 60 dernières années. J’avais envie de réveiller cette mémoire, en les confrontant à ces souvenirs, à ces Palestiniens qui habitaient dans le même village qu’eux, car c’est là aussi une autre originalité du film. Je voulais donc écouter ces différents points de vue et voir si on peut faire bouger les choses ou si c’est trop tard.

Et donc, est-il trop tard ou pas ?

Quand je suis arrivé là-bas, c’était avec une bonne dose d’optimisme et peut-être même de la naïveté. J’ai rencontré des personnes qui m’ont conforté dans l’idée que beaucoup de choses restaient à faire, que tout n’est pas perdu et dans le même temps, je me suis rendu compte à quel point le fossé est énorme entre ces deux peuples, car chacun a sa perception de l’histoire et les mythes fondateurs restent destructeurs et absurdes. Depuis 1948, trois générations d’Israéliens sont nées sur cette terre qui est devenue la leur. Pendant ce temps-là, il y a 1 million de réfugiés palestiniens qui vivent et meurent dans des camps.

Y a-t-il une anecdote liée à la réalisation de ce documentaire que vous pourriez nous faire partager ?

Oui, absolument. Pendant la préparation du film, j’ai rencontré beaucoup d’Israéliens et la plupart d’entre eux cultivent le mythe de la clé. Ils pensent que les Palestiniens qui vivent dans les camps de réfugiés ont tous gardé, depuis 1948, la clé de leur maison et ne pensent qu’à une chose : revenir, ouvrir avec leur clé la porte d’entrée et mettre les Israéliens dehors. Quand je me suis rendu dans les camps, j’ai demandé aux Palestiniens si ce mythe de la clé était vrai et ils ont démenti. “Nous ne sommes pas bêtes à ce point-là et nous ne vivons pas dans le passé”, m’ont-ils dit. Puis, de retour en Israël, au kibboutz Sassa, je tombe sur un vieil Israélien qui me semblait très ouvert, tolérant, touché par les témoignages des réfugiés. Il me montre une clé toute rouillée accrochée au mur. “Je l’ai trouvée en 48 en arrivant ici, c’était la clé d’un arabe”, m’explique-t-il. D’une certaine manière, il a pris leur place et chérit leur souvenir en conservant cette trace d’eux, comme un lien précieux. Voyez-vous, je trouve cela très révélateur de ce conflit basé sur des mythes. Les uns pensent certaines  choses des autres et on se retrouve dans une situation complètement paradoxale.

Peut-on dire que c’est votre oeuvre la plus intime, la plus personnelle ?

(Long silence) C’est très délicat comme question… Je dirais que oui, c’est probablement la plus intime, la plus personnelle que j’ai faite jusqu’à présent. C’est une partie de moi-même qui m’a fait souffrir longtemps, du fait de ne pas pouvoir en parler. Donc quand j’ai réussi à aborder ce sujet, ça avait quelque chose de terriblement libératoire.

C’est le genre du documentaire qui vous a aidé à franchir ce pas ?

Oui, tout à fait. D’abord parce que je n’avais jamais fait ça auparavant, et puis parce que tu y vas sans fard, tu es tout nu. Là où la fiction t’autorise des prismes, le documentaire ne te permet pas de te  cacher derrière un personnage ou une narration. J’étais novice malgré plusieurs films de fiction, je me sentais comme un petit enfant qui y va, la fleur au fusil…

N’étiez-vous pas en quête de votre propre vérité en réalisant ce documentaire ?

Au début, j’avais besoin de confronter tout ça et de me dire que j’avais raison de boycotter Israël, que mes convictions politiques étaient les bonnes… En cours de route, ces dernières n’ont pas changé mais je me suis rendu compte que ce n’était pas ma vérité qui m’intéressait, mais leur vérité à chacun d’entre eux. J’ai compris que si je les ai tous choisis, ce n’est pas par hasard… Ma vérité était dispersée dans chacun de ces personnages. Il y a un peu de moi en chacun d’eux. â– 

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