“Notre culture populaire encourage le mariage des mineures. Dans des régions comme celle de Khénifra,par exemple, les jeunes filles sont mariées à des hommes de 65 ans et plus, veufs, ou dont les épouses n’arrivent plus à ’acquitter des tâches ménagères. On recense aussi un autre phénomène, un peu plus récent, qui est celui des immigrés à la recherche de mineures qu’ils épousent et qu’ils laissent chez leur mère comme des bonnes à tout faire.” C’est le tableau très peu reluisant tracé par Mohamed Charafi, président de l’association Oude Srou, lors de la table ronde consacrée à la présentation des résultats du 4ème rapport du réseau Anaruz sur les violences fondées sur le genre au Maroc. Le Réseau National des Centres d’Ecoute des Femmes Victimes de Violences s’est attaqué cette année au mariage des mineures. Et le constat est tragique, car en dépit du Code de la famille, les tribunaux continuent d’autoriser ces unions, et ce qui devrait être une exception devient quasiment la règle. Selon les statistiques très officielles du ministère de la Justice, telles qu’exposées par l’Anaruz, en 2010, 41.098 actes ont été conclus contre 33.253 en 2009 ; soit une progression de 23,6 %. Et tenez-vous bien, les demandes et les autorisations concernent majoritairement des jeunes filles. Si ces données vous paraissent alarmantes, sachez qu’elles ne reflètent probablement que la partie apparente de l’ampleur de la pratique des mariages précoces dans la réalité. “Il convient de ne pas perdre de vue les multiples cas non recensés, particulièrement dans les localités où le mariage avec la Fatiha demeure monnaie courante”, indique le rapport de l’Anaruz. En effet, dans certaines régions du Maroc, “les gens ne savent pas qu’ils ont tort de marier des mineurs. C’est un mode de vie qui existe depuis la nuit des temps et qu’ils ne font que perpétuer”, explique Mohamed Charafi. Pour ce militant de la région de Khénifra, il faut comprendre le phénomène et éviter les préjugés. Il faut aussi parler le même langage que ces populations, dit-il : “La grande question qui se pose est : comment les sensibiliser aux droits de l’homme sans toucher à leur culture ?” Les associations qui oeuvrent sur le terrain s’intéressent également aux pratiques judiciaires. Un des constats majeurs que dresse le rapport de l’Anaruz à la lecture des chiffres officiels est d’ailleurs le taux très élevé des autorisations octroyées par les juges : 90 % en moyenne. “La justice renforce le mariage des mineures”, s’emporte Atifa Timjerdine, coordinatrice nationale du réseau Anaruz. “Preuve à l’appui : les juges n’ordonnent aucune expertise médicale, et encore moins d’enquête sociale”. Selon les ésultats du rapport, “les juges se contentent souvent d’une évaluation personnelle sur la base de l’aspect physique de la fille. Sa taille, par exemple, peut s’avérer une preuve suffisante pour délivrer l’autorisation”. Autre fait à relever : les mariages sont autorisés par les juges presque automatiquement dans les cas où celui-ci estime que l’honneur de la famille est en jeu. Selon le rapport de l’Anaruz, “lorsque la demande remplie fait état de la perte de la virginité, d’un viol, d’une grossesse hors mariage…, les juges ont tendance à octroyer l’accord sous prétexte de protéger la fille et l’honneur de la famille”. Les juges estimeraient par ailleurs “qu’il vaut mieux autoriser ce type de mariages, que d’accepter des relations sexuelles “illégales” et courir le risque de grossesses hors mariage”. Autant de comportements qui laissent entrevoir chez nos juges “un certain conservatisme social qui est loin d’être favorable pour la jeune fille”, comme le mentionne si bien le rapport.