Depuis quelques semaines, uneétrange querelle agite les fidèlesde la Grande Mosquée de Paris. Al’origine de cette polémique, un écriteausur la porte d’entrée de la grande salle deprière : “Changement de salle de prièrepour les femmes (sous-sol)”. Aussitôt,la mesure provoque un certain émoi auprèsdes croyants, tous sexes confondus.Car depuis toujours, les femmes avaientl’habitude de prier avec les hommes,dans un espace aménagé et séparé par unrideau. Officiellement, les représentantsde la MDP justifient ce déplacement enalléguant d’abord le “manque de place”.Officieusement, les femmes seraientjugées “trop bruyantes”, d’où la décisionde les reléguer au sous-sol… Piquées auvif, certaines ont choisi de se regrouperspontanément au sein d’un collectif : “LesFemmes dans la mosquée”.
Une mesure jugée arbitraire
Hanane Karimi, doctorante en sociologieet porte-parole du collectif, dénonce unedécision arbitraire. “Pour accéder à cettesalle, c’est un vrai labyrinthe, et je trouveque c’est très dérangeant, surtout pour lesfemmes âgées. Par ailleurs, nous sommesobligées de passer devant la salle d’ablutionsdes hommes ! Nous sommes nombreuses àcontester cet aspect très dégradant de l’accèsà cet espace, qui est en fait une pièce polyvalentefaisant office de garderie”.La jeune femme réfute l’argument du“manque de place”, car la grande salle deprière ne semble pas afficher complet tousles jours de la semaine.Les faits, qui remontent au mois d’octobredernier, concordent avec l’arrivée d’un nouvel imam au sein de la mosquée.Celui-ci s’est distingué par des discoursparticulièrement misogynes, loin de fairel’unanimité auprès des fidèles. “En décembre,lors de la grande prière du vendredi,il avait prononcé une khotba misogyne endisant que les femmes étaient une fitna (tentation),et que leur corps tout entier étaitimpudeur. De tels propos sont inacceptablespour nous, car l’islam honore les femmes età travers ce discours, cet imam fait passerun message insultant pour l’ensemble de lacommunauté. Tenir ce genre de propos à desmusulmans, qui sont déjà stigmatisés, est trèsregrettable”, déplore-t-elle.Dans un premier temps, le collectif avaitadressé une lettre au recteur, Dalil Boubakeur,pour lui demander l’accès à la grandesalle les jours où elle n’est pas pleine. Uncourrier resté lettre morte… Devant le silencede la MDP, ses membres décident, le 21 décembre, d’enfreindre l’interdiction. Cejour-là, après d’âpres négociations, l’administrateurgénéral a fini par autoriser une dizainede femmes à prier dans la salle commune, àla condition de rester “sages et disciplinées”.Un ultimatum plutôt infantilisant… Mais enpleine prière, le gardien s’est fait un devoir deles sermonner et les a insultées au passage, enarguant qu’elles n’étaient “pas légitimes pourprier et qu’elles faisaient semblant d’être concentrées”.Selon Hanane Karimi, “avec ses injures,c’est ce même gardien qui a créé le trouble. Envociférant contre nous, il a réussi à déranger leshommes qui priaient devant nous et qui ont finipar se retourner. Et à la fin de la prière, l’imam,très en colère, est venu s’adresser aux femmes enles accusant de transgresser les règles en accédantdans l’espace réservé aux hommes. L’une d’entreelles a répliqué en disant qu’elles se trouvaientdans la maison d’Allah !” Ces propos, particulièrementchoquants, sont très révélateursdu climat sexiste qui règne dans l’enceintede ce haut-lieu de l’islam, alors que le recteurprône un discours très modéré.
Bagarre générale
Ce même jour, la prière du Asser s’est subitementtransformée en bagarre collective ! Lamosquée avait même mobilisé des agents desécurité pour s’assurer que les femmes prendraientbien la direction du sous-sol pourfaire leur prière ! En somme, leur missionétait de leur faire barrage, quitte à userde leur force physique… Un tel dispositifpeut sembler disproportionné dans unlieu de culte et de recueillement. Et pourtant,certains n’ont pas hésité à recourirà la force ce 21 décembre, pour réprimerdes disciples femmes indociles. Un journalistenéerlandais, Franck Renout, venucouvrir l’événement, a été “séquestré” pendantune heure dans une pièce par l’un desreprésentants de la MDP. Beaucoup décriventune scène d’une violence surréaliste.Un agent chargé de la sécurité aurait mêmeproféré des insultes racistes à l’encontred’un Comorien venu soutenir le collectif,en le menaçant avec un bâton.
La mosquée maintientsa position ambiguë
Suite à ces violences, la MDP est finalementsortie de son silence. Dans un communiqué,elle a qualifié cette agitation de“propagande politique” en présentant cemouvement comme “un groupuscule d’activistesfemmes […] inconnues des fidèles,fréquentant régulièrement la mosquée […],qui ont cherché récemment à pénétrer parla force physique dans la salle de prière deshommes durant la prière du Asser en perturbantl’office religieux au mépris des règles etdes valeurs de l’islam”. Bien que certainesfemmes du collectif militent au sein d’associationsdiverses, elles se sentent blesséeslorsqu’on les compare à des “Femendéguisées” tout simplement parce qu’ellesont osé contester l’autorité masculine encritiquant une mesure qu’elles jugeaientarbitraire. Elles refusent d’être considéréescomme des “croyantes de seconde zone”,et d’être reléguées au sous-sol. Dans la foulée,elles ont aussi lancé une pétition contre“l’invisibilisation des femmes dans les lieuxde culte”, invitant les autorités religieusesmusulmanes à se positionner sur la placedes femmes au sein de leur communauté.
Un collectif qui s’étiole…
Au début, le collectif était composé d’unequarantaine de personnes. Des hommes sesont même ralliés spontanément au mouvement,scandalisés par leur mise à l’écart ! Aujourd’hui,elles ne sont plus qu’une dizaineet semblent plus que jamais déterminées àcontinuer la contestation jusqu’à l’obtentiond’un compromis.Le 27 décembre, l’imam de la MDP déclarait,dans l’un de ses discours : “La femme estune tentation et il est plus convenable qu’elleprie loin des hommes”. Alors, au fond, quellessont les véritables raisons de cette scission ?“Manque de place”, “trop bruyantes”, “objets detentation”… Pour le collectif, tous ces argumentssont irrecevables. â—†