Les amoureux géographiques

Wafa et Zakaria forment un de ces nombreux couples à distance. Ils sont mariés mais ne partagent pas le même toit. Elle vit et travaille à Paris, lui à Casa. Comment gèrent-ils l’éloignement ? Wafa raconte.

J’ai rencontré Zakaria sur les bancs d’une réputée école d’ingénieurs en France. Nous avons formé un binôme pour les TP (travaux pratiques) et TD (travaux dirigés) et autres mini projets avant de former un couple dans la vie et j’espère pour la vie.

Nous sommes rentrés au pays une fois nos diplômes en poche. Le Maroc n’étant pas la France, nous avons dû officialiser notre idylle auprès de nos familles respectives. Pour avoir la paix  auprès des nôtres,  surtout  auprès de la famille de  Zakaria, modeste et très conservatrice. Et aussi, accessoirement, pour  pouvoir passer une nuit à l’hôtel dans la même chambre. Une hérésie  que cette obligation  pour un couple de présenter l’acte de mariage à la réception des hôtels au Maroc quand on est Marocain, mais ce n’est pas le sujet de ce témoignage.

Zakaria a vite trouvé un job intéressant. Pas moi. Quand notre école en France, à travers mon superviseur de projet, a sollicité ma présence en France, au sein d’une équipe de recherche pour développer un concept que j’avais initié lors de ma recherche, j’ai été flattée, je me suis sentie reconnue et j’ai été ravie de travailler dans un cadre sympa sur un sujet intéressant.

Zakaria a été heureux de ma joie. Mon contrat de collaboration devait durer un semestre. Au cours de cette période, j’ai été approchée par un cabinet de chasseurs de tête et j’ai accepté un CDD avec l’accord de mon mari. Je me suis investie totalement dans mes missions professionnelles, tant et si bien que le CDD a fini par se prolonger en CDI.

Dès que je le pouvais, je rejoignais mon mari au pays et nos retrouvailles, à chaque fois, étaient une réussite. Jusqu’à temps et tant que les familles s’insurgent. “Cette situation incongrue n’a que trop duré”, nous a-t-on fait comprendre, de part et d’autres.

Les voix les plus “hargneuses” ont été, à mon grand étonnement, celles des femmes.

Une fois, excédée, j’ai lâché, à l’adresse d’une parente lointaine de Zakaria : “vous savez, il y a un moyen pour qu’on vive ensemble : Zakaria  peut me suivre lui, à Paris, et essayer de trouver un contrat.  Dans sa branche d’activité, il trouvera facilement.” J’ai eu un regard ulcéré pour réponse. Et j’ai alors réalisé que les temps ici sont figés. On peut comprendre qu’un mari s’expatrie pour travailler à l’étranger mais pas l’inverse.

J’ai eu droit à des remarques du style : “Si au moins vous aviez besoin d’argent. Mais ton mari  a les moyens de te faire vivre  “mkarma, m’aaza” comme une reine.”

Notre société tolère peu ce nouvel “ordre conjugal”.

J’ai été estomaquée de constater que nombre de mes amies qui ont consacré plusieurs années à trimer pour décrocher un diplôme reconnu, l’ont fait juste pour augmenter leurs chances de tomber sur un bon candidat au mariage lors des études ou pour ajouter le diplôme à leurs attraits auprès du futur époux et de sa famille !

Des camarades de promotion  ont abandonné une carrière prometteuse pour se marier ! Cela me heurte. Je conçois mal, qu’en 2019,  les femmes acceptent de se sacrifier. On n’apprend pas suffisamment aux jeunes filles que la carrière compte autant que le couple ! C’est une question d’éducation. Un job ne vous lâche pas pour trouver une plus jeune, plus jolie, un mec si !

Je ne minimise pas les écueils que traversent les couples “longue distance”.

L’éloignement crée des malentendus. On n’a pas l’autre à portée de vue pour vérifier la pertinence de nos pressentiments. Une voix froide au bout du fil allume l’étincelle du doute : “ça y est, ils ont réussi à le convaincre que je ne suis pas une bonne épouse. Ou alors, il a rencontré une autre.”  On me l’a suffisamment répété : “tu joues avec le feu. Un parti  nickel comme Zakaria ne restera pas longtemps seul.”

La distance vous impose de vous renouveler, d’améliorer la communication au sein du couple. La messagerie permet de formuler l’intime. J’ai opté pour la sincérité. Idem pour  Zakaria. Et cela fonctionne. Mon avenir, je le vois à ses côtés.

Zakaria, lui, me soutient envers et contre les hargneux. Il a foi en notre duo. Il l’exprime avec  humour : “je suis marié avec  wakf attanfid (avec sursis). Je vais manger chez maman et je ne peux plus draguer le cœur léger !”. Il répète souvent à nos contradicteurs : “le monde a changé. Skype et whatsapp, ce n’est pas pour les chiens !”

Il a ma confiance et j’ai la sienne. Dans tout couple, la confiance est un atout majeur. Dans le nôtre, couple à distance,  c’est un pilier. Autrement,  c’est  souffrance  H24. Il faut avoir de la confiance en son conjoint et de la confiance en son projet de couple. Tirer le meilleur des instants à deux et se projeter sereinement dans l’avenir sous un même toit.

Il faut considérer objectivement les aspects financiers également, car même si tous les deux nous bénéficions de très bons salaires, nos dépenses sont conséquentes : deux loyers, deux notes d’électricité et, surtout beaucoup de frais de voyage pour se retrouver.

Les temps changent. Le travail exige mobilité aujourd’hui. Il faut que les couples s’adaptent. Évidemment, vivre à longue distance n’est pas gérable à long terme. C’est un état temporaire, appelé à changer. Mais on peut en faire un laps de temps délicieux, un îlot hors les ravages de la routine.

Comme le dit si bien Zakaria, les nouvelles technologies ne sont pas pour les chiens ! Le web permet de trouver des réponses, des conseils et des pistes pour mieux vivre le quotidien à distance. En bourlinguant sur la toile, j’ai appris que Sakina Bent Al Hoceine, arrière petite-fille du prophète, a contesté l’injonction arguant que la femme doit toujours suivre son mari. Elle aurait inséré dans son acte de mariage qui la liait à son troisième époux Zaid bnou Omar,  une clause spécifiant qu’elle était libre de choisir le lieu de sa résidence. Elle était en avance sur son temps. Rien ne nous empêche de suivre son exemple aujourd’hui ! 

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