Leïla Slimani : « Mes personnages ne sont pas des symboles ou des porte-paroles de toutes les femmes » (Interview)

Premier volume d’une trilogie, “Le Pays des autres” de Leïla Slimani embarque le lecteur dans le Maroc du début des années 50. Inspiré en partie de la vie des grands-parents de l’auteure, le roman distille dans un style fluide et délicat les tensions et violences d’une période particulière dans la vie de ses personnages et dans l’histoire du Maroc.

Après Chanson Douce, le livre qui vous a consacré en tant qu’écrivaine de renommée mondiale, vous avez dévoilé au début du mois de mars 2020 le premier volet d’une saga familiale. Quel a été le déclic pour écrire Le pays des Autres ? Et pourquoi un tel titre ?

Après deux romans qui se passaient à Paris, dans la société contemporaine, qui comportaient peu de personnages et se déroulaient dans des lieux clos, j’ai eu envie d’espace, de lumière, de travailler aussi sur le temps long. C’est donc assez naturellement que m’est venue l’idée de remonter le fil de mes origines et de m’intéresser à l’histoire du Maroc des années 1950. Je voulais aussi essayer de comprendre qui je suis, d’où je viens, pourquoi je me sens toujours dans le Pays des autres. Ce titre vient à la fois de ce sentiment personnel et de l’histoire de chacun de mes personnages. Mathilde, l’alsacienne, débarque dans un pays qui n’est pas le sien et où elle doit tout réapprendre. Amine a fait la guerre pour les français, dans ce pays des autres et quand il rentre chez lui, il prend conscience du poids de la colonisation. Les femmes, elles, vivent toutes dans ce pays des autres qui est celui des hommes.

Le sous-titre de votre roman donne le ton du récit : La guerre, la guerre, la guerre. De quelle guerre s’agit-il selon vous ? De la guerre coloniale ? La guerre conjugale ou la guerre fratricide ?

De toutes celles-là justement. La seconde guerre mondiale, la guerre coloniale mais aussi les guerres intimes, entre hommes et femmes et à l’intérieur de chacun. Ce sous titre est emprunté au début du film “Autant en emporte le vent” où le personnage de Scarlett dit, d’une manière assez désinvolte, qu’elle ne croit pas à la guerre qui ne serait qu’une affaire d’hommes. Dans mon livre j’ai voulu montrer que les femmes font aussi la guerre et la subissent avec beaucoup de force.

Pour l’écriture de ce premier volet de votre trilogie, vous avez remisé le côté “chirurgical” de votre plume pour un récit tout en fluidité et délicatesse.  Est-ce dicté par cette relation “intime” que vous nourrissez avec les personnages de ce dernier roman ?

À chaque sujet doit correspondre un style. Quand vous écrivez un thriller ou un roman noir vous ne pouvez pas avoir la même langue que dans une saga familiale. Là, j’ai voulu travailler plus en délicatesse, dans une forme de douceur et de sensualité. Quand j’écrivais c’était toute mon enfance qui revenait, l’odeur des rues de la médina, de la poussière à la ferme, la couleur des couchers de soleil. Cela m’a sans doute rendu plus lyrique et je pense que le thème du roman s’y prêtait.

Les personnages féminins de votre roman sont, en dépit des circonstances et de la domination des hommes, forts et déterminés. Ces traits de caractères sont-ils réels ou reflètent-ils votre envie de voir les femmes de toutes les générations libres et émancipées ?

Mes personnages ne sont pas des symboles ou des porte-paroles de toutes les femmes. Ce qui m’intéresse quand j’écris un roman c’est de donner vie à des personnages singuliers, des individus avec leur propre logique, leurs émotions, leurs contradictions aussi. Ici, il s’avère que les femmes de ce roman sont en effet combattives, courageuses, elles ont soif de liberté, d’émancipation. J’ai eu la chance de grandir entourée de femmes fortes et déterminées, elles ont fait ce que je suis et c’était une façon aussi de leur rendre hommage.

Quel est le personnage féminin qui trouve le plus de grâce à vos yeux ?

C’est impossible de répondre à cette question ! C’est comme si vous me demandiez de choisir entre mes enfants. Mais bon, je dirai que j’aime en particulier Mathilde, je trouve qu’elle est tellement romanesque, elle voudrait que la vie soit plus grande, plus intense, plus passionnée que ce qu’elle est. Et en cela je la comprends.

Les personnages de votre roman sont ballotés entre leurs désirs et la réalité amère de leur quotidien, et ce sont les femmes qui supportent le poids de ces frustrations et de cette oppression. Est-ce une fatalité ?

Il n’y a pas de fatalité, heureusement. Je crois à la liberté et tous mes livres sont une réflexion autour de la liberté. Mais la liberté a un prix. Décider d’être libre c’est aussi renoncer à certaines choses, c’est accepter d’être seule, de renoncer à la sécurité ou au confort matériel. Pendant longtemps, et aujourd’hui encore, on ne permettait pas aux femmes d’avoir de l’ambition en dehors de leur foyer et de leur rôle de mère et d’épouse. Elles ne pouvaient pas se déployer et c’est ce qui les a fait et les fait encore terriblement souffrir. 

La violence des hommes est-elle la résultante de cet environnement rude ou est-elle à votre avis le propre de l’homme ?

Les deux je crois… Le monde nous rend violent et nous exerçons cette violence en retour. Il est très difficile de vivre avec les autres, c’est un combat éternel d’apprendre à respecter l’autre, à le considérer.

Parlez-nous de votre routine d’écriture, et particulièrement pour ce roman ?

J’écris toute la journée, de 9 heures à 19h dans une petite pièce où je coupe téléphone et internet. J’ai besoin de calme et d’une totale solitude. pour ce roman j’ai dû beaucoup me documenter. J’ai lu énormément de livres historiques, de témoignages puis j’ai travaillé sur des archives photo et vidéo. C’était passionnant.

Le Pays des Autres a connu une belle promotion au niveau des librairies marocaines au moment de son lancement. Vous aviez également prévu une tournée dans les Instituts français du Maroc pour présenter votre livre et rencontrer votre public. Pensez-vous que cette opération pourrait être à l’ordre du jour à la rentrée ?

Je l’espère de tout mon cœur. Quand j’ai su que ma tournée était annulée, j’ai pleuré toute la soirée. C’est la chose qui comptait le plus à mes yeux avec ce livre : rencontrer mon public marocain. J’ai la chance de publier dans 40 pays et je voyage beaucoup pour présenter mes livres. Mais jamais l’émotion et le plaisir ne sont aussi grands que quand je viens au Maroc rencontrer mon public.

Vous annoncez pour 2022 et 2024 les prochains volets de votre trilogie. Avez-vous déjà avancé dans l’écriture de ces deux tomes ? Quels destins réservez-vous à vos personnages ?

Ah je ne vais spoiler ! Vous verrez, ce sera plein de surprises !

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La guerre, la guerre, la guerre…

La critique n’a pas tari d’éloges sur le dernier roman de Leila Slimani, “Le Pays des Autres”. Premier volet d’une trilogie, le livre est un vrai succès de librairie dès sa parution le 5 mars dernier, incitant l’éditeur moins d’une semaine après sa mise en vente, à faire un second tirage. Au Maroc, le livre s’écoule également très bien, comme en témoigne Amina Mesnaoui (Librairie Porte d’Anfa). Les raisons de cet engouement s’expliquent par la stature de Leila Slimani, également représentante personnelle d’Emmanuel Macron pour la francophonie,  et dont le nom brille au firmament dans le monde de la littérature. Mais pas seulement. La thématique choisie pour cette trilogie repose sur des faits réels et des moments historiques. Bien documenté, romancé et d’une profonde humanité, “Le Pays des Autres” est d’une grande justesse, car épousant le point de vue de chacun des protagonistes avec beaucoup de finesse. Leïla Slimani capte et sublime les émotions, les rêves, les désillusions, les espoirs et désespoirs de ses personnages sur fond de lutte pour l’indépendance du Maroc.

“Le Pays des Autres” de Leïla Slimani, Éd. Gallimard, 368 pages.

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