L’amour m’a transformée en profondeur…

Quinquagénaire fringante, Naima se sent comme une midinette, à l’aube de son premier coup de foudre. Elle est vibrante et croquant la vie à pleines dents, depuis son inespérée rencontre amoureuse. Mais si l’amour lui donne, aujourd’hui, des ailes, il n’en a pas toujours été ainsi. Elle raconte...

Je veux témoigner, pour dire à toutes les femmes, qu’on peut tomber amoureuse, à n’importe quel âge ! On a beau avoir un peu d’arthrose aux genoux ou pas exactement le corps qu’il faut, peu importe, finalement… C’est le regard bienveillant de votre amoureux, posé sur vous, qui fait toute la différence. Je réfute ce conditionnement social qui fait de nous des mammas, juste vouées à leurs enfants et à une retraite tranquille, après la ménopause. Moi-même, je le croyais profondément, et il m’a fallu un catalyseur, pour m’autoriser à vivre pleinement la passion.

En ce qui me concerne, j’ai été veuve, assez jeune, à l’âge de quarante trois ans ; et feu mon mari disparu, j’ai vite eu fort à faire avec mes trois enfants. En détresse dans mon for intérieur, je voulais, tout de même, leur présenter le meilleur visage possible, pour qu’ils continuent d’avancer dans la vie. Consacrée à leur bonheur et équilibre, je n’avais cure de passer au second plan. Si on avait évoqué avec moi, à ce moment-là, la perspective de refaire ma vie, j’aurai pris cela pour de la science fiction ! D’abord, qui aurait voulu d’une compagne, flanquée d’une nuée d’adolescents ? De plus, je me ressentais, moi-même, très terne, et éteinte, sur le plan des émotions et des sentiments. Mon look, à l’époque, en disait d’ailleurs long sur le sujet : des chemises-pantalons, uniformes et informes, qui se ressemblaient tous ; un pour chaque jour de la semaine.

Les années se sont écoulées, dans une espèce de train-train ronronnant; puis mes deux premiers enfants ont quitté le nid, il y a trois ans, l’une pour se marier, et l’autre, pour poursuivre des études en Belgique. J’avais, encore, la petite dernière de dix-sept ans, pour me tenir compagnie : Fati, ma fofolle, celle qui m’a poussée, hors de mes starting block de conformisme ! Elle m’a encouragée à prendre ma retraite anticipée, parce qu’elle voyait bien, combien j’étais usée par ma carrière d’enseignante, où j’avais tout donné. C’est elle, encore, qui m’a forcée la main et m’a traînée dans les boutiques pour mettre de la couleur dans ma garde robe et choisir des coupes plus modernes. Je riais, me laissant entraîner, sans conviction…

Toujours est-il, qu’au cours de cet été 2016, où tout a basculé, j’avais atteint un certain degré de sérénité, ni fondamentalement malheureuse, ni débordante de félicité. On avait prévu, avec Fati, d’aller passer nos vacances  à Liège, ville où mon frère est établi depuis un certain nombre d’années, et où mon aîné poursuit également ses études de médecine. Curieusement, je n’y avais jamais encore mis les pieds, car, vu que mon frère rentrait souvent au Maroc, je reportais sans cesse le voyage. Dès notre arrivée, notre séjour a commencé sur les chapeaux de roues entre sorties, visites et réunions familiales. Ma belle-sœur recevait beaucoup. Mon frangin, gérant de société, avait, du reste, un associé marocain, qui était en déplacement et dont il nous parlait sans cesse.

Le fameux Hamid a fait irruption un beau soir, et on l’a retenu, pour dîner. Dès le départ, je n’ai pu m’empêcher de ressentir un certain trouble, que je ne parvenais pas à identifier. J’en ai d’ailleurs presque perdu l’usage de la parole, tandis que notre convive m’a fixé, quasiment, pendant tout le souper. J’aimais l’intonation grave de sa voix et sa manière élégante de me passer les plats, en m’appelant Lalla Naima. Il devait taquiner la soixantaine, avec de beaux traits réguliers et une fière allure. Avec Fati, il s’est lancé dans une discussion enflammée sur la place de l’Islam en Europe, pendant que je regardais ses cheveux poivre et sel, d’un air rêveur. Mais pourquoi était-il venu sans son épouse? Encore un goujat qui sort et laisse sa femme à la maison, me suis-je dit (Rires). Mais Fati, qui a mis les pieds dans le plat en lui demandant s’il avait des enfants, a permis de lever le mystère. Le monsieur, anciennement divorcé d’une belge, était le papa de deux grands jeunes hommes, et comptait déjà deux petits-enfants !

Par la suite, il s’est proposé pour nous servir de guide touristique pendant la semaine ; et je n’ai même pas eu le temps de réfléchir que ma fille avait déjà dit oui ! On est donc partis déambuler sur la mythique Place Saint Lambert, dans les églises, et sur les vestiges archéologiques de la vieille ville. J’étais impressionnée par l’étendue de sa culture, toujours émaillée d’anecdotes amusantes. Il était aussi très taquin avec Fati, et j’appréciais notre complicité à trois. Profitant d’une absence provisoire de ma petite diablesse, il a fini par me proposer de m’inviter à dîner en tête-à-tête, le samedi. J’ai obtempéré de la tête, un peu gênée ; mais le feu m’est monté aux joues, et la chaleur s’est propagée à ma poitrine. Son regard brûlant m’a fait comprendre qu’il partageait mon émoi.

Avec toute l’impétuosité de sa jeunesse, Fati a pris les choses en main. Pour la mise, je devais, selon elle, tendre vers un mix entre l’élégance d’une Inès de la Fressange et la séduction sensuelle d’une Monica Belluci. Après la séance shopping, j’ai eu droit à un bustier ajusté à paillettes, assortis d’une veste noire fluide et d’un pantalon à pinces très chic, sans oublier les escarpins vernis et la petite bourse dorée qui allaient avec. Chignon lâche et yeux charbonneux étaient censés compléter mon nouveau style de femme fatale. Je me souviens parfaitement de tous ces détails, tout comme je me remémore le “waouh” avec lequel il m’a accueilli, quand il m’a ouvert la portière de sa voiture. Au restaurant, on s’est racontés nos vies respectives ; on a refait le monde ; et je me suis amusée comme une gamine… Il a fallu l’intervention discrète du maître d’hôtel, obligé de clore son service, pour nous déloger de notre délicieux intermède. La suite était attendue, désirée par nous deux. Devant “Le Perron”, la fontaine symbole de Liège, il a pris délicatement mon visage entre les mains et il m’a embrassé et enlacé de longues minutes. Mon corps se réveillait, comme après un long sommeil. Il m’a chuchoté à l’oreille qu’il était en train de tomber follement  amoureux… L’instant était parfait, et mon cœur battait la chamade. Et s’il était encore un peu tôt, pour nous manifester charnellement notre amour, je savais par avance que ce serait un feu d’artifice !

Ce soir-là, je me suis endormie avec des étoiles plein les yeux. Malgré tout, je ressentais quelques appréhensions : est-ce que cela n’allait pas trop vite ? Y aurait-il un avenir à cette aventure de vacances ? Comment mon frère allait prendre la chose? Mais mes craintes ont été vite dissipées. Hamid, sûr de ses sentiments, en a parlé à mon frère qui s’est avéré très content pour moi. En outre, mon chéri tout frais ne cessait de me rassurer, via des messages, dès qu’on n’était pas ensemble : “profitons à fond de nous deux maintenant. On va trouver une solution à l’éloignement géographique. Je vais venir plus souvent au Maroc, ne t’inquiète pas”. Il me rassurait, et en même temps, me faisait rêver d’amour, de voyages et de projets communs…

Je suis rentrée au pays, et comme promis, il m’a rejoint un mois plus tard. La même intensité de sentiments était au rendez-vous. Depuis, il fait des allers-retours fréquents, et quand Fati obtiendra son bac, je lui ai promis de venir m’installer à Liège, avec lui. Le plus extraordinaire, c’est que, portée par son amour, j’ai entrepris une cure minceur, repris mes cours de peinture; et je me sens une espérance de vie de jeunette de vingt ans ! 

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