Plus vraiment accrochée à la vie, celle qui a perdu un proche porte son chagrin comme un fardeau qui l’empêche d’avancer. Or traverser le deuil, c’est passer du désespoir le plus sombre à la lente reconstruction. à son rythme.
Une flamme s’est éteinte
Sakina, 30 ans, se sent orpheline de sa grand-mère, décédée il y a un an. Une absence dont elle a du mal à se relever et qui a ôté tout sens à sa vie : “C’est elle qui m’a pratiquement élevée. Elle a toujours habité avec nous, et davantage encore que ma mère, elle était mon pilier dans la vie. On avait une relation fusionnelle. Elle était très âgée et l’issue était inéluctable. Mais je ne m’en remets pas. Toute mon enfance et une partie de mon existence sont mortes avec elle”. La jeune femme avoue avoir mal supporté les paroles de consolation qu’ont exprimées les invités à la cérémonie d’enterrement. Les formules toutes faites propres au souab aussi bien que les belles phrases comme “elle a bien vécu” ou “elle a fait son temps” lui donnaient envie d’hurler. Comment expliquer aux autres que rien ne peut apaiser cette douleur, même pas les “circonstances atténuantes” de la vieillesse ? Par la suite, son sentiment de vulnérabilité et d’insécurité n’a fait que croître. Les souvenirs de son passé heureux la bouleversent immanquablement et elle se sent toujours incapable de regarder vers l’avenir ou d’avoir des projets.
Un travail long et difficile
Au cours de notre vie, il nous arrive de nous séparer d’êtres et de choses : un amoureux, un travail, des amis. Mais rien ne s’apparente à la perte d’un proche. Faire le deuil d’une source d’amour inconditionnel s’avère autrement plus complexe et exige de passer par des étapes obligatoires. Après le choc et la prostration, différents états émotionnels se succèdent, qui vont du déni (“ça ne peut être réel”) à la colère et au sentiment d’injustice (pourquoi ?), en passant par la culpabilité (“j’aurais dû faire ceci ou cela”). Après quelque temps, la dépression et une perte d’intérêt pour le monde extérieur s’abattent sur l’endeuillé. C’est le signe que la personne prend peu à peu conscience de la réalité de la disparition. Pour avancer dans son deuil et l’intégrer, il est très important de ne pas chercher à maîtriser ce flot d’émotions ou à le refuser. Le temps de l’acceptation viendra, lorsqu’on pourra reprendre en main son destin sans avoir peur de trahir celui qui est parti.
Le soutien de l’entourage est capital
Dans nos sociétés du plaisir et de l’instantanéité, les endeuillés et les malades dérangent car ils nous confrontent à l’idée de la mort et de la finitude. Si on admet que l’éploré a besoin d’un certain temps pour se remettre, on ne supporte qu’un certain temps sa souffrance. L’endeuillé se perçoit alors comme encombrant pour l’entourage et se cache d’autant plus de ceux qui ne le comprennent pas. L’erreur consisterait à le brutaliser avec des injonctions maladroites (“ça suffit, il faut que tu sortes de ta tanière”) ou à le pousser à refouler sa tristesse (“cesse d’en parler, tu vas te rendre malade à la fin”). Il faut plutôt s’inscrire dans l’accompagnement non invasif et l’écouter ressasser les instants figés dans le marbre, pleurer, faire preuve d’agressivité… Qu’on se le dise, le salut ne peut venir que de la personne concernée, avec des rechutes nécessaires qui interviendront immanquablement à chaque occasion qui rappelle le défunt.
Réinvestir dans la vie
“Sur les ailes du temps, la tristesse s’envole”, disait La Fontaine. Cette citation résume la résilience et la capacité de rebondir. Une fois l’acceptation apaisée, un autre lien s’établit avec l’absent, de l’ordre de l’invisible et de l’intime. On fait revivre son souvenir à travers les anecdotes partagées, on sent son aura bienfaisante qui nous accompagne, on apprivoise sa nouvelle solitude sans la présence physique du disparu. Pour marquer ce tournant, une coupure avec sa vie d’avant peut permettre de négocier ce nouveau virage.