J’ai vécu ma fausse couche comme un deuil

A 29 ans, Lamya a fait une fausse couche. Elle a fait, seule, presque en catimini, le deuil de l’enfant qui ne verra jamais le jour. Elle raconte sa souffrance.

Je me rappellerai toute ma vie de ce matin où j’ai fait le test de grossesse : positif ! La plus grande joie de ma vie. Ce rêve que je chérissais depuis que j’étais gosse allait devenir réalité. Je vécus sur un petit nuage pendant quelques semaines. Mon rêve s’est fracassé, aux urgences, un soir pluvieux. De violents maux de ventre et des saignements m’ont amenée à consulter. Ma grossesse avait avorté. Fausse couche.

Je n’avais pas encore installé le coin bébé. Je n’avais pas acheté de vêtements. Il n’y avait jamais eu de discussions autour du prénom. Ma grossesse ne se voyait pas encore, mon ventre ne s’était pas épanoui, arrondi. Pour les autres, une fausse couche à 29 ans à peine, ce n’était pas un drame, même pas un mini drame. Et pourtant, je souffrais. Un mois après la perte, la douleur était toujours aussi vive. Les proches, qui voyaient que je ne m’en remettais pas, y allaient chacun de leur couplet : « Tu es jeune, en bonne santé, tu retomberas enceinte plus vite que tu ne le croies ». « Tu étais en début de grossesse, tu n’as pas eu le temps de t’habituer » « Tu ne l’as pas connu ce bébé, tu ne peux pas y être attachée ». J’avais juste envie de hurler : «  Je l’attendais, je le désirais ce bébé avant de connaitre son père ! Oui, j’y suis attachée. Oui, je le connais. Non l’attachement n’est pas corrélé à la durée de la grossesse ».

Je souffrais seule dans mon coin car mon deuil n’était pas reconnu par les autres. Pas de corps, pas de trace, pas de sépulture. Mon bébé réduit à un embryon qui s’est éliminé tout seul, d’après le corps médical. Je souffrais seule et je culpabilisais : « Ai-je mangé quelque chose qui a provoqué le stress du fœtus, son agonie ? Etaient-ce les séances de sport que je n’ai pas arrêtées ? » Pourtant, je suivais rigoureusement, religieusement, les conseils de ma gynécologue. Tout allait bien, alors pourquoi ? Pourquoi moi ? A la culpabilité se greffait la colère. Puis la peur : et si cela se reproduisait ? Et si le prochain aussi était condamné à disparaitre avant terme ? Qui garantissait que je ne souffrais pas d’un mal étrange indétectable par le corps médical qui avait occasionné cette fausse couche ?

Ma mère, qui ne savait plus comment me consoler, me recommandait d’accepter la volonté de Dieu et de ne pas négliger mon couple. Elle avait remarqué que nous traversions, mon mari et moi, une phase difficile. En effet, j’en voulais à mon mari car il n’acceptait pas mon deuil et minimisait la perte. Effondré dans un premier temps, il a été à mes côtés au départ, écoutant attentivement la gynécologue, posant des questions. Il a tôt fait le tour de la question. Puis rassuré, il est passé à autre chose. J’avais besoin de parler de notre enfant. Encore et encore. Pas lui. Quand il a découvert que j’avais gardé le test de grossesse, il m’a traité de masochiste. Or, c’était  la seule trace de cette courte vie. J’avais besoin de cette preuve. La preuve qu’il y a eu conception, qu’il y a eu grossesse, qu’il y a eu un début de projet de vie. Pour moi, ce bébé a été réel. Il est toujours là dans mon cœur. Et je lui ai donné un prénom : Amal, porté aussi bien par les garçons que les filles. Amal qui signifie espoir. Les autres, lointains ou proches, voulaient absolument que je retrouve ma vie d’avant, me rappelaient combien je savais être gaie. Tout le monde voulait que je reprenne mes entraînements sportifs. Personne ne prononçait les mots que je désirais entendre : « Tu aurais été une maman formidable pour ce petit être. C’est tellement triste ce qui t’arrive ! Je sais combien tu désirais ce bébé ». Les autres croyaient bien faire en minimisant cette perte. Ma douleur était immense. Que je n’aie pas vu la frimousse de cet enfant ne changeait rien à ma souffrance. J’avais besoin de temps pour vivre mon deuil. Or, on ne voulait pas me donner cette « chance », ce droit. Une fausse couche ne donne pas droit à un deuil pour de vrai. J’ai dû reprendre le boulot très vite alors que je n’étais pas prête. Rien n’est fait pour les mamans dans mon cas. J’avais l’impression d’être seule face à tous. Face à ma mère, mon mari, mes amis, mes collègues de boulot. J’avais perdu mon enfant et on me reprochait presque de faire des caprices en refusant l’oubli.

J’ai mis du temps à tourner la page. Si je témoigne aujourd’hui, c’est pour corriger ce qui ressemble à un malentendu : croire que le meilleur moyen d’accompagner une maman victime de fausse couche est de faire comme si de rien n’était et de passer à autre chose. Même s’il n’y a pas de corps, le deuil du bébé qui ne naîtra pas doit se faire. Cela prend un temps incompressible. Pour surmonter cette douleur, il faut pouvoir en parler. Un deuil périnatal est tout aussi respectable qu’un deuil « normal ». Il faut respecter le rythme de chacune. Il n’y a pas de durée déterminée au deuil. Il faut respecter le temps de cicatriser de chacune. Certes, il n’est jamais simple ni évident d’accompagner une personne dans son deuil, quel qu’il soit. Le mieux qu’on puisse apporter est une simple présence et une oreille attentive. Nier la pertinence du deuil après une fausse couche, c’est remuer le couteau dans la plaie.

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