J’ai épousé un bigame

Un mari attentionné qui se transforme au bout d’une année et des poussières en un homme violent et sadique et qui, de surcroît avait déjà une première épouse, et une autre hospitalisée pour troubles psychiatriques… C’est l’histoire de Samira.

J’avais 23 ans et je travaillais en tant qu’infirmière quand une voisine a présenté Ahmed à ma famille. Je l’ai également rencontrée. Il semblait avoir toutes les qualités d’un futur bon époux : ouvert d’esprit, respectueux envers moi, accordant de l’intérêt à tout ce que je disais, et demandant mon avis sur tout. En somme, un homme bien sous tous rapports. Il était âgé de presque 50 ans, était divorcé, et papa d’une petite fille qui vit chez sa grand-mère, et cela ne me dérangeait nullement étant moi-même issue de parents divorcés.  C’est vrai que même si je ne le connaissais pas très bien, je n’étais pas contre l’idée du mariage. Ahmed répondait à toutes mes exigences, me promettant monts et merveilles. J’étais séduite par l’idée de fonder mon propre foyer, d’avoir un chez-moi.

Nous nous sommes mariés par une belle journée ensoleillée du mois de mai. Ahmed avait vu les choses en grand, et la réception de mon mariage était digne d’une fête des mille et une nuits, du moins à mes yeux. La première année de mon mariage s’est déroulée comme dans un rêve. Il était aux petits soins pour moi, m’offrant des cadeaux, m’emmenant en voyage… Mon univers tournait autour de lui, surtout que j’avais quitté, à sa demande, mon emploi juste avant notre mariage.

Mais comme on dit, toutes les belles choses ont une fin, et un jour, je me suis réveillée aux côtés d’un homme au visage fermé et aux manières brusques. Un revirement à 360° ! Il m’a obligée à porter le voile intégral, le Niqab et a commencé à m’enfermer à la maison, m’interdisant de sortir. Je ne pouvais même pas aller rendre visite à ma famille… En 2004, j’ai accouché d’un magnifique  bébé de sexe féminin. Il a accueilli cette naissance sans joie, m’accusant presque d’être responsable d’avoir engendré une fille. J’ai alors appris incidemment qu’il était marié, avait déjà quatre filles et que j’avais le statut de seconde épouse. Le ciel m’est tombé sur la tête. J’ai continué pourtant à endosser mon rôle d’épouse dévouée, ne refusant jamais de me soumettre au devoir conjugal…

Le comportement d’Ahmed à mon égard allait de mal en pis. À chaque nouvelle naissance, il devenait plus sadique, plus violent, plus méchant. Il a commencé à me battre, à m’humilier et à me rabaisser. En 2010, j’étais déjà maman de trois adorables fillettes. Et pour elles, j’acceptais tout, car je ne voulais pas qu’elles vivent loin de leur père, ni qu’elles soient privées de tout le confort auquel elles étaient habituées. Je sais que j’aurais pu reprendre mon ancien travail d’infirmière, mais pour quel salaire ? Comment les faire garder ? Quelle pension alimentaire aurais-je perçu pour les élever, les éduquer et leur offrir tout ce dont elles avaient besoin ? Cela aurait été largement insuffisant pour leur permettre d’avoir une vie décente. J’acceptais donc mon sort sans rechigner.

L’année de la naissance de notre troisième fille, Ahmed a décidé de m’installer moi et sa première femme dans la même maison. Elle occupait le rez-de-chaussée, et moi, le premier étage. Une situation kafkaïenne s’est installée. En homme religieux qu’il était, il se comportait de façon équitable envers nous : il passait une nuit chez chacune de nous ! À son crédit aussi, un bon comportement envers ses enfants, et puis, nous ne manquions de rien. Mais parallèlement à cela, il était “le maître”, et n’admettait aucune remise en question de ses décisions et aucune discussion. Je devais être à sa disposition, soumise, obéissante et sans personnalité.

Les jours s’écoulaient lentement, inexorablement. J’étais devenue une femme sans volonté, une poupée molle, résignée, attendant le bon vouloir de son homme. Je m’obligeais à ne pas penser à ma co-épouse puisqu’il m’était interdit de franchir la porte de mon domicile. Les enfants, dans leur innocence, avaient sympathisé avec leurs demi-sœurs. Et un jour, en jouant, ma fille cadette est tombée dans les escaliers. Ses cris m’ont poussée à sortir, et Yamina, ma co-épouse en a fait de même. C’était la première fois que nous étions face-à-face. Yamina a pris rapidement les choses en main, a calmé les pleurs de ma fille. Elle l’a prise dans ses bras, et l’a emportée chez elle. Je ne pouvais que les suivre. Après avoir soigné son écorchure aux genoux, elle m’invite à prendre le thé avec elle.

Yamina était une belle jeune femme d’une quarantaine d’années, très élégante, au visage rayonnant. Ma réserve naturelle s’est dissipée devant sa bonté naturelle. Elle m’a racontée son histoire qui était presque similaire à la mienne. Il l’avait épousée alors qu’elle avait à peine 20 ans. Ils n’avaient pas réussi à avoir des enfants pendant les premières années de leur mariage, et il avait pris une autre épouse sans en informer Yamina. De cette union est née une fille. Mais leur histoire n’avait pas duré, car la jeune femme avait tenté de se suicider à plusieurs reprises. Il l’aurait alors fait interner pour démence, et depuis, elle est hospitalisée dans un hôpital psychiatrique. Je tombais des nues. Je découvre médusée le passé d’Ahmed, l’homme pieux…

Cette première rencontre avec Yamina fut suivie par bien d’autres. Nous profitions de l’absence de plus en plus fréquente d’Ahmed pour nous retrouver et discuter. Elle était devenue une amie, la seule dans cette traversée du désert… Le sort de celle que j’avais remplacée me hante sans cesse, car moi-même, j’avais commencé à prendre des antidépresseurs. Mes crises de nerfs et la perte du goût à la vie avaient obligé Ahmed à me conduire en consultation chez une neurologue réputée. Je pense qu’il avait peur de revivre le même scénario. Ma dépendance aux médicaments risque de devenir mon lot quotidien, ma drogue pour tenir le coup, et me persuader que j’avais fait un mariage heureux.

Depuis, ma vie suit son cours. Je m’occupe de mes enfants, et j’essaie de les élever pour qu’elles deviennent des femmes fortes, qui ne verront jamais dans le mariage une solution pour aspirer à une vie meilleure, mais qui, grâce à leurs études et  diplômes, pourront s’imposer car elles détiendront le pouvoir du savoir. Je sais que je ne suis pas le meilleur des exemples, mais je leur livre chaque jour des messages positifs, et partage avec elles des exemples de femmes inspirantes. Leur père n’est pas non plus le meilleur exemple des hommes respectueux des femmes et de l’égalité des genres.

Mes filles sont encore toutes jeunes, mais je les nourris de cette force que je puise dans cette soumission imposée. Aujourd’hui, ma première décision est de recouvrer mon indépendance, et j’ai commencé à réduire ma consommation des antidépresseurs en suivant les conseils de mon médecin. J’ai aussi commencé à apprendre le stylisme, en espérant pouvoir me lancer dans le domaine dès que possible. Pour mes enfants, je ne veux pas être une loque ni me complaire dans ma léthargie. Pour elles, je dois non seulement me montrer forte, mais surtout faire tout mon possible pour leur donner des ailes. 

Propos recueillis par SHÉHÉRAZADE TAMIME

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