Samira, 15 ans, est revenue d’un voyage en France chez sa soeur étudiante en architecture, avec un beau tatouage sur le bras gauche. A sa mère dépitée, Samira a expliqué qu’elle et sa soeur trouvaient le dessin très réussi ! Après une virée à Marrakech avec ses cousines et une bande de copains, Lamia, 17 ans est rentrée avec ce que sa mère appelle un objet non identifié sur sa narine droite.
Aucune des deux mamans n’a été avertie auparavant. Et pour cause rétorquent les filles : “Elles auraient dit non.” Quel recours ont les parents ?se demandent ces mamans. Les tatoueurs et autres perceurs ne sont-ils pas obligés de demander l’autorisation des parents ? Ne s’agit-il pas là d’un acte quasi médical puisqu’on pratique une intervention sur la peau de leurs rejetons mineurs ? Du côté de la loi, silence radio assourdissant.
Acte médical ? Mode ? De quoi s’agit-il au juste ? Tatouage, quelle lecture !
“Les parents ont le chic de tout compliquer, explique Lamia qui arbore fièrement un piercing à la narine droite. Le piercing, tout comme le tatouage, est un moyen d’expression, ni plus ni moins. Ce n’est pas une mutilation. Encore moins une perversion comme le pensent beaucoup de parents. C’est une expression esthétique pour se mettre en valeur, comme une teinture de cheveux.” Une mode. Soit. Sauf qu’une mode, par définition, relève du temporaire. Une mode est éphémère. Une teinture de cheveux, c’est du temporaire. Un piercing aussi, si une bonne pratique de l’hygiène a été respectée et si aucune complication de cicatrisation ne vient marquer l’endroit de la perforation. Mais un tatouage, c’est du
permanent. Un tatouage est indélébile à moins qu’une intervention (encore trop aléatoire) au laser, chez un dermatologue, ne vienne effacer l’empreinte.
Le tatouage ne date pas d’hier. Certes, nos arrièresgrands-mères étaient tatouées. Et c’était accepté.
“Mais le tatouage chez les ados relève d’autre chose, qui n’a rien à voir avec la pratique ancienne d’el wcham”, s’insurge la maman de Samira. Les jeunes ont démystifié le tatouage. Les endroits où l’on exerce ces interventions ont changé. Mais nombre de parents gardent encore le souvenir de boutiques sombres mal famées, en arrière cours mal fréquentées…
“Mon ado, bientôt 14 ans, réclame un tatouage pour son anniversaire. Y a-t-il des dermatologues pour répondre à ce genre de demandes? s’interroge en toute bonne foi , la maman de l’ado en question, habituée à ce que ses enfants n’en fassent qu’à leur tête, leur père leur offrant généreusement
de l’argent de poche. Madame Benkirane, dermatologue, explique : “Les parents doivent discuter de
tout avec leurs enfants dès leur jeune âge. C’est le seul moyen d’éviter la désagréable surprise de voir son ado de 15 ans rentrer d’une virée avec les cousins à Marrakech avec un vilain tatouage multicolore sur le bras. Les dermatologues ne sont pas des tatoueurs. Et en attendant une législation ferme en la matière, je recommande aux parents d’expliquer aux intéressé( e)s qu’il faut attendre d’avoir au minimum 16 ans, le temps que le corps ait atteint un certain seuil de croissance, pour songer au tatouage. Pour ce qui est du perçage, l’âge
Certains parents associent tatouage et problèmes de drogue, d’alcool, de santé mentale. Exagération certaine et sans fondement .
varie selon le type et l’endroit du perçage. Le perçage des oreilles est socialement accepté chez les petites filles et, médicalement, il donne rarement lieu à des complications si on observe l’hygiène de base. Le perçage des seins et des organes génitaux chez les mineurs est totalement contre-indiqué. Tatouage et perçage ne doivent en aucun cas être portés sur une peau atteinte d’une lésion quelconque. Une acné sévère du visage ou du dos est une contre-indication majeure au tatouage car les complications de cicatrisation sont réelles et peuvent être extrêmement problématiques.” Tatoué = drogué ?
De nombreux parents associent tatouage et problèmes de drogue, d’alcool, de santé mentale. Exagération
certaine et qui n’a pas de fondement, d’après madame Samira Benjelloun, pédiatre, qui pense que
“le perçage corporel et le tatouage sont des signes visuels indiquant qu’un adolescent veut être associé à la communauté de ses pairs ; communauté qui est disposée à faire des expériences, à prendre des risques ; communauté qui se prépare à entrer dans l’âge adulte.” Certes, nous connaissons tous des ados portant piercing et tatouage et qui ont une prédilection pour certains genres de musique (Goth, Punk, Métal et musique électronique), et une tendance plus marquéeà se “tenir en bande” avec des amis. De là à conclure que ce sont des ados à problème, il y a un pas gigantesque qu’un minimum de bon sens aide à ne pas franchir. Le tatouage peut être un exutoire à une douleur qu’on évacue en la marquant sur sa peau ! Certes. Les Marocaines se tatouaient dans un passé pas si lointain que cela. Dans certaines tribus, il était
d’usage qu’une femme qui venait de perdre son mari se tatouât le menton en rappel figuratif de la barbe du mari perdu. La religion interdisant tout changement apporté par l’humain à l’oeuvre de la nature (et donc notre propre corps), le tatouage indélébile a laissé la place au tatouage temporaire par le henné. Ce petit rappel historico-sociologique devrait temporiser les craintes de parents d’ados candidats au tatouage. Il s’agit d’une nouvelle interprétation branchée d’une mode (el wcham) devenue ringarde !
Najim Abdallah, proviseur de son état, avance prudemment les remarques suivantes : “L’ adolescent tatoué et percé est différent de la moyenne des lycéens. L’adolescent tatoué (et, dans une moindre mesure, l’adolescent percé qui, le plus souvent, est une fille) figure parmi les premiers à adopter
un style qui se démarque. S’agit-il d’un ado porté à avoir des comportements à risques et fait -il usage de drogues et d’alcool plus que les autres ? Je n’ai pas d’éléments de réponse.
Ce L’adolescent tatoué (et dans une moindre mesure l’adolescent percé) figure parmi les premiers à adopter un style qui se démarque.
qui est certain, c’est qu’il s’agit d’un adolescent “cool” – d’après le jargon en usage chez nos jeunes – et qui exerce une influence sur le style et le comportement de ses pairs.” Alors, ado tatoué équivaudrait à ado à risque ? Réalité ou légende ? Il n’existe pas d’études nationales à ce sujet. Il ressort d’une étude nord américaine portant sur la thématique ados et tatouage, que “la différence la plus nette entre les adolescents tatoués et la moyenne des adolescents est peut-être le fait que les premiers ont d’autres comportements à risque. Par exemple, les jeunes qui sont porteurs de tatouages sont presque quatre fois plus nombreux à fumer quotidiennement que l’ensemble des adolescents, et deux fois plus nombreux
à boire de l’alcool chaque semaine. Les adolescents tatoués sont presque quatre fois plus nombreux
à être des fumeurs quotidiens que la moyenne des adolescents, et deux fois plus nombreux à boire de l’alcool chaque semaine. Les adolescents tatoués ont moins confiance en leur avenir dans dix ans.”
Peut-on ramener cela à la réalité marocaine ? La réponse est non, catégoriquement. La balle est dans le
camp des parents d’après Madame Benjelloun, pédiatre : “Les ados expérimentent de nouveaux modes
“d’être” et de “faire”. Aux parents de maintenir le dialogue, seul antidote aux comportements à risques”.