Débat posthume…

Il y a quelques semaines encore, elle était une anonyme de la presse et de la société. Une Marocaine qui, comme beaucoup d'autres, subissait en silence les absurdités d'un système judiciaire qui au lieu de protéger les femmes, les sacrifie. Aujourd'hui, Amina Filali est tristement connue. Son nom est brandi sur des pancartes, lors de manifestations, de sit-in, de conférences de presse. Elle est défendue bec et ongles par certains, montrée du doigt par d'autres... mais elle est morte et ne saura jamais ce que son geste de désespoir a provoqué.

Qu’a-t-il provoqué, d’ailleurs ? Le débat qui n’avait jamais eu lieu auparavant ? Le souvenir de certaines pratiques indignes et archaïques, que l’on ne retrouve qu’en Afghanistan ou en Arabie Saoudite ? La colère des féministes qui demandent l’abrogation immédiate de l’article 475 ? Notre impuissance rageuse face à une société qui privilégie la préservation de l’ordre public à l’intégrité et aux droits des femmes ? Lors d’un débat organisé le 24 mars dernier, la mère de la victime a confié avoir poussé sa fille à épouser son violeur afin que l’honneur de la famille soit sauf. Le père, quant à lui, voulait porter plainte pour séquestration et viol, mais le système judiciaire, en encourageant ce mariage, a fait de lui une seconde victime. Qui est aujourd’hui responsable ? Le mari, répondra la majorité. La mère, penseront certains. L’Etat et le système judiciaire, affirmeront d’autres. Mais n’est-ce pas la société toute entière qui porte la responsabilité de la mort d’Amina car, au nom d’une certaine lecture de la religion et de valeurs traditionnelles, elle maintient des pratiques rétrogrades ? Celles-là même qui font qu’une mère est prête à sacrifier sa fille en l’offrant à son bourreau par peur du qu’en dira-t-on ? Puisque l’on ne peut réécrire le passé, il ne nous reste plus qu’à espérer que la mort d’Amina Filali, 16 ans, aura servi à quelque chose. Le gouvernement et la classe politique pourraient faire en sorte que cette histoire ne se reproduise plus jamais. Mais Bassima Hakkaoui, ministre de la Solidarité, de la Femme, de la Famille et du Développement social, en déclarant : “Parfois le mariage de la violée à son violeur ne lui porte pas un réel préjudice”, semble vouloir faire voler en éclat tout l’espoir des indignés, nous renvoyant une fois de plus, de manière fracassante, au fossé qui existe et se creuse chaque jour davantage entre une partie de la société qui veut le changement, et une autre qui veille à entretenir un rigorisme religieux et social. Combien de tragédies humaines faudra-t-il encore pour changer les lois ? Ces dernières doivent traduire des choix de  société, et aujourd’hui, deux chemins s’offrent à nous : l’un nous maintiendra dans le camp des sociétés archaïques ; l’autre nous en distinguera. Droits des femmes, libertés individuelles, liberté de culte… autant de débats à soulever, de changements fondamentaux à oser envisager pour qu’éclatent les tabous et que nous vivions enfin notre époque !

“Nous sommes renvoyés, une fois de plus, au fossé qui existe et se creuse chaque jour davantage entre une partie de la société qui veut le changement, et une autre qui veille à entretenir un rigorisme religieux et social.”

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