De l’histoire amoureuse du Maroc

Lequel d’entre nous n’a jamais tenté d’imaginer les amours de nos aïeux ? Existait-il des parades amoureuses ? de grandes histoires de cœur ? Avaient-ils les mœurs légères ou étaient-ils aussi pieux et bien ordonnés que ne veulent le laisser entendre les garde-fous de la morale ?

Malheureusement, au Maroc, le travail d’historien se limitait aux versions officielles brodées à la gloire des gouvernants. Par pudeur, on a tu les aspects moraux du quotidien de la société marocaine. L’amour et la sexualité étant dénués d’intérêt et sujets à des restrictions légales et religieuses, peu de témoignages filtrent du passé. Les rares textes qui s’y rapportent appartiennent à des orientalistes souvent accusés de fantasmer un Orient sulfureux aux mille et un vices pour exciter le saint et “chaste” Occident d’antan. Seuls quelques poèmes ou proverbes populaires insinuent le passé amoureux ou lubrique de nos grands-parents. Assez d’éléments en tout cas pour comprendre que nous ne descendons pas de saints… heureusement.

Maroc, terre de Calypso

Le premier épisode amoureux que l’on rattache au Maroc est le mythe d’Ulysse, retenu par l’extrêmement envoûtante Calypso. Pour rappel, il fit naufrage sur les côtes africaines et la nymphe, fille d’Atlas, le repêcha, le soigna, le nourrit et lui fit oublier sa Pénélope en le plongeant dans les plaisirs de la chair jusqu’à ce que les dieux lui ordonnent de le relâcher. Ce qu’elle fit à contrecœur… Faisons-nous plaisir en y voyant une origine mythologique au charme de la Marocaine qui ne cesse d’attiser les jalousies orientales !

Depuis cet épisode, l’histoire reste muette, jusqu’aux écrits de Saint-Augustin et Saint-Cyprien, qui rendent compte de la dissolution des mœurs des autochtones “berbères” et dédient une grosse part de leurs ouvrages à “la protection de la virginité” ! Les manuscrits révèlent la curieuse pratique locale du sacrifice à l’amour dans des temples de marabouts, où les amoureux s’unissent à l’ombre des arbres qui entourent le tombeau. Une recherche de bénédiction, peut-être… Quoi qu’il en soit, cette tradition persiste des siècles durant malgré l’avènement de l’islam, dont les préceptes sont des plus stricts et intransigeants, et jusqu’au début du 20ème siècle, à l’époque où nous parvient le premier ouvrage sur l’amour au Maroc, paru en France en 1911.

Fahrenheit sous le haïk

Christian Houel, né au 19ème siècle en Algérie, fut le premier journaliste à entrer au Maroc en 1904. Parlant la darija et habillé en Marocain, il parcourt le pays de long en large et se fait aisément adopter par les locaux, qui n’épargnent aucun détail ni effort pour combler sa soif d’apprendre. L’auteur de “Mes aventures marocaines” se fait d’ailleurs expulser plusieurs fois par les autorités du protectorat. Ce journaliste curieux des amours musulmanes au nord de l’Afrique fait état d’une surprenante “dissolution des mœurs”, à replacer bien entendu dans le contexte géo-historique. Son travail a d’autant plus de crédibilité qu’il est purement journalistique.

N’en déplaise à ceux qui veulent bien croire au passé pieux et chaste de nos grands-parents, nous sommant de revenir aux valeurs ancestrales et d’abandonner les pratiques récemment importées du vil Occident, nous découvrons un passif plutôt lubrique.

La poésie, véhicule de passions

N’étant soumis à aucune censure et ne se transmettant qu’à l’oral, les chants des chikhate constituent l’un des rares éléments documentant l’amour et la sexualité dans le quotidien des Marocains. L’on compte un certain nombre de textes, des plus transis aux plus grivois. Malheureusement, la tradition se perd, emportant avec elle un riche patrimoine en même temps qu’un tableau plus ou moins précis de la vie amoureuse au Maroc et de l’indulgence dont jouissent les amants.

L’un des premiers, mais surtout importants personnages relayés par la tradition orale est celui de Kharboucha, l’une des femmes qui osent chanter l’amour au point de rejeter les hommes de pouvoir. Mais son immortalisation est davantage due à sa bravoure et son courage politique.

La chanson retient également d’autres histoires telles que celle de Milouda Bent Driss, qui laisse son fils se faire dévorer par les loups pendant qu’elle jouit des faveurs de son amant au milieu de la forêt… Sinistre épisode qui n’épargne pas Milouda, ni ne rend compte de sa propre détresse.

Les chants amazighs gardent également des traces anciennes de passion amoureuse, telles que celles fortement tourmentées par le départ des hommes en France recrutés par Félix Mora, devenu légende dans le Souss, selon l’écrivain et journaliste

Lhoussain Azergui. Il traduit d’ailleurs des dizaines de chants dont ces vers : “J’aurais aimé trouver quelqu’un pour m’écrire une lettre à mon bien-aimé tout en gardant mon secret”, “J’aurais aimé être une lettre. Pliée dans la valise de mon bien-aimé”, ou encore “Mon amant me manque alors qu’il n’est pas encore parti. Imaginez ma peine lorsqu’il prendra le bateau”.

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