Qu’est-ce qui fait la particularité des parfums dits rares ?
Celso Fadelli :Il est très important de com-prendre la différence entre la parfumerie d’art, qu’on appelle aussi parfumerie de niche ou parfums rares, et la parfumerie convention-nelle. Savez-vous que le marché du parfum de masse lance plus de dix nouveautés par jour, qui ont une durée de vie moyenne d’un an ? C’est devenu une véritable industrie diffusée à grande échelle, qui donne trop d’importance à la demande du marché et à la communication, et qui ne laisse que très peu de place à la créa-tion. Alors que la parfumerie d’art s’appuie sur des maisons à taille humaine qui misent avant tout sur la qualité, à travers l’utilisation de matières nobles et naturelles.
Qu’est-ce qui donne autant de valeur à ces fragrances ?
La valeur est dans le jus ! Il est impossible qu’une fragrance conventionnelle égale l’in-tensité olfactive de la parfumerie de niche, car sans la possibilité d’avoir accès à des matières premières nobles et très rares, il est difficile de créer des senteurs inédites, voire exclusives. En plus, les créateurs n’ont généralement pas de li-mites de budget, ni de directives précises quant au parfum auquel ils doivent donner naissance. C’est beaucoup de passion et de création pour voir naître de petites collections de 5.000 à 10.000 pièces par an, alors que la parfumerie de masse produit près de 30.000 pièces par jour !
Pensez-vous que la femme marocaine sera sensible à la parfumerie d’art ?
La femme marocaine, et orientale de manière générale, a beaucoup de sensibilité face au parfum. La tradition du boukhour(l’encens, N.D.L.R.) inculque, par exemple, chez les Orientaux, l’importance des senteurs qui im-prègnent l’habit d’une personne. Et je peux vous dire qu’ils flairent très vite les bonnes odeurs ! Il suffit d’essayer deux ou trois fra-grances rares pour comprendre qu’il n’est pas question de marques connues, mais de choses magiques qui se communiquent à travers le jus. Je pense que les femmes maro-caines, qui ont la priorité de la beauté et de la féminité, saisiront la nuance.
On aime différents parfums selon les régions ?
Absolument ! En Amérique, par exemple, on aime les parfums très doux ; alors que dans les pays arabes, on préfère ceux boisés, à base d’oud, de rose noire et de safran. Cela fait 23 ans que je parcours le monde à la recherche de matières pre-mières et de senteurs d’exception. J’ai beaucoup voyagé, notamment dans les pays du Golfe, dont la culture me fascine, que je respecte énormément et que je commence à comprendre. J’arrive ainsi à percevoir le charme que peut dégager une femme qui se voile. Je trouve sensuel qu’elle conserve le secret de sa forme et de son intimité, du moment que c’est son choix. Les Occidentaux croient que ces femmes sont contraintes de se couvrir, or ce n’est pas vrai. C’est une histoire de culture. D’un autre côté, j’ai également saisi leur difficulté à être attractives et à communiquer leur féminité aux hommes. Et c’est là que le parfum devient un moyen de communication extraordinaire, voire incontournable, pour celles qui souhai-tent garder une image plus conservatrice. D’où mon idée de créer une fragrance qui puisse communiquer cette sensualité.
Vous avez donc créé un parfum pour les femmes orientales ?J
’ai effectivement créé la gamme “So Oud”, dont l’histoire est très curieuse. J’ai en fait pensé à travailler sur des ma-tières premières du Mo yen-O rient et d’Inde, surtout l’oud et le safran. Pour le flacon, j’ai choisi un design à l’européenne mais qui rappelle la burqa, puisqu’il ne laisse transparaître qu’un petit filet de parfum. C’était en 2009, au moment où le débat battait son plein en France sur son interdiction. Alors, j’ai pensé créer une conjonction de l’esprit oriental et occidental. J’ai souhaité dire à travers ce jus qu’il y avait deux parts de monde qui, si elles se rencontrent, créeront forcément quelque chose d’extraordinaire ! â—†