Art libre: Un peu beaucoup pas du tout!

Chaque mois, autour d'un café, FDM discute avec des jeunes d'un sujet qui les intéresse. Langage cru, nudité, religion... Que pensent-ils de la liberté de création ?

FDM Selon vous, doit-on imposer des limites à l’art ?
Hiba : Oui, il le faut, car les gens qui vont voir un film, une exposition ou assistent à un concert  appartiennent à des milieux socioculturels divers, ou ont différentes croyances religieuses. Certaines  productions peuvent porter atteinte à une confession ou une autre. Il faut donc imposer des limites afin de veiller au respect de tout le monde.
Majda : Je pense plutôt qu’on devrait imposer certaines règles aux artistes, en tenant compte de la religion, de la culture et des traditions.
Mehdi : Je suis pour et contre en même temps. Pour, dans la mesure où l’art devrait respecter les coutumes et la culture de la société. Comme le dit l’expression : “On peut rire de tout mais pas avec tout le monde”. Et contre, car on devrait laisser à l’artiste la liberté de s’exprimer. Si on freine l’art, on risque de se retrouver avec de fausses caricatures.
Badr : Non. Je pense que censurer l’art freine l’imagination et l’initiative de créer. Je crois qu’on devrait suivre l’exemple des pays qui n’imposent pas de barrières à l’art, et où c’est plutôt l’artiste qui se pose ses propres limites. L’art ne devrait pas heurter les autres. Il reste subjectif… certains aiment, et d’autres pas.

N’est-ce pas finalement au public de faire le choix d’aller voir une oeuvre ou non ?
Hiba : Oui, quand l’oeuvre en question nécessite un acte de déplacement volontaire. Mais pour les films, on ne peut rien contrôler. Par exemple, j’ai été voir “Casanegra” au cinéma avec ma mère. Certaines scènes n’étaient pas du tout appropriées, comme celle où Driss Roukh se masturbait. Plusieurs personnes on été choquées, y compris moi. Il aurait été préférable de retirer cette scène. Par contre, le langage cru du scénario ne m’a pas heurtée, car c’est une réalité qu’on vit au quotidien.
Majda : L’artiste peut toujours s’exprimer, dans les limites du respect. Cela ne va pas pour autant  influencer son expression ni sa créativité. Je rebondis sur “Casanegra” et le langage cru du scénario qui m’avait choquée. Je trouve qu’on peut toujours exprimer la réalité, mais de façon respectueuse. J’ai dû
regarder le film en catimini dans ma chambre car je ne pouvais pas le voir avec mes parents. Je diminuais systématiquement le volume quand quelqu’un rentrait. Alors que si cela avait été un film dans le respect des normes, je serais allée le voir en famille.
Badr : Je pense également que montrer une scène aussi obscène, dans un pays comme le Maroc, n’est pas acceptable. Une séquence pareille devrait non seulement être censurée, mais ne devrait même pas
être filmée à la base.
Mehdi : J’ai envie de dire qu’il faut faire la différence entre les artistes qui créent pour véhiculer un  message, et ceux qui exploitent l’art pour se faire connaître. Pour “Casanegra”, par exemple, s’il n’y avait pas eu la scène de la masturbation – et je diminue le volume pour prononcer le mot (rires) – et ce langage cru, je ne pense pas qu’on en débattrait aujourd’hui. Il y a eu plein d’oeuvres cinématographiques depuis, mais qui n’ont pas pour autant suscité le débat. Là, je me pose une question : est-ce que le public veut vraiment être confronté à sa réalité, ou bien fait-on ce genre de films parce que ça se vend mieux ? L’art moderne, contemporain, marche mieux que l’art classique ou l’art “propre” (rires).

Ce qui nous amène à la question suivante : que pensez-vous de l’expression “art propre” ?
Hiba : C’est une expression qui ne devrait même pas exister. Cette classification me paraît exagérée. Même quand je condamne les scènes choquantes, je ne les qualifie en aucun cas de “sales”.
Mehdi : C’est pour moi une forme de charia culturelle que le PJD cherche aujourd’hui à imposer. Il ne faut pas parler d’art propre parce que ça évoque simultanément l’existence d’un art qui ne l’est pas. C’est quoi un art “malpropre” ? Est-ce que c’est Latefa Ahrrare qui se déshabille dans sa pièce de théâtre ; ou Driss Roukh qui se masturbe dans “Casanegra” ?
Majda : Je trouve que parler d’art propre est catégorique. Cela suppose qu’il y ait un autre art “sale”. C’est un terme qui, à mon avis, ne devrait pas être employé car l’art est libre. On doit, certes, le limiter, mais raisonnablement. Il ne s’agit pas de juger les artistes ou de qualifier leurs créations de sales.
Badr : Je pense que l’art est fait pour bouleverser les gens et les inciter à changer. Si c’est carré, alors ça ne sera plus de l’art. Mais tout dépend de la mentalité et de la culture de la société.

Le Maroc a vu naître une nouvelle scène musicale urbaine, le rap entre autres, qui expose les problèmes de la société dans un langage cru. Qu’en pensez-vous ?
Mehdi : Personnellement, ça ne me dérangerait pas d’écouter du rap. Mais je ne voudrais pas, par exemple, que mon fils soit à mes côtés. On est jeunes et il est vrai que c’est un langage qu’on entend et qu’on peut employer entre potes, mais il n’est pas approprié pour les enfants.
Hiba : Seul, on peut regarder tous les films qu’on veut, écouter du rap, voir une expo, sans aucun  problème. Mais dès qu’une deuxième personne le fait avec nous, ça nous gêne. C’està- dire que je peux accepter telle chose quand je suis seule, mais pas quand je suis accompagnée. Tout dépend donc du contexte.
Majda : Je pense que ça dépend des sociétés et des cultures. Les jeunes sont modernes, libres et instruits, mais ils gardent leur propre culture, tradition et religion. Alors soit ils acceptent toutes les formes d’art, soit
ils les rejettent.
Badr : Le rap est destiné à une cible bien précise : des jeunes qui ont l’habitude de parler le même langage. Ça fait partie de leur monde et de leur quotidien, et ça ne les dérange pas d’écouter cette musique. Mais la présence des parents peut les mettre mal à l’aise…

Femmes du Maroc avait publié sur sa couverture la photo de Nadia Larguet, enceinte et nue… Que pensez-vous du nu dans l’art ?
Hiba : Je trouve que c’est beau. On y voit la beauté de la maternité. Moi je dirais que le nu immobile ne me choque pas autant que le nu en mouvement. Quand il s’agit de photos, de statues, de choses pas forcément palpables, ça ne me choque pas du tout. Mais quand c’est un nu en mouvement, c’est un
peu plus gênant…
Badr : Le fait que la photo soit en noir et blanc atténue la couleur de la chair. C’est donc moins attirant à mon avis. Je crois que ce n’est pas aussi choquant que si la photo était en couleurs.
Majda : J’aime bien cette couverture de Femmes du Maroc. Je la trouve belle et elle ne me choque pas du tout.

La question de la nudité a également été soulevée en réaction à une pièce de théâtre de Latefa Ahrrare, dans laquelle elle se déshabille. Quelle a été votre réaction ?
Badr : Venant d’une artiste marocaine, ça me choque. En fait, personne ne s’y attendait. Ça lui a fait de la pub, tout simplement.
Majda : Franchement, ça ne me gêne pas puisqu’elle est restée en sous-vêtements, donc elle n’est pas nue.
Mehdi : Je ne vois pas pourquoi ça devrait choquer l’audience puisqu’elle était en sousvêtements. Si ce même public croise Latefa Ahrrare en maillot de bain sur la plage, je ne pense pas que ça le dérangerait.
Hiba : Je n’ai pas assisté à la pièce mais ça ne m’aurait pas choquée de la voir se déshabiller sur scène. Par contre, si j’avais à réagir par rapport au caftan qu’elle portait à Marrakech, je dirais qu’il était  provoquant.

L’artiste Mehdi Lahlou avait mis en scène des versets du Coran sur son corps dénudé, suscitant le
scandale. Sommes-nous aussi dans la provocation quand l’art touche à la religion ?
Mehdi : Le Coran, c’est la parole de Dieu. On est dans un pays musulman. On est croyants. Donc, voir le Coran projeté sur le corps d’un individu, je trouve que c’est un manque de respect pour la religion.
Hiba : L’intention de l’artiste n’était pas forcément mauvaise, mais je crois que ça n’a pas été destiné au bon public. La religion est sacrée. Il ne s’agit pas d’interdire aux artistes d’en parler, mais de le faire intelligemment.
Badr : Je pense que les artistes n’hésitent pas à employer des méthodes choquantes qui feront parler d’eux. Ce n’est pas pour l’art, mais plutôt pour se faire connaître. Je suis pour la liberté de création, sauf quand ça touche à la religion.
Majda : Je pense aussi qu’il a fait ça juste pour se faire connaître ; ou peut-être n’avaitil pas forcément idée de ce que son travail allait déclencher comme critiques.

Est-il juste d’envoyer un artiste en prison à cause d’une création ?
Hiba : On a vu dernièrement le cas du cinéaste américain qui a été condamné pour avoir porté atteinte à la personne du prophète à travers son film. Quand nous sommes devant de tels cas, la sanction est une sonnette d’alarme. Quand l’artiste touche au sacré, je pense qu’une riposte est de mise.
Majda : Je suis d’accord avec Hiba. Quand on pénalise un artiste car il a dépassé les lignes rouges, il servira d’exemple pour les autres.
Badr : Je pense qu’il devrait y avoir un organisme régulateur qui supervise les créations, les films, les chansons… non pas pour censurer, mais seulement pour éviter les condamnations privatives de liberté.
Mehdi : Je dirais que l’excès de liberté tue la liberté. Si on laisse une très grande marge de manoeuvre à tous ces artistes pour faire ce qu’ils veulent et créer n’importe quoi, on risque de se retrouver avec des notions très dangereuses qui peuvent engendrer des répercussions sociales inattendues.

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