Un visage serein, une petite coupe de cheveux toute fraîche et un corps mûr mais encore bien galbé… rien ne laisse deviner qu’Assia, 51 ans, a affronté un cancer du sein il y a à peine cinq ans. Et pourtant, elle fait bien partie de ces nom-breuses battantes qui ont pu prendre le des-sus sur la maladie. “Quand mon médecin m’a annoncé la nouvelle, tout s’est effondré autour de moi. Mais passés ces premiers moments de panique, j’ai vite fait de dépasser mes craintes et de m’accrocher. Je suis une battante de nature, et il était hors de question que mon entourage jette sur moi un regard d’apitoiement. J’ai donc mis un point d’honneur à me relever aussi vite que possible, pour reprendre le cours de ma vie. Je suis certes passée par des semaines très difficiles à cause de la chirurgie et de la chimiothérapie, mais dès que j’ai pu, j’ai repris le travail. Je suis professeur universitaire et retourner à l’amphi était vital pour moi”. Assia, mariée et mère de trois enfants, a aussi puisé son courage dans le soutien inconditionnel de sa famille. Tout le monde était aux petits soins. “Dès que j’airepris des forces, mon mari et moi avons effectué plusieurs voyages. Heureusement, loin de nous séparer, la maladie nous a rapprochés d’une manière inattendue, et on a commencé à par-tager beaucoup plus de choses qu’auparavant. Ainsi, pour m’encourager, et sous prétexte que lui aussi avait besoin de revoir son hygiène de vie, il est allé jusqu’à s’inscrire dans un cours de yoga avec moi (rires) !
”Féminité mise à mal
Si le cancer du sein n’a presque pas laissé de cicatrices dans la vie d’Assia, pour beau-coup d’autres femmes, malheureusement, le tableau est moins rose. C’est le cas de Hind, qui a découvert son cancer un peu tard et qui a dû subir une ablation du sein. Cette jeune maman de 38 ans a toujours du mal à se rele-ver de cette épreuve, alors qu’elle s’est remise depuis bientôt trois ans et qu’elle a eu recours à une reconstruction mammaire. “Le fait d’avoir subi une mastectomie me marquera pour toujours. Jamais je n’oublierai le regard de ma petite fille, qui avait à peine cinq ans à l’époque, et qui ne comprenait pas pourquoi je n’avais plus qu’un seul sein. Je me sentais terriblement mal et je n’osais plus me mettre nue devant quelqu’un, surtout devant mon mari. J’ai dû vivre ainsi pendant plusieurs mois, alors je me suis recro-quevillée sur moi-même. Je ne sortais quasiment plus de chez moi, sinon pour aller à la clinique”. Au-delà de la mastectomie, il y a aussi cette période de traitement du cancer qui met l’aspect physique des femmes atteintes à rude épreuve. Chute des cheveux, des sour-cils et des cils à cause de la chimiothérapie, prise ou perte de poids… la physionomie des patientes est profondément perturbée, et il est parfois très dur de se réapproprier son nouveau corps. “Aujourd’hui, et après ma re-construction mammaire, je vais bien mieux. Mais j’ai conservé cette impression que mon corps n’est plus le même… Alors forcément, depuis, je fais beaucoup plus attention à mon apparence.”
Couple à l’épreuve
Une maladie grave comme le cancer du sein ne peut que profondément nous transformer. Tous les couples la décrivent comme une épreuve. Il y en a qui en pro-fitent pour en sortir plus soudés et plus solides, mais d’autres, qui la subissent de plein fouet, vont jusqu’à voir pointer le spectre de la séparation. C’était le cas de Hind, dont le mari a pris peur et s’est tenu de plus en plus à l’écart. “C’est vrai qu’au début, il m’a soutenue et m’a encoura-gée. Mais quand le verdict de la mastectomie est tombé, il s’est complètement effondré. Petit à petit, jour après jour, il s’est éloigné, prétextant qu’il avait beaucoup de travail et affirmant que ma mère était plus à même de prendre soin de moi. Je me suis donc ins-tallée chez elle, et on a vécu séparés pendant des mois. Après mon rétablissement, je suis rentrée chez moi, mais il était trop tard. On a fini par divorcer.”Ce genre de situations n’en finit pas de révolter Raja Aghzadi, chirurgienne du sein : “Pourquoi voulez-vous qu’il n’y ait plus d’épanouissement dans le couple parce qu’il y a un sein déformé ou manquant ? Aujourd’hui, il est capital que le regard que nous portons sur notre corps change. Les chiffres sont très alarmants et en 2030, huit femmes sur dix feront un cancer du sein. Donc, si on ne change pas notre façon de s’épanouir en couple, je crois que le monde court à sa perte !”
Dur retour à la vie d’avant
Epuisées par des mois de traitement, vient toujours le moment, pour les femmes actives, de retourner au travail. Il faut bien retrouver le cours normal de la vie quotidienne… “Sauf qu’après des mois d’arrêt maladie, on n’est plus considé-rée comme normale, raconte Hakima, 48 ans, directrice commerciale.O n est celle qui sort d’un cancer. Ce n’est pas évident de gérer les collègues. Tu as ceux qui sont com-plètement mal à l’aise en te parlant, et puis ceux qui veulent être sympas. Mais dans les deux cas, rien n’est naturel. Cela m’a posé problème avec mon patron aussi, pour qui j’étais un élément sur lequel il ne pouvait plus compter comme avant, alors que je me sentais entièrement remise. Mais j’ai fini par y arri-ver, à force de persévérance”. Au-delà de la reprise du travail, il y a surtout un retour à la vie sociale qui doit se faire. Car renouer avec le quotidien après un cancer du sein n’est pas chose facile ; d’autant plus que le combat se poursuit sous d’autres formes. Entre la fin du traitement de la maladie et les fameuses cinq années sans rechute, il y a, tous les six mois, les incontournables bilan sanguin, échographie et mammo-graphie. “La maladie, même vaincue, est toujours à l’esprit à cause de la peur perma-nente d’une rechute”, confie Assia. Mais il faut bien que la vie continue… â—†
“IL FAUT DÉMYSTIFIER LE CANCER DU SEIN !”
Entretien avec Raja Aghzadi, chirurgienne spécialisée dans la chirurgie du sein
Quels sont les progrès réalisés dans le traitement du cancer du sein ?
Aujourd’hui, au Maroc, le niveau de prise de conscience par rapport au cancer du sein est de plus en plus élevé. Résultat : nous sommes en train de passer à des tumeurs dont on guérit parfaitement. Il faut donc, à mon avis, démystifier le cancer du sein. D’autre part, les oncologues utilisent de plus en plus des techniques emprun-tées à la chirurgie esthétique. Cela permet de traiter la maladie dans les meilleures conditions, tout en respectant l’organe opéré, son volume et sa symétrie. Aujourd’hui, afin de ménager la femme, il faut opérer en obéissant aussi bien à des règles médicales qu’es-thétiques. Ce n’est pas un confort, mais un droit.
De quel accompagnement bénéficient ces femmes ?
Pour ce qui est du soutien psychologique, nous n’avons pas de thérapeutes spécialisés en la matière, contrairement à ce qui se passe en Occident. L’accompagnement se fait donc essentielle-ment par la famille, y compris le mari, à quelques exceptions près. Une petite minorité de femmes, qui n’arrivent pas à remonter la pente, vont en effet avoir recours à des psychologues. Mais c’est loin d’être la norme dans notre société.
Comment se fait le retour à la “vie normale” ?
Personnellement, j’essaie d’imposer une règle d’or à mes patientes. Une fois le cap de la chirurgie dépassé et qu’on démarre l’étape de la chimiothérapie, je leur demande de reprendre une vie normale de manière précoce. Donc, si j’ai un conseil à donner aux femmes actives, c’est de ne pas arrêter de travailler. Sinon, c’est la rupture avec la vie sociale et le retour se fera forcément dans la douleur.
Qu’en est-il du retour à une sexualité “normale” ?
Plus la sexualité reprend vite, mieux c’est pour la femme, pour sa guérison et son épanouissement. Il faut juste faire en sorte de ne pas tomber enceinte. Autrement dit, je recommande la re-prise très rapide d’une sexualité équilibrée. C’est comme pour le travail : plus la réinsertion est rapide, mieux c’est. Dans le couple aussi, quand il y a un éloignement trop important, le retour se fait forcément plus difficilement.