Amina Slaoui, une leçon de vie

Elle avait tout, et en une fraction de seconde, sa vie a basculé. Comment continuer de vivre quand on doit redécouvrir son propre corps ? C'est ce qu'a appris Amina Slaoui en faisant preuve d'un courage à toute épreuve et d'un amour inconditionnel de la vie.

Mon accident

J’ai eu un accident en août 1992, alors que j’étais en vacances avec mon mari, et je me suis retrouvée paraplégique. Avant que les médecins ne me donnent leur diagnostic, je savais déjà… Car quand ça arrive, on le sait tout de suite. Au fond de soi, une petite voix nous dit : “Attention, grand changement !”. Quand je suis tombée et que cette pierre m’a heurtée en plein milieu du dos, j’ai senti la vie se retirer de mes jambes. C’était très rapide. A ce moment précis, je n’avais pas besoin d’un médecin pour me dire ce qui m’arrivait. Etant en plein milieu de la brousse, à 8 heures de route de l’hôpital le plus proche, mon objectif était de tenir le coup jusqu’à ce qu’on me prenne en charge. Si je m’étais préparée instinctivement à ce qu’allait m’annoncer les médecins, c’est en revanche mon mari qui a pris le choc en pleine figure…

Vivre ou se laisser aller

J’ai passé six mois de rééducation à l’étranger, aux Etats-Unis puis en France, car à l’époque, il n’y a avait pas de centre de rééducation au Maroc. C’était très difficile à vivre car j’étais loin de ma famille et de mes enfants qui étaient alors en bas âge. Je me suis fixé comme challenge d’essayer de récupérer ma mobilité, ma motricité. Ce qui n’est pas arrivé d’ailleurs, mais quand on a un accident de ce type, on garde toujours l’espoir au fond de soi qu’on remarchera un jour et qu’on retrouvera son indépendance. Ces six mois m’ont permis d’apprendre à vivre avec mon handicap, avec ce nouveau corps. Je me suis dit qu’il n’y avait pas 36.000 solutions. Soit je me laissais aller au point de faire pitié et de faire fuir tout le monde autour de moi, soit j’acceptais la chose telle qu’elle était et je faisais de mon mieux pour récupérer. D’un côté, je refusais la situation et de l’autre, je faisais preuve d’un grand calme et c’est ce calme qui m’a permis d’agir comme je l’ai fait par la suite. Récupérer était donc mon principal objectif. Ça paraît peutêtre facile, mais j’ai mis un an à aller au bout de mon travail de deuil, car on passe d’abord par une longue phase de questionnement et de déni.

Une nouvelle perception du monde

Tout change. On se retrouve amputée d’une partie de son corps et il faut apprendre à réapprivoiser cette enveloppe, qui n’est plus celle avec laquelle on a vécu pendant des années. C’est un autre corps, qui réagit de manière complètement différente. Physiquement, c’est difficile. Le manque de mobilité, c’est ce que les gens voient au premier abord, mais c’est tout ce qui est derrière et que les gens ne voient pas qui est pire… Faire attention aux problèmes de peau car une escarre est vite arrivée, aux infections urinaires car on y est très sujet et celles-ci représentent une des premières causes de mortalité. douleurs qui commencent à apparaître et qui peuvent rendre fou car elles sont d’ordre neurologique, sans compter toutes les souffrances à l’intérieur qu’il faut gérer… Ça c’est pour le côté physique. Toutes les premières fois sont très difficiles à vivre, car on doit désormais faire assis tout ce qu’on avait l’habitude de faire debout. Mais il faut aussi s’habituer au fait qu’on se retrouve au niveau de la ceinture des gens… C’est une autre perception du monde. Puis vient le côté émotionnel avec le regard des autres, dont on doit apprendre à ne pas tenir compte.

Le besoin de donner

Quand je suis rentrée au Maroc en mars 93, après mes six mois de rééducation, on parlait d’une nouvelle association, l’AMH, qui venait de faire un téléthon, mais sans télévision à l’époque, ce qui est assez drôle, et avait organisé un convoi de solidarité à travers plusieurs villes du pays pour  sensibiliser les gens au quotidien des personnes handicapées, ainsi que pour collecter de l’argent afin de financer différents projets. A ce moment-là, j’avais une société de communication et j’ai eu envie de les aider. Je me suis dit qu’il fallait revoir l’identité visuelle de l’association et faire parler d’elle. J’ai donc fait mes premiers pas dans l’associatif en apportant mon expertise à l’AMH.

J’avais besoin de me retrouver avec des gens comme moi, de bouger. C’est un monde nouveau dans lequel on se retrouve, où tout reste à découvrir et dans lequel j’ai rencontré des gens absolument extraordinaires. J’avais aussi besoin de sortir de “ L ’ACCESSIBILITÉ EST NOTRE PRIORITÉ CAR CE SONT LES BARRIÈRES ÉRIGÉES PAR LA SOCIÉTÉ QUI FONT LE HANDICAP.” ma condition, de ne plus penser seulement à ma petite personne, de faire quelque chose d’utilitaire. J’avais besoin d’un gros challenge…

J’avais besoin de donner.

C’est la société qui fait le handicap

La perception du handicap chez nous est erronée et il faut que cela change. L’accessibilité est notre cheval de bataille car nous ne sommes pas seulement limités dans nos corps, mais aussi au sein de notre environnement qui n’est pas adapté car si c’était le cas, on ne se sentirait pas handicapé.

Pour preuve, quand je me rends aux Etats-Unis par exemple, je me sens libre. Ce sont les barrières érigées par la société qui font le handicap, or je suis moins handicapée que beaucoup de gens de ma connaissance. On parle de nous comme “les handicapés”, une catégorie à part dans laquelle on range aussi les sourds, les malentendants, les handicapés mentaux, les paraplégiques… Pourquoi cette étiquette ? Pourquoi ne pas au moins nous appeler “personne handicapée” ? C’est peut-être un désir de mettre une frontière entre valides et handicapés…

En bref et en chiffres

L’AMH compte 5000 adhérents et nous menons des actions de soutien, d’accès à l’école, d’assistance juridique… En bref, tout ce qui contribue à faciliter l’accès aux personnes handicapées et à effectuer des actions de développement. Nous avons aussi ouvert le centre de rééducation “Noor” et nous en inaugurons bientôt un autre à Salmia, pour la rééducation et la réadaptation, grâce au financement de l’INDH. Pour prendre en charge le handicap et se réinsérer, on se rend compte qu’il est indispensable qu’on ait des lois qui nous protègent. Avec l’AMH, nous avons donc créé un collectif d’associations pour représenter un levier important. Le changement est long et j’aimerais que ça aille plus vite. Il faut de la volonté et des moyens pour procéder à une complète remise à niveau car il faut savoir que l’exclusion des personnes handicapées coûte 2 % du PIB au Maroc. Le taux de scolarité chez les personnes handicapées est de 34 %, ce qui est 3 fois inférieur au taux national ; et 12 % des personnes en situation de handicap sont privées de travail. La loi qui prévoit que 7 % des places de la fonction publique soient réservées aux handicapés n’est pas appliquée. On ne demande pas la charité, mais l’application de nos droits. C’est une demande légitime, c’est notre droit en tant qu’être humain. â– 

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