Vous avez monté votre première association à l’âge de 18 ans. A quoi aspire un jeune de cet âge ?
Ahmed Ghayat : J’ai vécu à Paris, à Barbès, un quartier mixte et donc préservé du racisme. Mais en 1983, il y a eu toute une série de crimes. Ça a été une sorte de déclic. Mon premier mo-teur était la lutte contre la discrimination mais en même temps, je me suis investi dans une radio communautaire pour laquelle j’animais une émission sur les magrébins
Après une longue carrière en France, vous décidez de rentrer au bercail…
J’ai rencontré Martine Aubry, qui était à l’époque présidente de la Fondation Agir Contre l’Exclusion, et qui a développé en moi l’envie d’engagement. Lorsqu’elle est devenue ministre de l’Emploi, elle m’a de-mandé de rejoindre son cabinet en tant que conseiller pendant trois ans. J’ai rejoint ensuite celui d’Elisabeth Guigou, qui était ministre de la Justice. A la fin de son mandat, on m’a proposé le poste de directeur adjoint du Fonds d’Action Sociale, mais j’avais déjà pris la décision de rentrer au Maroc pour me ressourcer. Mon retour a coïncidé avec les attentats du 16 mai 2003, à Casablanca. Je me suis donc retrouvé bousculé par les événements. J’avais envie de réagir. Avec quelques personnes, nous avons donc initié le mouvement “Matkich bladi”
Pensez-vous qu’être un beur ouvre des portes au Maroc ?
Je ne pense pas. Car si les Français nous considèrent comme des étrangers, il en est de même pour les Marocains. On a toujours une spécificité qui fait qu’on est différents. Mais pour moi, c’est un plus. Les nouveaux beurs, les golden boys, rentrent au Maroc pour faire du business et monter des projets. Ceux de ma génération sont revenus pour participer au développement du pays.
Ce qui vous a amené à rédiger deux livres, “La saga des Beurs d’origine marocaine en France” et “Les beurs, génération Mohammed VI”. Etait-ce un cri du cœur ?
J’ai rédigé ces deux livres car il était impor-tant pour moi d’expliquer qui nous sommes, nous, les beurs. Les gens ne connaissent que les stéréotypes. Nous restons tout de même des Marocains, mais avec un autre vécu et d’autres expériences. Sans vouloir donner de leçons, j’aimerais insister sur l’importance de l’engagement. Je me sers de ma condition de descendant d’immigrés comme un tremplin, pour faire rebondir des idées. D’ailleurs, je suis en train de rédiger un autre livre, “De l’autre côté du soleil”, qui parle de la jeunesse d’ici.
Il y a quatre ans, vous avez fondé l’association “Marocains Pluriels”. Quel est son objectif ?
L’idée de cette association était de réunir dans un même groupe des Marocains qui ont vécu ailleurs et qui sont rentrés au ber-cail, d’autres qui n’ont jamais quitté le pays, et des Français du Maroc. On pense que la pluralité de l’identité marocaine a besoin d’exister dans le cadre d’une association. “Marocains Pluriels” a deux axes : s’ouvrir à l’autre, et encourager les jeunes à s’en-gager. Selon moi, la nouvelle génération marocaine a besoin de mentors auxquels s’identifier. En France, les jeunes ont des modèles identificateurs, des grands frères, des idoles. Ici, ils sont livrés à eux-mêmes. Pour eux, quelqu’un qui réussit est un dea-ler ou un malfrat. Il faut leur montrer qu’il y a des gens qui s’intéressent à eux.
Cet intérêt pour la jeunesse a-t-il été à l’origine de la création des rencontres/débats Café Politis ?
Oui, tout à fait. Le premier bénéfice du Café Politis est que les jeunes prennent de plus en plus la parole, et ne se contentent pas uniquement d’écouter. C’est quelque part un lieu où on apprend à s’exprimer. Les avis différents sont respectés et écoutés. En outre, nous débattons de sujets qui pous-sent la nouvelle génération à oser parler. Il y a, certes, des valeurs auxquelles il faut s’attacher, mais il existe aussi des faux ta-bous qu’il faut dépasser.
Certains pensent que vous avez tendance à vous approprier des causes médiatisées afin de rester sur le devant de la scène. Que leur répondez-vous ?
Après tant d’années au service du mili-tantisme, être sur le devant de la scène ne m’intéresse pas. Mais surfer sur l’ac-tualité, oui, pourquoi pas ? Par exemple, pour le cas de la petite Wiam (fillet te violée et défigurée, N.D.L.R .), la marche blanche à laquelle j’ai pris part a été ini-tiée par Rachid El Idrissi, Amal Essaqr, ou encore Don Bigg. Je n’étais que la cheville ouvrière. Je me suis reconnu dans la cause et j’y ai apporté mon savoir-faire du ter-rain. En plus, je ne vois pas en quoi mes prises de position personnelles auraient un quelconque but ostentatoire
Ces mêmes personnes vous ont reproché votre absence lors du Daniel Gate…
Je ne me suis pas tu. Je tente toujours de défendre une ligne médiane. Quand cette affaire a éclaté, j’ai déploré la libération du pédophile, mais je n’ai jamais pensé que le roi Juan Carlos avait délibérément deman-dé sa libération. Notre roi n’aurait pas non plus remis en liberté un criminel en toute connaissance de cause. D’ailleurs, il a annulé sa grâce. Les réseaux sociaux se nourrissent de polémiques. Je reste donc toujours au mi-lieu, car je pense à la responsabilité que j’ai vis-à-vis des jeunes. Je n’ai pas à faire d’eux des béni-oui-oui ni des enragés.
Quelle est votre position par rapport au baiser interdit de Nador ?
Un bisou ne devrait pas conduire en pri-son. Dès le départ, on a agi sans forcément le crier sur tous les toits, contrairement à ceux que j’appelle les “nihilo-compulsifs”, qui en font tout un plat. Contester sans proposer ne sert à rien. Au contraire, c’est contre-productif. On a donc activé notre réseau avec quelques organismes maro-cains, mais on a aussi fait du terrain, en pre-nant position lors d’émissions, de débats et de rencontres. Ces jeunes ont été remis en liberté et j’espère qu’aucune charge ne sera retenue contre eux.
Et l’affaire d’Ali Anouzla ?
Je ne suis ni pour, ni contre, mais je ne me suis pas encore fait un avis définitif. Je suis pour la liberté de la presse, mais je pense qu’un journaliste ne doit pas, déontolo-giquement parlant, publier une vidéo qui fait l’apologie du terrorisme. On aurait pu laisser Ali Anouzla libre tout en engageant des poursuites à son encontre, si la justice estime qu’il est coupable. Mais au final, a-t-on le droit de tout publier ? â—†