De l’ethnobotanique à la parfumerie, il y a tout un monde (d’effluves) à franchir mais notre homme n’a pas eu peur du voyage. Un voyage commencé en 1999 et dont les escales ont pris le nom de ses villes fétiches, Marrakech, Mogador, Casablanca, Fès, Agadir… Une démarche qui a permis à ce nez hors-norme d’être aujourd’hui à la tête d’une entreprise florissante, Les parfums du soleil.
C’est quoi l’odeur pour vous ?
Une poésie qui éveille des sensations et des souvenirs, un peu à la manière d’une madeleine de Proust, des notes de séduction qui ne laissent personne indifférent, un bouquet de sensualité parsemé derrière soi. Il y a tellement à dire à ce sujet…
Comment décririez-vous le parfum idéal ?
Ce serait un parfum qui ferait autant de bien à la personne qui le porte qu’à la personne qui le sent. C’est très complexe comme équation mais très gratifiant lorsque l’on y arrive, parce que la senteur devient alors synonyme de plaisir et de partage.
Comment choisir le sien ?
En testant plusieurs molécules les yeux fermés jusqu’à trouver celle qui nous transporte, qui nous fait rêver et provoque un déclic à l’instant T. Ne pas se laisser influencer par un nom ou une marque mais par l’éveil des sens engendré par une note. N’oublions pas que la fonction première d’un parfum, c’est l’aromathérapie. Il doit donc y avoir un rapport entre l’humeur dans laquelle on se trouve, celle que l’on souhaite avoir et le parfum acquis.
Quelle est votre dernière trouvaille olfactive ?
Il y a quelque temps, j’étais dans l’Atlas et je suis tombé sur un petit narcisse à l’odeur très particulière, à mi-chemin entre la vanille et le caramel. Rien à voir avec le narcisse blanc que l’on connaît. J’aimerais en faire quelque chose. Sinon, je suis également fasciné par le mélange de tabac et de cuir. Cette alliance apportera la touche finale à un parfum pour homme que je peaufine actuellement.
Il y a d’autres mélanges de ce type que vous avez envie de réaliser ?
Je pense souvent à combiner des résines comme le styrax, le benjoin ou la myrrhe avec une décomposition de oud. C’est très particulier comme association, parce que cette décomposition s’obtient grâce à un champignon. La nature est une bibliothèque olfactive où les mélanges les plus improbables peuvent produire des merveilles d’originalité.
Quelle méthode d’extraction utilisez-vous dans vos laboratoires ?
Pour la rose et la fleur d’oranger, j’ai recours à l’extraction par la vapeur. En revanche, quand je trouve des molécules non disponibles sur le marché (des graines particulières, des bouts de bois, un type de fleurs), je procède à la macération par l’alcool.
Combien de parfums avez-vous créé en tout ?
Depuis que j’ai commencé, j’ai dû en produire quinze pour le corps et quatre pour l’ambiance. Le premier d’entre eux m’a été suggéré par Yves Saint Laurent avec qui j’ai travaillé à la rénovation du Jardin Majorelle. Il voulait une fragrance pour symboliser l’endroit et le rappeler au souvenir des visiteurs qui l’achèteraient. L’eau de toilette Jardin Majorelle a vu le jour en 2002.
Quel est le cliché le plus récurrent dans votre activité ?
On croit à tort que tous les parfumeurs sont des nez. La plupart du temps, ce sont des designers qui s’appuient sur des nez pour réaliser de nouveaux parfums.
Vous avez créé deux musées à Marrakech, une école à l’extérieur de la ville et vous organisez de nombreuses activités pour les jeunes. Qu’est-ce qui a motivé ces initiatives ?
J’ai toujours été convaincu que l’absence d’art dans la vie d’un enfant ou d’un adulte créait un terrain propice à la violence. Cette réflexion m’a encouragé à affecter une partie de mes bénéfices à l’épanouissement culturel des petits et des grands. Le parfum, c’est le partage à petite et grande échelle.
Souvenirs Au pif L’odeur qui vous réconforte ? Un mélange de citron et de vanille. Ça me rappelle mon enfance et les gâteaux de ma grand-mère. Une odeur que vous détestez ? Aucune. Un parfumeur n’a pas le droit de détester une senteur, comme un écrivain n’a pas le droit de détester un mot. Toute odeur est bonne à connaître. Si vous ne deviez emporter qu’un parfum avec vous ? Le musc, je l’ai toujours associé à l’animal dont on l’extrait. Un animal libre, orgueilleux, que l’on chasse malheureusement pour satisfaire nos envies esthétiques… Le parfum de votre femme la première fois que vous l’avez rencontrée ? Elle portait une essence à base de citron vert. C’était dans le registre des arômes qui ont bercé mon enfance. Les trois odeurs de votre adolescence ? La rose, la fleur d’oranger et la cannelle. Les deux premières étaient beaucoup utilisées par les femmes de ma famille comme cosmétiques ou pour accueillir les invités. La cannelle, elle, entrait dans la préparation de mes desserts favoris. Votre cadeau à Jean-Baptiste Grenouille, s’il avait existé ? Un orgue à parfum très bien fourni pour lui éviter de tuer des gens ! Plaisir des yeux ou plaisir du nez ? Le second parce que j’ai toujours privilégié mon odorat. L’odeur qui vous rappelle votre mère ? Un mélange de henné et de rose. Ça m’émeut toujours autant. Une odeur qui vous hante ? Celle d’une variété de champignons que l’on retrouve dans les forêts européennes et qui rappelle la chair humaine en état de décomposition. Ça me met très mal à l’aise. Il y a aussi celle du sang, pour son côté morbide et sacrificiel. L’odeur des vacances ? Le foin et l’herbe fraîchement coupée. Enfant, chaque fois que j’avais du temps libre, j’aimais me perdre dans la campagne pour observer la nature. Mon esprit continue de faire le lien entre les trois. Un parfum de scandale ? Il est ostentatoire, capiteux, concentré et de synthèse. Un parfum de très mauvais goût donc… |