La transformation digitale s’est imposée comme une évolution au service de l’éducation. À l’ère du numérique, impossible de passer outre. L’avenir de l’éducation comme tant d’autres secteurs, passe par le 2.0. Conscient de cette réalité inéluctable, le ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports (MENPS) a renforcé l’intégration du numérique à travers sa feuille de route 2022-2026. Erigée comme priorité nationale, sous l’impulsion du Roi Mohammed VI, la refonte de l’éducation nationale a pris un nouvel élan à travers ce vaste plan d’action qui s’inscrit dans une dynamique de réformes politiques et institutionnelles de grande envergure, s’appuyant à la fois sur la loi-cadre 17-51 et les orientations énoncées dans le Nouveau modèle de développement (NMD) ainsi que sur le programme du gouvernement deAziz Akhannouch qui a fait le choix clair de placer l’éducation parmi son trio principal de priorités. “La transformation de l’apprentissage par le numérique est complexe”, soutient Ilham Laaziz, directrice du programme GENIE (l’un des premiers programmes ministériels autour du numérique au Maroc) au sein du MENPS. “Cependant la maturité actuelle du corps pédagogique qui a vécu une intégration progressive des Technologies de l’information et de la communication (TIC) dans l’enseignement depuis 2007, est aujourd’hui au cœur de la mise en œuvre de la réforme avec une forte présence du numérique au service de la pédagogie.” Et de poursuivre : “C’est un véritable défi que le ministère de tutelle relève, avec toutes ses forces vives -enseignants, directeurs d’établissements, inspecteurs, administrations, parents d’élèves- afin de faciliter les accès à des outils et solutions numériques de qualité, de gérer le parc informatique qui est de plus en plus important, de former les enseignants d’une façon continue ou de prévenir des risques et impacts inhérents aux technologies émergentes.”
L’E-éducation en 2024
Deux ans après sa mise en œuvre, la feuille de route 2022-2026 élaborée pour offrir une école publique de qualité, a lancé plusieurs projets phares à l’instar des “écoles pionnières” qui adoptent une approche innovante autour du triptyque : élèves-enseignants-établissement. Ce nouveau modèle éducatif se basant notamment sur des outils numériques, vise à améliorer le processus pédagogique et hisser le niveau de maîtrise des apprentissages. Lancé à la rentrée 2023-2024, il a concerné 626 écoles primaires publiques, dans les milieux urbains, semi-urbains et ruraux, avant d’être élargi progressivement cette année à 2 626 établissements primaires. En parallèle, 232 collèges pionniers ont été ciblés en 2024. La liste des outils développés à travers ladite feuille de route est longue. Parmi eux, Scenariprof (www.scenaris.ma). “Cette plateforme héberge actuellement un ensemble de Scenarii pédagogiques interactifs diversifiés, des démarches pédagogiques préconisées pour enseigner quatre disciplines au cycle primaire, à savoir les mathématiques, l’éveil scientifique, la langue arabe et la langue française”, décrit Ilham Laaziz. “De manière similaire, elle s’adresse au cycle secondaire en englobant les disciplines scientifiques enseignées en langue française (DNL) : physique-chimie, Sciences de la Vie et de la Terre, mathématiques et technologie.” Autre solution 2.0 ? Le projet de renforcement des langues. Ce projet pilote mené en 2022-2023 dans plusieurs collèges a permis d’évaluer les besoins en matière de renforcement des compétences linguistiques des élèves et des enseignants, comme l’explique cette spécialiste. “Il a abouti à la définition d’un cahier des charges en vue de sélectionner des plateformes pour l’apprentissage des langues (arabe, français et anglais) au profit des élèves des collèges pionniers, au sein des établissements scolaires ou en autonomie à domicile”, détaille-t-elle. “150.000 élèves vont y accéder en 2024 pour atteindre progressivement 1,5 millions d’élèves des 2200 collèges à l’horizon 2026.” Quant à la langue Amazigh, elle fait l’objet de développement d’une plateforme spécifique dans le cadre d’un partenariat avec le ministère délégué chargé de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration (MTNRA) et sera accessible à la rentrée scolaire prochaine. La plateforme Parcours Pédagogique Numérique (PPN), d’enseignement des Sciences, est également l’un des moyens numériques mis en place pour soutenir les collégiens et lycéens. “Elle assure la traçabilité de l’évolution des apprentissages des élèves, générant des rapports personnalisés et automatiques pour les enseignants, favorisant ainsi une remédiation ciblée et une pédagogie différenciée”, explique Ilham Laaziz, avant d’énoncer quelques projets en cours de construction comme LMS (système de gestion des apprentissages) qui “permettra aux enseignants et aux élèves d’accéder aux ressources numériques propriétaires et libres on line et en off line”. Un accès à toutes les ressources numériques du ministère en zéro rating au sein des établissements et dans les foyers, qu’ils soient en milieu urbain ou rural.
Une plateforme collaborative
Pour permettre de développer des solutions numériques répondant aux exigences de la mise en œuvre de la réforme de l’éducation, le laboratoire “Digital Lab” a vu le jour après la signature en février 2024, d’une convention de partenariat entre le ministère de l’Éducation nationale, du Préscolaire et des Sports, le ministère délégué chargé de la Transition numérique et de la Réforme de l’administration (MTNRA), le ministère délégué chargé du Budget et la Caisse de dépôt et de gestion (CDG). Cette initiative a pour ambition de réaliser à la fois les objectifs de la Feuille de Route 2022-2026 du MENPS ainsi que ceux de la Stratégie Nationale de Développement du Numérique élaborée par le MTNRA. Le Digital Lab se veut une plateforme collaborative mobilisant les acteurs publics et privés, nationaux et internationaux, pour développer et déployer des solutions numériques accessibles à l’ensemble des élèves marocains. Cette initiative doit permettre l’émergence d’un écosystème Edtech* marocain dynamique et innovant, capable de se hisser au rang de leader en Afrique et dans la région MENA, comme l’appuient le MENPS, le MTNRA et la CDG dans leur Appel à Manifestation d’Intérêt (AMI) lancé en juillet 2024 auprès des acteurs opérant dans le domaine de la Tech. “C’est une initiative audacieuse et novatrice”, souligne Tayeb Ghazi, économiste senior au Think TankPolicy Center for the New South (PCNS) travaillant sur des thèmes liés au marché du travail, à l’éducation, à la migration. “L’un des principaux avantages du Digital Lab réside dans sa capacité à personnaliser l’enseignement en fonction des besoins de chaque élève”, développe-t-il. “En offrant des ressources personnalisées, il assiste les élèves dans la compréhension de leurs matières et l’optimisation de leurs compétences. La plateforme favorise aussi l’innovation en pédagogie, permettant aux enseignants de tester de nouvelles approches d’enseignement et d’apprentissage.” Néanmoins, comme il le pointe du doigt, diverses problématiques nécessitent d’être examinées afin d’évaluer pleinement les implications du Digital Lab. “Est-ce que la plateforme est véritablement accessible à tous, même aux élèves et enseignants qui ont des ressources limitées ou une connexion Internet lente?”, interpelle-t-il. “Malgré les efforts du ministère pour améliorer l’accessibilité dans les régions éloignées, il est essentiel de former les enseignants à l’utilisation de ces nouveaux outils numériques. Les formations prévues par le ministère doivent démontrer qu’elles sont efficaces pour aider les enseignants pendant cette période de changement.” Et d’ajouter : “Il est aussi important de garder un œil sur la qualité et la pertinence des contenus pédagogiques. Il est crucial de s’assurer que ces derniers répondent aux besoins des élèves et respectent les normes pédagogiques. Autre défi : réussir à intégrer harmonieusement le Digital Lab avec les autres systèmes éducatifs (outils et plateformes) déjà en place afin d’assurer une adoption simple et efficace par tous les membres de la communauté éducative.”
Une idée de “GENIE”
“Il y a une prise de conscience et une volonté politique pour renforcer la digitalisation dans le système éducatif”, appuie Hamza Debbarh, PDG et fondateur d’ARKx Education, une fabrique de talents formant des jeunes dans le domaine de la Tech. “Les investissements sont également là. Des projets sont lancés, testés et certains fonctionnent déjà. Mais, à mon sens, nous ne sommes qu’au tout début de la digitalisation de l’apprentissage.” Une digitalisation qui a été pourtant véritablement amorcée (et on l’oublie) en 2005 à travers le programme GENIE, mis sur pied pour généraliser les TIC dans le système éducatif marocain. “Ce programme s’articule autour de quatre composantes clés à savoir : l’infrastructure, la formation, les ressources numériques et le développement des usages”, détaille Ilham Laaziz. “Plusieurs stratégies complémentaires” (NDLR : la stratégie initiale de 2005 -actualisée tous les 5 ans-, la Loi Cadre 51.17, adoptée le 9 août 2019, établissant un cadre législatif pour la réforme du système éducatif, le Plan d’Action Numérique 2026, …) “ont été mises en place pour concrétiser les objectifs ambitieux du programme GENIE en matière d’amélioration de la qualité de l’enseignement et d’apprentissage au Maroc.” Ses principales réalisations ? Des valises multimédias (VMM) comprenant un ordinateur portable et un vidéoprojecteur pour 9 200 écoles et 3 927 unités satellites, des salles multimédia (SMM) et VMM avec connexion Internet pour 4 690 établissements, le renouvellement de 64% des salles multimédia de GENIE1 (2007) et GENIE2 (2010), l’équipement de 7439 salles de cours par un kit de projection dans 626 écoles pionnières en 2023, comme l’énumère cette experte. Le programme GENIE a également permis l’équipement de 10.677 enseignants des 626 écoles pionnières par un PC portable en 2023, ou encore la distribution de 9658 tablettes (donation de divers partenaires) pour les élèves ainsi que la connexion de 10.683 établissements scolaire dont 54 % en milieu rural. Ce n’est qu’en 2020 que la digitalisation de l’école a pris un nouveau tournant en raison de la crise sanitaire engendrée par le Covid-19. Mais, encore aujourd’hui, plusieurs défis persistent, comme le déplore Tayeb Ghazi. “Le principal problème est l’inégalité d’accès aux outils digitaux entre les élèves, particulièrement entre les milieux urbains et ruraux, ainsi qu’entre les différentes strates socio-économiques”, signale-t-il, zoomant sur le rural, l’économiste rappelle les obstacles dont fait face la population : “L’accès à une connexion Internet fiable et rapide est un autre problème majeur dans ces régions. Les familles rurales ont généralement moins de ressources financières pour acheter des ordinateurs ou des tablettes.” Et d’affirmer : “Pour pallier ces problèmes, des initiatives spécifiques sont parfois mises en place, comme la distribution de tablettes ou la mise en place de centres d’accès communautaires équipés en outils numériques. Mais elles restent souvent limitées en portée et en nombre.”
Un tableau en demi-teinte dépeint par ce spécialiste alors que le ministère de tutelle promet et s’est engagé, à travers la feuille de route 2022-2026, à améliorer les ressources économiques, les méthodes d’apprentissage et l’utilisation des outils numériques pour l’enseignement. Il assure aussi résorber la fracture numérique et sociale, les inégalités d’accès et de connexion, et en finir avec le décrochage. Car l’enjeu est immense : préparer les enfants aux exigences de demain…
* EdTech désigne les entreprises spécialisées dans les nouvelles technologies qui disposent d’une expertise dans le domaine de l’enseignement