Vous abordez dans votre troisième roman, un sujet délicat, odieux, tabou : le viol sur mineur. Pourquoi ce thème ?
Je raconte avant tout une histoire et il me semble que plusieurs thèmes s’en dégagent, en premier lieu celui de la hiérarchie des nombreuses dominations dans la société marocaine où j’ai grandi. La violence sexuelle à l’égard des enfants en est l’expression la plus violente. Et il m’a toujours semblé nécessaire de raconter ses mécanismes complexes à travers un roman. Ce dernier, par une immersion dans des parcours individuels ressemble à la vie : il ne s’interdit rien.
Dans ce récit, c’est Loula, une adolescente traumatisée par une tentative d’agression qui dénonce avec fracas la domination des adultes et le silence assourdissant imposé devant les violences faites aux enfants pour soi-disant « le bien de tous »… Pour vous, comment libérer cette parole ?
Une des grandes violences que subissent mes personnages consiste en effet à les priver de parole. D’une part à cause du silence qui entoure ce qu’ils subissent, d’autre part, car leur niveau d’éducation, ne leur permet pas de raconter ce qu’ils vivent. Mon projet littéraire a été de permettre à des jeunes “indigents”, réduits à une éducation misérable et privés de culture, de triompher, par le langage, de leurs bourreaux et de leurs malheurs. Les victimes le sont doublement car à la violence physique qu’ils subissent, s’ajoute l’opprobre qui les ostracise socialement. Un changement dans les mentalités est nécessaire, et cela passe bien sûr par l’éducation. La parole est un outil qui s’acquiert.
Qui est Monsieur Jacques ? Quel pouvoir de domination a-t-il ?
Dans ce roman, Monsieur Jacques est un symbole. C’est une ombre omniprésente sur laquelle Loula, la narratrice, focalise son attention. Voilà un personnage mystérieux que personne n’arrive à saisir, mais dont les agissements condamnables sont évidents pour tout le monde. Son emprise, ses penchants pédophiles, ne sont d’ailleurs pas très visibles. Loula comprend que le silence qui l’entoure est coupable, et que c’est le cas car Monsieur Jacques est au sommet de la hiérarchie des dominations. Il est un homme, adulte, occidental et riche. A contrario, ses victimes sont au plus bas de l’échelle, ils sont enfants et pauvres.
Pour quelles raisons avez-vous choisi une écriture poétique et imagée dans ce roman vibrant de colère ?
En tant que romancière, mon projet est toujours purement littéraire. Cela veut dire que je revendique un “artisanat” du langage. Et c’est le travail sur la teneur poétique du texte qui m’importe le plus. Le style, la structure du roman dépendent de l’histoire de mes personnages. Pour ce livre, il fallait trouver un équilibre entre la noirceur des difficultés et l’énergie de vie de ces adolescents ainsi que leurs moments de joie. Je voulais aussi rendre compte de la splendeur de la ville où ils évoluent. La poésie permet tout cela. F