La gamophobie est la peur intense, parfois irrationnelle, de s’engager dans une relation sérieuse ou de se marier. De plus en plus de jeunes – femmes comme hommes – en font l’expérience à un moment de leur vie. “La gamophobie peut se manifester par de l’angoisse, des doutes constants ou une tendance à saboter ses relations dès qu’elles deviennent sérieuses”, explique Ghizlane Ziad, psychologue clinicienne spécialisée en pathologie clinique et clinique sociale. “Ce n’est pas simplement ne pas vouloir se marier : c’est ressentir un malaise profond à l’idée même de s’engager, souvent sans pouvoir l’expliquer clairement”, ajoute-t-elle.
Mais d’où vient cette peur ? Par quoi est-elle nourrie ? Les origines sont multiples. “Certaines peuvent remonter à l’enfance, notamment lorsqu’il y a eu des traumatismes affectifs. Une séparation parentale, un couple conflictuel ou violent peuvent entraîner un manque de sécurité affective et une peur de reproduire un schéma toxique”, précise la psychologue. L’environnement dans lequel évolue un enfant influence fortement sa perception du couple et son rapport à l’engagement. Les parents, en tant que premiers repères affectifs, modèlent ses schémas de pensée, parfois à son insu, et impactent ses choix relationnels futurs.
La peur de l’engagement peut également être liée à des facteurs plus subtils : “Une faible estime de soi, un attachement insécure ou anxieux, la peur de ne pas être à la hauteur des attentes de l’autre (ou de sa famille !), ou encore un besoin très fort d’indépendance”, souligne Ghizlane Ziad.
Des facteurs économiques et psychosociologiques
Le sociologue et professeur-chercheur Mostafa Aboumalek distingue deux types de peur du mariage. “Il y a celle qui relève de l’ordre du passager et du conjoncturel, et celle qui s’inscrit dans le champ pathologique, relevant d’un trouble psychique nécessitant une prise en charge psychiatrique”, révèle-t-il. En évoquant la première, qu’il juge plus représentative du contexte marocain, il estime que la peur du mariage diffère entre hommes et femmes, en raison de leurs trajectoires sociales, de leurs représentations et de leur socialisation distincte. “Ce sujet a d’ailleurs fait l’objet d’une enquête que j’ai menée en milieu urbain (notamment à Casablanca) et rural (Doukkala, Haut Atlas…)”, précise le sociologue.
Les disparités entre hommes et femmes en matière de gamophobie s’expliquent, selon lui, par des facteurs économiques et psychosociologiques. “Chez les hommes, il ne s’agit pas à proprement parler d’une peur du mariage, mais plutôt d’une attitude d’attente, souvent justifiée par des raisons économiques”, analyse le sociologue. En général, les hommes idéalisent le mariage, mais se heurtent à des contraintes matérielles. “Leur hésitation n’est pas d’ordre psychologique, mais pragmatique : un revenu stable, un logement, une certaine sécurité financière sont autant de conditions jugées indispensables avant de s’engager”, poursuit-il. Chez les jeunes femmes, surtout en milieu urbain, “la peur est bien réelle”, juge le professeur-chercheur. “Elle ne concerne pas le couple, mais l’institution du mariage en elle-même. Deux peurs reviennent fréquemment: celle de l’échec (le divorce) et celle de la violence (psychologique, verbale ou physique)”. Ces craintes ne relèvent pas du pathologique, mais du psychosociologique. “Ce ne sont pas des phobies irrationnelles, mais des peurs construites à partir d’un vécu, d’un imaginaire social, de récits ou d’expériences observées dans l’entourage”, nous confirme-t-il.
Des unions choisies
Le Haut-Commissariat au Plan (HCP) a publié en 2023 un rapport intitulé “La Femme Marocaine en Chiffres” comportant des données sur le mariage et le célibat chez les femmes marocaines. Ce document met en lumière une évolution notable des comportements matrimoniaux au Maroc, avec une hausse du célibat et une baisse de l’âge moyen au premier mariage. Il en ressort que le taux de célibat a connu une progression significative, passant de 28,1 % en 2020 à 40,7 % en 2022. L’âge moyen au premier mariage s’établit à 23,9 ans en milieu rural, contre 26,6 ans en milieu urbain, soit un écart de 2,7 ans.
“Les jeunes femmes n’ont pas peur de l’amour, ni même d’une relation durable. Elles sont d’ailleurs souvent en couple, dans des relations sérieuses et assumées. Mais le passage au mariage introduit une autre dimension : celle de l’engagement public, de l’implication familiale, de la projection sociale”, observe le sociologue Mostafa Aboumalek. La peur du mariage chez les jeunes femmes naît de cette extension du couple au regard de la société. Il ne s’agit plus seulement de sentiments, mais de normes, de devoirs, et d’obligations. “L’évolution des mentalités crée un décalage entre l’image traditionnelle du mariage et la construction qu’en fait la jeune génération”, remarque la psychologue Ghizlane Ziad.
En effet, les jeunes, exposés à différents modèles via les réseaux sociaux, “aspirent de plus en plus à des unions choisies, affectives et plus ou moins égalitaires, ce qui peut générer une ambivalence vis-à-vis des normes traditionnelles”, estime-t-elle.
La thérapie, en solo ou en duo
Bonne nouvelle pour les personnes angoissées à l’idée du mariage : cette peur n’est pas une fatalité et peut être surmontée. Pour cela, encore faut-il en prendre conscience et l’aborder sans jugement. La thérapie peut s’avérer d’une grande aide. “Elle permet d’explorer ses croyances, son histoire affective et les angoisses liées à l’engagement, mais aussi de renforcer l’estime de soi, d’améliorer la gestion des conflits et d’apprendre à poser ses limites”, recommande la psychologue Ghizlane Ziad.
Si vous êtes en couple mais que vous hésitez toujours à franchir le cap, il est tout à fait possible d’opter pour une thérapie de couple pré-mariage. “Cette étape permet de construire une vision commune, de clarifier les attentes, d’apprendre à s’écouter, à communiquer sans violence, et ainsi s’engager dans un mariage en pleine conscience”, indique l’experte.
Faire un travail d’introspection personnelle et côtoyer des couples sains peut également aider à déconstruire certaines croyances limitantes. “Cela permet de définir ses propres attentes – qui ne correspondent pas toujours à celles imposées par la société – et de construire une vision du mariage plus apaisée, moins ambivalente”, insiste Ghizlane Ziad. “Les doutes sont légitimes, et se marier (ou non) doit rester un choix personnel et conscient, non une case à cocher. La longévité d’un mariage ne se mesure pas à la rapidité de l’engagement, mais à la solidité de ses fondations: des valeurs communes, de la complicité et de la bienveillance”, conclut-elle.