La liberté féminine est un questionnement crucial sur lequel travaille Zoulikha Bouabdellah. “La place de la femme est un sujet autant sociétal que politique”, explique-t-elle. En un mot, central. Ainsi, l’artiste épingle sous différents angles l’absurdité du monde dans lequel elle évolue pour mieux le désarçonner. “C’est peut-être idéaliste voire naïf, mais je rêve d’un monde sans dualité, confie-t-elle. Pour l’exposition panafricaine itinérante “Prête-moi ton rêve”, j’ai décidé de présenter deux œuvres montrant ce paradoxe propre à nos sociétés.” L’une d’entre elles est l’installation vidéo baptisée “Hommes sur plage” (2016). Dans cette séquence d’une dizaine de minutes, on y voit de jeunes hommes jouant au football sur la plage d’Aïn Diab à Casablanca. Une création qui s’accompagne d’une “Lettre d’amour à un homme arabe” abordant, avec subtilité et justesse, le désir féminin qu’il faut encore aujourd’hui cacher. “C’est le regard d’une jeune femme observant chaque jour ces garçons”, précise-t-elle avant de fournir un extrait du texte : “Je pense à toi, bien sûr. J’en sais beaucoup sur toi. Toi aussi, tu sais des choses. Sauf que de cela, nous ne disons rien (…) Tu sais que dès que je commence à parler, on me somme de me taire. Le risque est trop grand que de ma bouche sorte quelque chose de censé. Et toi, mieux vaut te taire que révéler ce que tu as sur le cœur. La bonne nouvelle est que tu en as un.” Pour Zoulikha Bouabdellah, citant Czesław Miłosz à propos d’Albert Camus, il faut ainsi avoir “le courage de dire les choses élémentaires”…
Une féministe réaliste
Zoulikha Bouabdellah a la particularité de s’être fait remarquer dès le début de sa carrière avec son installation vidéo “Dansons” (2003). Dessus, on y voit une femme nouant autour de la taille le drapeau français avant d’exécuter la danse du ventre sur l’air de La Marseillaise. Surprenant et saisissant. L’artiste compose avec finesse pour se jouer des clichés. Autre œuvre, autre critique percutante : “Envers endroit” en 2015. Sur la toile, le portrait d’odalisques sans leurs parties intimes qui sont couvertes par d’autres peintures. Résultat : l’essence même des esclaves sexuelles n’est plus, comme le soutient Zoulikha Bouabdellah qui pointe ainsi du doigt l’ambivalence du monde entre acceptation et protestation… “Très jeune, j’ai compris que la femme n’avait pas le même statut que l’homme”, enchaîne l’artiste-plasticienne qui est née à Moscou et a grandi en Algérie, avant de s’envoler pour la France et de s’installer au Maroc. Elle vit depuis sept ans à Casablanca. “Ici, nous sommes dans une sorte de laboratoire, se réjouit-elle. Nous assistons en direct à de nombreux changements. À la différence d’autres pays de la région, je trouve qu’au Maroc, nous pouvons au moins aborder des sujets sensibles comme le viol, le harcèlement, ou encore l’avortement.” Le Maroc l’inspire et la fascine. Pour elle, une dynamique a été lancée : les femmes s’imposent petit à petit dans des milieux masculins, elles sont davantage présentes dans les rues, et elles osent de plus en plus dénoncer.
Mais pour Zoulikha Bouabdellah, le changement ne passera à la vitesse supérieure qu’aux côtés des hommes. “Le féminisme, ce ne peut pas être des femmes revendiquant leurs droits en s’opposant aux hommes, lâche-t-elle. Car n’oublions pas que les hommes doivent, eux-aussi, se libérer d’un système patriarcal imposé depuis des siècles.” Le monde qu’elle rêve tant, se construit donc ensemble. Comment ? “Par l’éducation”, affirme-t-elle. Haut et fort.

