Youssef Wahboun rire Désenchantement et géant

avec "Trois jours et Le Néant", Youssef Wahboun signe un premier roman aussi sombre que cocasse. Cet universitaire, peintre, nouvelliste et poète nous fait découvrir son talent de romancier à travers l'histoire d'une quête originelle.

Près de dix ans après la parution de votre recueil de nouvelles, vous revenez avec ce premier roman. Pourquoi cette longue absence ?

Youssef Wahboun :Je pense que c’est une absence tout à fait justifiée puisque, entre “Il faut assassiner la peinture”, paru en 2004, et “Trois jours et Le Néant”, j’ai rédi-gé une seconde thèse universitaire et publié bon nombre d’études sur les rapports entre art et littérature, et sur l’art contemporain au Maroc. J’ai débuté le roman que je publie aujourd’hui en 2008. J’ai écrit le premier jet en moins de trois mois, mais le travail “lit-téraire”, sans cesse interrompu, a pris des années. Je ne suis ni écrivain, ni peintre pro-fessionnel. Je gagne ma vie en tant qu’univer-sitaire. Je pense qu’en art et en littérature, la création authentique a besoin de s’inscrire dans la durée. Elle exige des plages de temps vacant devant soi pour permettre le recul né-cessaire à son aboutissement.

Quelle est l’intrigue principale du roman ?

“Trois jours et Le Néant” est l’un de ces romans qui s’insurgent contre la tyrannie de l’intrigue. Celle-ci est considérablement désarticulée en raison de nombreuses et parfois longues percées dans les passés proche et lointain du personnage princi-pal. Je pense même que la force de ce livre consiste dans ces digressions. Mais à tra-vers les passages racontés au présent, onpeut reconstituer le fil de l’histoire. Le ro-man se déroule en trois jours, mardi, mercre-di et jeudi. Rongé par la peur d’être licencié, c’est au moment où un conseiller ministériel compte sur le soutien de sa compagne – qu’il a toujours ignorée – qu’il trouve le moyen le plus humiliant de la décevoir. Ce jour même, lors d’une rencontre avec son médecin, il révèle pour la première fois un secret fami-lial qui le déchire et qui, depuis longtemps, a divisé sa vie en deux. Sa descente aux enfers le conduit jusqu’à la police, jusqu’au trauma-tisme, peut-être nécessaire et salvateur, qui fait l’objet des dernières lignes du roman.

TROIS JOURS ET LE NÉANT DE YOUSSEF WAHBOUN, ÉDITIONS MARSAM, 50 DH.

“Trois jours et Le Néant” vous plonge d’entrée de jeu en plein cœur de la tourmente du narrateur. L’histoire raconte la descente aux enfers d’un conseiller ministériel dévergondé à la recherche d’un homme, qu’il appelle Le Néant, et qu’il ne retrouvera peut-être jamais. Enfant trompé à la recherche de ses véritables origines, le narrateur se retrouve piégé entre un présent marqué par l’échec, aussi bien professionnel qu’émotionnel, et des souvenirs douloureux qui l’empêchent de vivre. Il sombre alors dans une souffrance coupable. Pour se fuir, il se maintient dans un état quasi-léthargique grâce au cannabis et à l’alcool. Une situation qu’il n’arrive pas à transcender, même pas grâce à l’amour indéfectible d’une femme : Mouhja. Le récit, à la limite du roman noir, est aussi grave que cocasse. “Ce qui accroche le lecteur à l’histoire, bien qu’elle soit aussi noire, c’est peut-être la manière dont elle est racontée et cet effort de l’écriture de transformer un drame en œuvre d’art. Le récit s’étale en de très longs paragraphes qui se succèdent comme des rouleaux compresseurs où est pris le lecteur, forcé ainsi d’adhérer au calvaire du protagoniste”, explique Youssef Wahboun, qui signe ici un premier roman terriblement poignant.

Le personnage principal n’a pas de nom. Pourquoi un roman à la deuxième personne du singulier ?

La narration à la deuxième personne s’est imposée à moi dès la toute première ébauche du roman. Au fur et à mesure que le travail avançait, elle donnait satisfac-tion. Le “tu” est ce qui exprime le mieux le désarroi du protagoniste, homme enfermé dans une lancinante confrontation entre sa mémoire minée et son constant sentiment de culpabilité. Il est en proie à un flux de conscience qui s’exprime dans un long mo-nologue intérieur, souvent interrompu par des dialogues où le “tu” ne disparaît jamais. Il faut attendre la dernière phrase du livre pour voir le “je” surgir dans une pirouette à la fois froide et spectaculaire de l’histoire. Mais ce n’est certainement pas parce que le personnage est désigné par “tu” qu’il n’a pas de nom. Il est anonyme, à l’instar du Néant, parce qu’il ne sait pas lui-même qui il est, d’où il vient. “Trois jours et Le Néant” peut se lire comme un roman de la quête des ori-gines et de cet effort harassant de s’appro-prier définitivement un visage.

Le Néant est un autre protagoniste marquant. Pourquoi un tel personnage aussi ambigu ?

Absent tout au long du roman, Le Néant est l’un, voire “le” protagoniste, comme le suggé-rerait le titre, de cette histoire. Le conseiller ministériel ne connaît pas l’homme qu’il cherche depuis de longues années, il ne l’a jamais vu. Il a donc décidé de le baptiser “Le Néant”. Ce dernier est souvent évoqué dans le passé, mais ressurgit dans le présent à chaque fois comme un poing dans l’âme. Je ne pense pas qu’il soit ambigu. Il est vrai que, lors de la première journée, les allusions à cet éternel absent installent beaucoup de mys-tère parce qu’on ne connaît pas encore son rapport au personnage. Mais dès que ce-lui-ci raconte son secret familial, Le Néant devient d’une transparence inquiétante. Il n’a pas de présence physique mais le lecteur apprend beaucoup sur lui, notamment les différentes identités et les diverses vies qu’il pourrait incarner.

Les femmes sont également omniprésentes dans votre roman. Le regard que vous portez sur elles n’est-il pas parfois trop dur ?

Les femmes peuplent le passé et le présent du protagoniste comme à la fois une res-piration nécessaire et une douleur inex-tinguible. Elles entretiennent avec lui des rapports qui vont de l’inceste involontaire à la passe entre inconnus, en passant par la maternité mensongère, le désir charnel inassouvi, la relation équilibrée et promet-teuse… Si, faisant partie du passé, Sara et Abire représentent une blessure à jamais ouverte, Yasmine et surtout Mouhja appar-tiennent au présent. Femme errante et écer-velée, la première incarne cette attraction vers le bas contre laquelle lutte vainement le personnage. Quant à la seconde, haute en couleurs et amante dévouée, elle reflète un élan tardif, et par conséquent déçu, vers la lumière. Le protagoniste la maltraite et la fuit en permanence et c’est au moment où il se convainc de la considérer autrement qu’elle l’abandonne. Le regard que je porte sur ces femmes n’est pas celui d’un mora-liste. Je suis loin de leur attribuer des mes-sages à transmettre. Chacune a son propre rôle à la fois esthétique, psychologique et narratif. D’une présence et d’une significa-tion autonomes, elles contribuent en toute évidence à éclairer la métamorphose de notre conseiller ministériel, enfant trompé qui se transforme en dépressif cynique.

Votre histoire laisse peu de place à l’humour. Sommes-nous face à un roman noir ?.

Je consens que mon roman soit marqué par un désenchantement continu. Il s’agit de l’exploration d’une situation existentielle des plus pénibles : frappé par une cuisante dé-ception à l’issue de ses études universitaires, un docteur chômeur se retrouve conseiller ministériel alors que, aussi doué qu’il soit, il n’a aucune qualité professionnelle ni mo-rale pour exercer un tel métier. Il continue de sombrer dans le cannabis et l’alcool et ignore le ministère pendant de longues semaines. Il est sans cesse harcelé par des souvenirs qui enveniment son présent et l’empêchent d’avancer. Nombre de lecteurs m’ont confié avoir été contaminés dès les premières pages de cette atmosphère d’échec et de désolation qui traque le protagoniste qui, crucifié,ne perd pas pour autant le sens de la blague. Le roman fourmille de moments de cocasserie, d’humour et d’autodérision. â—†

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