“Rien de ce que je fais n’est assez bien à ses yeux. Il trouve sans cesse à redire sur ma manière de parler, de m’habiller, de me maquiller, de rire… si bien que je finis souvent par avoir le sentiment de ne pas être normale. Je culpabilise en permanence car je ne me sens pas à la hauteur. J’ai le sentiment d’être carrément nulle ! Il est aussi hyper jaloux, possessif même, et a tout fait pour m’éloigner de mes amis et de ma famille. Et puis dans notre quotidien, tout tourne autour de lui et seuls ses désirs comptent. Sans parler de son manque de respect et de ses propos insultants. Toutes les occasions sont bonnes pour me rabaisser et se moquer de moi. Ma vie est devenue un véritable cauchemar !”
Un mal silencieux
Combien de femmes se retrouvent-elles dans ce triste récit ? Elles sont en tout cas nombreuses à souffrir, en silence, de cette emprise psychologique quotidienne au sein de leur couple. Les violences verbales et psychologiques sont en effet largement plus répandues que la violence physique dans le cadre conjugal. “Ce qu’il faut savoir à ce sujet, c’est que la violence conjugale est un processus qui contient des agressions qui évoluent dans le temps. Pendant longtemps, elle peut se manifester exclusivement sous la forme d’un harcèlement moral. Mais très souvent, elle finit un jour ou l’autre par s’autoriser un ou plusieurs passages à l’acte physiques”, tient à préciser d’emblée la psychologue Nadia Cherkaoui. La violence psychologique a par ailleurs ceci de particulier qu’elle est imperceptible, et le plus souvent non identifiable, même pour la personne qui la subit. “Cette violence est silencieuse, sournoise et insidieuse… Le but, conscient ou inconscient de l’auteur, est de dénigrer l’autre en tant que personne, de saper son moral, de grignoter ce qui existe comme estime de soi, d’exercer une emprise et un contrôle sur autrui afin d’en faire une chose manipulable à merci. Cette violence peut aboutir à ce qu’on appelle un “meurtre psychique””, avertit notre psychologue.
Tolérance
Mais malgré ses effets destructeurs, la violence psychologique continue d’être perçue comme futile et sans conséquences réelles. Notre contexte socioculturel fait que l’agression verbale reste très tolérée, et qu’elle n’est souvent pas considérée comme une forme de violence. “Celle-ci fait quasiment partie du lot des sacrifices exclusivement féminins. Il faut que les femmes l’acceptent et se résignent en appliquant cette notion de “sbar” et d’endurance qu’on leur donne au sein. C’est quelque chose d’absolument terrible parce que la violence est quelque chose qui se perpétue d’une génération à l’autre”, indique Nadia Cherkaoui. Car chez la personne agressive, il existe généralement une histoire de violence, passive ou active, dans le couple parental. Elle a peut-être été violentée par ses parents, ou encore a-t-elle dû assister à une violence dans le couple et s’est construit une image de la relation basée sur des comportements violents. “Cette personne a peut-être vu sa propre mère violentée et a donc besoin de se remémorer cette histoire de violence, en voyant une autre femme souffrir de la même manière”, explique notre spécialiste. Il faut par ailleurs savoir que la violence ne s’exerce pas contre n’importe qui : “ Il y a dans l’histoire de la personne agressée des éléments de fragilité qui ont préalablement rendue poreuse son enveloppe narcissique”. Ce qui veut dire que la personne réceptrice de la violence n’a généralement pas une confiance ou une estime de soi suffisante, ce qui permet à l’autre d’ouvrir une brèche qu’il va élargir, de plus en plus, jusqu’à pouvoir injecter ses “toxines”. C’est ainsi que le processus violent se met en place.
Il faut mettre des limites de façon définitive et ferme, dire stop, tu n’as pas le droit… sans avoir peur des conséquences et sans culpabiliser.
Sauve qui peut !
Les témoignages des victimes indiquent par ailleurs une difficulté à remettre le conjoint en question. Un partenaire qu’on a aimé pour ses grandes qualités humaines, pour l’amour qu’il nous porte, ne peut pas faire exprès de nous détruire ! Et pourtant, ce type de relation est bel et bien destructeur. “Dans une relation de violence, il n’y a pas de place pour l’amour. Tout ce qu’on pense avoir entretenu n’est qu’un lien pathologique”, tranche notre psychologue. Se pose alors avec acuité la question de l’avenir de la personne agressée, car il faut en convenir, quand on est engagé pendant des années dans une relation de violence, il est très difficile de s’en sortir. Selon le docteur Nadia Cherkaoui, “la meilleure manière de s’en sortir est de dire stop. Certes, c’est très douloureux puisque cela signifie l’échec d’une relation, mais il faut parfois admettre que l’échec peut sauver une vie”. Cependant, beaucoup de victimes espèrent toujours mettre fin au processus de violence tout en sauvegardant leur couple. Elles s’engagent ainsi dans un mécanisme de réparation, dans l’espoir de changer l’autre.
C’est une forme de toute puissance puisque ces personnes se disent qu’elles vont bien finir par “réparer” l’autre en quelque sorte. “Ça devient leur but dans la vie. Mais elles se trompent, car tant qu’elles sont dans cette logique de réparation, il n’y a rien qui se passe. Elles doivent plutôt se dire qu’elles n’y peuvent rien. Il faut mettre des limites de façon définitive et ferme, dire stop, je n’accepte pas, je ne te permets pas, tu n’as pas le droit… sans avoir peur des conséquences et sans culpabiliser”, conseille la psychologue. Selon cette dernière, c’est à la personne violente de chercher une solution à son problème. “Mais généralement, les auteurs de violence sont ceux qui consultent le moins les psychologues parce qu’ils sont dans le déni de la situation. Pour eux, c’est l’autre qui est coupable”.