FDM : Que ressentez-vous du fait de participer
à Caftan ?
Fatna Abid : Je suis très heureuse de chanter sur le plateau de Caftan. C’est une occasion incroyable. Je vais d’ailleurs vous faire une confidence : j’ai toujours adoré cet événement et je le suivais chaque année. C’était pour moi un rêve de pouvoir y participer un jour. Aujourd’hui c’est un rêve qui se réalise.
Vous vous produisez rarement au Maroc ?
J’ai chanté une seule et unique fois au Maroc. C’était au théâtre Mohammed V à Rabat, en mars dernier. C’était un honneur pour moi de me produire devant un public marocain. J’étais tellement émue ce soir-là
que j’ai fini par pleurer sur scène. Je ne m’attendais pas à ce que les spectateurs apprécient l’opéra. J’avais cette idée qu’on préfèrerait écouter des chansons marocaines et je redoutais un peu leur réaction.
Mais Dieu merci, ma prestation a plu au public et j’en étais ravie.
Il est étonnant d’entendre une voix marocaine interpréter de l’opéra. Comment en êtes-vous arrivée là ?
Quand j’étais enfant, j’aimais psalmodier le Coran. Lorsqu’elle m’écoutait, ma mère disait toujours que ma voix avait un timbre extraordinaire. C’est d’ailleurs elle qui a insisté pour que je fasse de la musique. A
l’époque, j’avais très peur de m’engager sur cette voie. Mais ma mère a tellement insisté que j’ai fini par accepter de m’inscrire au Conservatoire de musique de Casablanca, pas dans le cours de chant mais dans celui du luth. Dès le premier mois, mon professeur de solfège a remarqué mes capacités vocales particulières et c’est lui qui, en fait, m’a encouragée à faire de l’opéra. J’appréhendais pourtant ce choix. Dans mon esprit, c’était une discipline réservée aux personnes issues de familles aisées et non pas aux enfants appartenant à des familles plus modestes. J’ai fini par faire une audition chez le professeur Ahmed Ghazir. J’avoue que c’est grâce à ce dernier, à sa discipline et à sa grande rigueur que j’ai pu maîtriser un nombre extraordinaire de techniques vocales. Je lui dois tellement !
C’est donc au Maroc que vous avez développé vos dons ?
J’ai effectivement fait mes études au Maroc, notamment mes études de chant. Comme je vous l’ai dit, c’est un professeur marocain qui a veillé sur mon éducation musicale. Quand je suis partie poursuivre mes études à Paris (encore une fois grâce à ma mère qui m’a beaucoup soutenue, tant financièrement
que moralement) je ne me sentais pas du tout une intruse puisque j’avais toutes les qualités requises, vocales et techniques pour faire de l’opéra et pour briller auprès de mes collègues. C’est grâce à mon
professeur Ahmed Ghazir que j’ai pu garder la tête haute. Figurez-vous qu’à la Scala de Milan, de grands noms de l’opéra m’ont demandé où j’avais appris ma technique vocale. J’étais fière de leur dire que c’était au Maroc, et grâce à un professeur marocain que j’avais pu acquérir cette technique 100% italienne. J’ai fréquenté le Conservatoire de musique de Casablanca pendant huit ans. J’ai ensuite fait l’Ecole normale de
musique de Paris pendant deux ans. Une fois installée en Italie, j’ai continué à suivre des cours particuliers pendant trois ans.
Pourquoi avez-vous fait le choix de vous installer en Italie ?
En fait, ce n’était pas un choix mais un pur hasard. Après mon mariage, j’ai dû suivre mon époux en Italie. Au début, j’étais étonnée et un peu déçue de découvrir que ce pays, pourtant considéré comme le berceau de l’opéra, n’accueillait en fin de compte que peu de manifestations, en comparaison à Paris notamment.
Mais, malgré toutes les difficultés, j’ai continué à développer mes capacités. J’ai aussi donné plusieurs spectacles, dont le plus grandiose a eu lieu à Rome. C’est l’Ambassade du Maroc en Italie qui m’a
sollicitée pour animer une soirée lors de la présentation du projet culturel “Kasr Annoujoum” de Fès. J’ai interprété plusieurs poèmes lyriques. J’ai également interprété une kassida andalouse en compagnie de l’orchestre de musique andalous, sous la direction de Mohammed Briouel. C’était une expérience inédite pour moi que de chanter un morceau de musique andalouse avec une voix d’opéra. Je ne vous cache pas que j’étais très inquiète quant au résultat. Je n’ai eu que très peu de temps pour répéter. Mais cela
a été un succès.
Cela vous inspire-t-il pour explorer le patrimoine musical marocain ?
Sincèrement, j’adorerais explorer une telle voie si cela doit me permettre, pourquoi pas, d’être plus proche du public marocain!
“JE SUIS FIÈRE DE CHANTER ICI. C’EST AUSSI UN HONNEUR POUR L’OPÉRA D’ÊTRE INTERPRÉTÉ EN CAFTAN.”
Malheureusement, je n’ai pas encore de contact avec les compositeurs marocains. Mais mon rêve le plus cher serait d’être accompagnée par l’Orchestre Philharmonique du Maroc lors d’un grand spectacle que je donnerais au Maroc. J’avoue que mon bonheur n’est pas entier quand je me produis en Europe, même si mes spectacles rencontrent un vif succès. Mon émotion a été portée à son paroxysme le jour où j’ai chanté pour la première fois de ma vie devant un public 100 % marocain, au théâtre Mohammed V. J’appréhendais la réaction de ce public qui a vraiment été à la hauteur grâce à son goût musical très sûr.
Quel est votre sentiment alors que vous vous apprêtez à chanter devant le public de Caftan ?
Je suis très fière de chanter pour un tel événement. Je pense sincèrement que c’est aussi un honneur pour l’opéra d’être interprété en caftan. Et ce n’est pas la première fois. Je me rappelle avoir donné un spectacle en Italie où j’étais habillée d’un caftan noir. C’était devant un public purement italien, et j’étais accompagnée par un orchestre italien aussi. Tout le monde a remarqué ma tenue qui n’est pas passée inaperçue.