Samia Tawil La voix de la liberté

Une énergie contagieuse, une voix rock à vous en faire frémir, des mélodies aux doux accents orientaux, une âme d’artiste, une tête bien faite et un engagement à toute épreuve… Samia Tawil est une femme comme on les aime. Rencontre avec une grande dame qui gagne à être connue.

FDM : Samia Tawil, vous êtes  le fruit d’un beau métissage de cultures. Fille d’une maman marocaine et d’un père syrien, vous vivez en Suisse où vous êtes née… Comment appréhendez-vous cette mixité ?

Samia Tawil : J’ai toujours vécu cette mixité comme une richesse et une chance. Certaines personnes aux origines métissées disent parfois qu’elles ne se sentent chez elles nulle part. Au contraire, j’ai le sentiment de venir de partout, comme si je portais en moi non pas une identité nationale à laquelle je devrais une quelconque fidélité, mais l’amour de ce monde, qui nous a fait si complexes et subtils.

Je suis facilement touchée par les autres cultures, parce que je m’y retrouve d’une manière ou d’une autre, et je m’en inspire d’ailleurs beaucoup. Cela vient de mon éducation. Mes parents m’ont toujours fait regarder l’humain sans préjugé et m’ont inconsciemment appris à voir ce qui nous rapproche plutôt que les barrières ou les frontières.

Quand on est d’un peu partout comme vous, où se sent-on chez soi ?

Le Maroc est mon pays de coeur. C’est la terre qui est la plus présente en ma chair, celle où la majorité de ma famille vit, celle qui me dicte mon intuition, qui m’a donné mon humour, celle où j’ai vécu une période magnifique de mon enfance. J’y suis chez moi et je m’y sens bien. Chacun de mes voyages me ressource. Quant à la Suisse, c’est le pays de ma grand-mère paternelle, celui où j’ai vécu la plus grande partie de ma vie, où je me repère, où j’ai des amis de longue date… Autant de raisons qui m’ont poussée à y revenir après mes études. Je me suis enrichie au contact de ces cultures diverses. En Suisse, quand on nous demande d’où on vient, les réponses sont souvent très exotiques, car c’est un véritable melting-pot. Nous prenons très jeunes l’habitude d’être fiers de nos origines diverses. Je me souviens même d’un petit dans ma classe, à l’école primaire, qui avait pleuré car il était le seul à n’être “que” Suisse et rien d’autre ! C’est donc un pays pour lequel j’ai beaucoup d’affection. J’ai la chance d’avoir mes racines dans des pays dont la grande particularité est la diversité culturelle.

Vous êtes musicienne, chanteuse, mais aussi prof de philo et amoureuse des lettres. Comment ces passions sont-elles nées ?

J’ai commencé par la danse, ma première passion, qui m’a donné le goût de la scène et mon amour de l’écriture m’est venu de ma mère qui est écrivaine. Je m’inspirais d’artistes complets qui dansent, chantent, écrivent comme Michael et Janet Jackson ou Prince. J’ai donc commencé à mettre certains de mes textes en musique grâce à mes bases de piano. Dès le début, j’ai souhaité véhiculer des messages essentiels et des choses profondes et personnelles. J’aime étudier et j’ai poursuivi mes études de philosophie jusqu’au bout. Je me surprends encore à faire des parallèles entre ce que j’ai écrit dans mes essais philosophiques et mes chansons.

Quels sont vos rapports avec le Maroc ?

De mère marocaine, je reviens régulièrement au Maroc pour voir ma famille et pour donner des concerts. Je suis très touchée par la manière dont le public marocain a accueilli ma musique ou quand des fans me disent que ça les pousse à poursuivre leurs rêves. Beaucoup de jeunes sont émus de voir une Marocaine briser les codes de la région. Le Maroc est un pays riche d’un métissage qui lui est unique. Je ferai tout pour que cette énergie ne se perde pas dans l’artifice des discours obscurantistes, qui sont loin de rendre justice à l’histoire de ce pays. Personne n’est dupe et même celui qui les prononce sait au fond qu’ils sonnent faux.

Votre maman est une écrivaine marocaine reconnue. Est-elle une source d’inspiration pour vous ?

Ma mère est mon modèle. Sa passion pour les mots et son combat pour changer le monde m’ont ouvert la voie. Elle est la personne la plus généreuse que je connaisse. Mes parents ont forgé ma personne et mon éthique. L’admiration que je leur voue a suffi à m’inciter à vouloir devenir comme eux. Bien qu’ils ne soient pas du domaine musical, ils m’ont aussi aidée à me réaliser et je leur en suis infiniment reconnaissante.

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Les Marocains vous ont découverte sur la scène de Mawazine en 2013 et sur celle de Tanjazz en septembre dernier. Pour ceux qui ne vous auraient pas encore vue ou entendue, comment décririez-vous votre musique ?

Ma musique est un grand écart entre des styles qui se marient très instinctivement. J’aime la soul et le rock vintage aux accents funk inspirés de James Brown ou Janis Joplin et ceux plus récents de Ben Harper ou Lenny Kravitz. J’y mêle une pop-rock très années 90 en hommage aux rockeuses féminines que j’ai admirées dans mon enfance et qui m’ont aussi beaucoup inspirée. L’autre influence est un rappel à mes origines orientales avec des interventions de oud, de guembri, de derbouka, qui me permettent aussi de m’exprimer par la danse orientale. Sur scène, j’aime prolonger les parties instrumentales orientales ou gnawa, pour exprimer de manière non-verbale une nostalgie propre à la culture arabe. En live, mon choriste orne ces moments d’un chant qui berce ma danse, lui donnant une profondeur qui transcende les mots. Ils sont comme un rappel de la gravité de l’instant, une parenthèse où l’on tend l’oreille vers le cri du monde. Cela ajoute quelque chose de fort au reste du texte en anglais et au message en général.

Vous chantez la liberté et votre album Freedom is now en est d’ailleurs un beau témoignage. Pourquoi cet attachement à ce thème en particulier ?

J’ai enregistré cet album durant les évènements du Printemps arabe qui ont inspiré le titre de cet album. Ces événements m’ont amenée à utiliser le poème de Mahmoud Darwish Un jour viendra en couverture de l’album. Sur cette image, j’apparais tatouée dans ma chair par cette douleur et cet appel. L’album est donc aussi dédié à la cause palestinienne dont le peuple, en arrière-fond de ce printemps, poursuit sa lutte pour la liberté. C’est une manière de rappeler qu’il n’a toujours pas obtenu justice. De nombreuses chansons de cet album relatent les injustices sociales dont j’ai pu être témoin. Je les ai écrites dans l’espoir que les gens s’éveillent à ces causes. Un ami m’a dit une fois : “Quand on écoute ton album, on a l’impression de se faire gueuler dessus, mais ça fait du bien !” Cet album est un cri du cœur et un appel à une prise de conscience.

Par ailleurs, ce titre évoque aussi une libération émotionnelle. Dans certaines chansons plus personnelles, j’exprime des sentiments de manière très sincère, parfois crue, un style propre aux rockeuses féminines que j’ai écoutées en grandissant ou à celui de ma mère. J’ai toujours aimé cette façon très vraie, parfois brutale, d’exprimer des émotions, de mettre ses tripes sur la table sans honte. Cet album est donc aussi une ode au courage, celui de briser ses chaînes socio-politiques et émotionnelles.

Fondiez-vous quelques espoirs dans le printemps arabe ?

J’ai ressenti une énergie sans précédent lors de ces soulèvements et j’avais grand espoir dans la prise de conscience générale du monde à travers les mouvements des “indignés” ou d’Occupy. Ils faisaient écho à de grands courants que j’étudiais en philosophie, et j’étais loin de me douter que les choses prendraient une telle tournure en Syrie. Dire que tout cela a commencé par des graffitis d’enfants qui scandaient le fameux “irhal”. C’est dire à quel point le régime ne supporte pas d’entendre ce que son peuple a à dire. D’ailleurs, une résistance artistique pacifique est née en Syrie au début des affrontements. Mais face aux agressions, les artistes se sont exilés. L’art et le pacifisme sont donc des armes de poids, des vecteurs d’esprit critique par lesquels le régime s’est très vite senti menacé. Il ne reste plus à présent que la résistance armée sous toutes ses formes, qui participe à faire croire à une guerre civile, ce qui arrange bien la communauté internationale.

Vous qui êtes aussi Syrienne, quel regard portez-vous sur ces millions de réfugiés qui fuient leur pays ?

Cela me brise le cœur. La Syrie était un si beau pays, que j’ai connu et où j’ai encore de la famille. Ces réfugiés, que les médias occidentaux appellent “migrants” pour se dédouaner de la responsabilité de les accueillir, ne souhaitent que vivre une vie digne. Cela aurait pu être vous ou moi. Ceux qui s’opposent à leur venue ne comprennent pas qu’ils sont du bon côté de la barrière mais que rien n’est acquis. L’autre est un miroir. Ne pas lui tendre la main, c’est laisser couler sous la violence des flots toute notre humanité. C’est elle qui meurt à chacune de ces morts, à chacune de ces balles perdues, à chaque marchandage de gilet de sauvetage par des vendeurs de kebabs qui s’improvisent passeurs d’un jour. C’est ironique, mais ce sont des choses qui sont réellement arrivées, et qui continuent d’arriver tous les jours. Je souhaite que les enfants d’aujourd’hui soient éduqués dans un altruisme beaucoup plus naturel, et que l’idée de profiter du malheur d’autrui les dégoûte comme il se doit.

Quelle leçon tirez-vous du comportement des pays occidentaux qui ouvrent leurs portes ou décident au contraire de les fermer ?

Je suis heureuse de voir que certains sont bien accueillis, comme en Allemagne, mais il ne faut pas être dupes de l’instrumentalisation qui est faite de ces initiatives. L’Allemagne sait qu’elle a besoin de main-d’œuvre. Le gouvernement en profite aussi pour redorer son blason vis-à-vis de la gauche. Reste à voir comment les portes se refermeront quand l’afflux dépassera ses besoins. Ceci dit, j’applaudis la population allemande ainsi que les militants qui ont accueilli les réfugiés dans l’esprit de la chute du mur de Berlin. Cela m’a beaucoup émue. J’espère que des mouvements similaires prendront le dessus dans d’autres pays et auront raison de l’indifférence.

En tant que femme arabe, que pensez-vous de la place qu’elle occupe au sein des sociétés arabo-musulmanes ?

Je ne suis pas dupe des défis que rencontrent les femmes dans nos sociétés. Je l’ai constaté très tôt quand j’ai travaillé comme volontaire au sein de l’orphelinat de la médina de Rabat, que je quittais souvent en pleurs car les filles majeures en étaient “chassées” après avoir obtenu un bac au rabais. Que devenaient-elles ? Cette société ne sait pas miser sur les femmes, peut-être parce qu’on pense qu’elles pourront toujours se débrouiller, se marier ou devenir femmes de ménage. Je me suis toujours promis de fonder un jour une structure pour accueillir ces jeunes jetés trop tôt dans des vies d’adultes sans perspectives. Je vois qu’aujourd’hui, des associations se créent dans ce sens et font un travail formidable.

Je sais que j’ai été chanceuse d’évoluer dans mon contexte familial et social. J’aimerais que l’on s’unisse pour changer le quotidien de toutes les femmes qui n’ont pas eu cette chance. Nous pouvons tous le faire à notre échelle. Demander à cette petite fille qui mendie tous les jours si elle a une famille, intervenir lorsqu’une voisine est victime de violence conjugale, plutôt que de s’habituer à la violence ambiante. L’idéal étant qu’une véritable justice sociale, basée sur l’égalité des chances, prenne enfin place.

Quand j’entends “femme marocaine”, j’entends femme forte et combattive. Mais il serait temps qu’elle se batte pour autre chose que pour une place qui lui est due ou pour se résigner à courber l’échine et gagner sa vie pour sa famille et ses enfants. La clé est dans l’éducation qui ouvre des perspectives, forge l’esprit critique, encourage à rompre avec les carcans et avec sa propre perception de soi, et invite à une libération individuelle. Il n’y a qu’à voir les femmes instruites au Maroc: elles n’attendent pas qu’on leur donne la parole, elles la prennent. Dans un environnement qui reste dominé par les hommes, elles s’imposent et brillent. Ce faisant, elles participent d’ailleurs à construire la seconde clé : celle qui ouvre les mentalités.    

Pour résumer et conclure, j’ai envie de citer Viola Davis, la première actrice américaine noire à avoir décroché un Emmy Award : “La seule chose qui sépare les femmes de couleur de n’importe qui d’autre, ce sont les opportunités. On ne peut pas gagner un Emmy pour des rôles qui n’existent pas.” On peut généraliser ce constat à la situation de femmes sous nombre de cieux. La femme est manifestement l’une des plus persistantes “minorités” de l’Histoire.

Que représente le féminisme à vos yeux et êtes-vous féministe ?

Il y a une citation que j’adore d’une auteure dont j’ai oublié le nom qui dit : “My feminism is inclusive; especially of you”. Je suis bien entendu féministe par nécessité, car tant en Suisse qu’au Maroc ou en Syrie, il y a encore de nombreux combats à mener pour l’égalité des sexes. Ceci dit, je ne nourris en aucun cas un discours “girl power” artificiel et vide de sens. Je pense en effet que dans notre région, la femme est une figure forte et courageuse. Elle occupe une place bien plus centrale que celle que nos sociétés faussement patriarcales souhaitent lui donner. Malgré tout, il va de soi que le monde tourne autour des femmes. Pour une réponse qui se voulait mitigée, je pense que je viens de me déclarer militante féministe malgré moi…

Aujourd’hui, certains font le distinguo entre féminisme et sensualité et reprochent par exemple à Beyoncé l’utilisation de son corps. à leurs yeux, le fait de chanter en petite culotte n’aide pas le féminisme dont elle se revendique pourtant. Votre avis ?

Le féminisme de Beyoncé est bidon. C’est surtout la vacuité de son message qui n’aide pas le féminisme. Pas sa nudité. Rien dans ses paroles ni dans ses actions ne va dans le sens d’un engagement quel qu’il soit, et je pense que c’est lui faire trop d’honneur que de dire qu’elle est féministe. Ceci dit, la sensualité et l’acceptation du corps, ou même de la nudité dans l’art, n’est selon moi aucunement contradictoire avec le féminisme. Le corps en général, et celui de la femme plus particulièrement, est source de beaucoup d’inspiration pour moi. En tant que danseuse, je suis habituée à voir s’exprimer des corps dévoilés, féminins ou masculins. Je trouve cela très beau. Les tabous du corps me dépassent vraiment. Mais ce n’est pas pour autant que je cautionne la vulgarité. Elle n’a pas sa place dans l’art et je ne respecte aucune provocation à des fins commerciales. En revanche, provoquer à des fins politiques comme le font les Femen ou dévoiler un corps pour passer un message, oui.

êtes-vous de ces amazones modernes, une féministe guerrière qui utilise sa sensualité comme arme ?

Je ne pense pas utiliser ma sensualité comme une arme, du moins, je ne tiens pas à le faire. Mais aux yeux de l’autre, elle est perçue comme telle. Par contre, j’assume totalement ma sensualité, que je vis pleinement. Je suis heureuse et fière d’être la femme que je suis. Une femme bien dans sa peau est une femme “armée” aux yeux du profane. On m’a déjà fait des commentaires désobligeants quant à la manière trop sensuelle dont je danse sur scène, alors que je trouvais ma prestation sage et profonde. Comme je le dis souvent, si c’est insoutenable, alors détourne les yeux plutôt que d’essayer de me cacher. D’ailleurs, je n’ai pas du tout l’impression ni l’envie de dépasser les limites dans mes mises en scène ou dans mes tenues. Tout ce que je fais ou porte sur scène a un sens et une symbolique qui me sont précieux. Les hommes de ma famille et de mon entourage n’ont jamais été heurtés par ce que je fais et m’ont toujours soutenue dans mes choix.

Quels sont vos projets à venir ?

Mon album Freedom is now s’apprête à sortir au Maroc. Le clip du deuxième single Daddy knows, que nous avons tourné dans la région de Marrakech, sort aussi en octobre. Nous y avons mis, mes musiciens et moi, beaucoup de nous-mêmes et l’énergie et la cohésion de mon groupe en live transparaissent en vidéo. Je compose peu à peu mon nouvel album dont un premier titre sortira d’ici janvier. Il est très fusion, avec une intro gnawa et des chants berbères. Nous participerons ensuite à plusieurs festivals marocains et je m’en réjouis. Le public marocain nous manque quand nous tournons en Europe. 

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