Son nom ne sera pas dévoilé. C’est la seule et unique condition imposée par la street artiste Roksy One pour que notre rencontre se concrétise. “Je veux garder le mystère car je souhaite que les gens reconnaissent mon blaze (signature) et non pas mon visage”, se justifie-t-elle. L’art avant tout, c’est ce qui pourrait être la devise de notre héroïne casablancaise. Car même si de plus en plus de graffitis apparaissent sur les murs de la capitale économique, les auteurs font rarement partie de la gent féminine. Roksy One, elle, l’est. Mais, pas à première vue. En effet, personne ne pourrait imaginer que derrière les grosses lunettes rondes de ce petit bout de femme de 28 ans plutôt discrète se cache une artiste qui n’a pas froid aux yeux.
L’éclosion d’une mystérieuse street artiste
Depuis son enfance, Roksy One gribouille. Que ce soit sur les marges de son cahier ou sur un simple bout de papier, elle donne vie à des super-héros qui l’accompagnent tout au long de sa scolarité. Après le lycée, la belle brune décide alors de s’orienter vers une école d’art, au grand désespoir de son père. “Il est amateur d’art mais il avait du mal à concevoir que cela puisse être plus qu’un hobby,” se rappelle-t-elle. Roksy One ne lâche pas. Son père cède. À la fin de son cursus, elle fait officiellement ses premiers pas dans le monde de l’illustration. À cette époque-là, le graffiti avait peu d’importance à ses yeux. “Je ne connaissais pas très bien le street art, et en plus, je n’en avais pas une très bonne image”, confie-t-elle. Une bande d’amis, tout particulièrement le graffeur Abid, va la faire changer d’avis. “Il me suivait sur le net, et inversement, se souvient-elle. Il n’arrêtait pas de m’envoyer des vidéos sur l’histoire du graff. C’était très intéressant ! Et à un moment donné, je me suis dit pourquoi ne pas essayer.” Mais avant de se lancer, elle se prépare. Elle cherche son blaze. “J’ai toujours adoré le rock et ça correspond bien à mon côté rebelle”, sourit-elle. Le nom Roksy s’impose de lui-même. “Et la particule “One”, c’est parce que je suis la première à m’appeler ainsi.” Son nom d’artiste trouvé, elle fait ensuite plusieurs sketchs (croquis) afin de choisir son lettrage. Il sera aussi fin que rond. Roksy One est enfin prête. Un beau jour de l’été 2016, elle s’aventure sans rien dire à personne au bord d’une voie ferrée en pleine journée avec Abid qui avait repéré le spot en amont. Le mur est immense: “environ 12 mètres de long, précise-t-elle. Nous l’avons marqué de nos blazes respectifs entrecoupés par le passage des trains. Car à chaque fois, il fallait nous coller contre la paroi.” La jeune femme n’a pas peur et attrape d’emblée le virus. “Ce jour-là, je savais que je n’allais pas m’arrêter là.”
Des “superpouvoirs” maîtrisés
Après cette journée intense, Roksy One rentre chez ses parents sans se changer. “J’étais recouverte de peinture”, se remémore-t-elle. Tout naturellement, sa famille la questionne. Elle leur avoue tout sans aucune appréhension. “Ma mère était inquiète alors que mon père a accepté, assure-t-elle. Je crois que depuis qu’il a compris que je n’allais pas lâcher ma passion, il respecte mes choix.” Même si sa mère ne peut s’empêcher de lui faire des recommandations, elle se fait à l’idée. Comment faire autrement ? Roksy One plonge corps et âme dans ce nouveau monde. Tout d’abord, elle part s’équiper. “J’ai acheté 200 bombes de peinture Montana, rigole-t-elle. Je voulais avoir toutes les couleurs pour ne pas être limitée.” Puis, elle s’enferme dans sa chambre où elle surfe sur le net, dévore une ribambelle d’articles évoquant son nouveau dada, et s’exerce pendant des jours et des nuits sur des feuilles de papiers jusqu’à ce que son mouvement soit fluide. “Elle maîtrise parfaitement les lettrages graffitis et ce n’est pas donné à tout le monde”, assure Thamud Mellouk, ami d’Abid et directeur général de Placebo Studio, la première agence de street art au Maroc. Et ce n’est pas sa seule particularité. “C’est une artiste à part entière, appuie-t-il, parce qu’elle dessine très bien, elle a son univers qui est fun, cynique et bariolé avec ses personnages décalés, et surtout c’est la seule femme au Maroc qui respecte le graffiti dans sa tradition la plus pure à savoir investir des murs inaccessibles comme d’anciennes fermes ou des usines désaffectées.”
Au secours des zones délaissées
Armée, Roksy One se faufile dans les ruelles de Casablanca et enchaîne les graffitis aux côtés d’Abid. “C’est mon binôme, spécifie-t-elle, car ce n’est pas facile de travailler un mur en étant une jeune femme seule … En revanche, je ne peux le nier : depuis que je peins, personne ne m’a jamais fait de remarques misogynes.” Au contraire. Les passants sont surpris, intrigués et admiratifs. “Nombreux sont ceux qui s’arrêtent devant le spot et la regardent bosser”, souligne Abid, avant que Roksy One ne se rappelle d’une anecdote: “Lorsque j’étais en train de dessiner une astronaute sur le mur situé au bout de la Marina, une fillette accompagnée de son papa est restée un bon moment à scruter mes moindres faits et gestes. Elle avait l’air tout émerveillée de voir apparaître ce visage.” Mais ne vous y méprenez pas, ses personnages ne sont pas toutes des femmes, comme elle tient à le préciser. “Je ne suis pas féministe”, martèle-t-elle. La street artiste est libre et personne n’échappe à son coup de crayon, que ce soit le jeune homme qui s’engage dans l’armée, la skateuse à l’aise dans ses baskets ou encore l’adolescente révoltée qui a des allures de Tank girl (personnage de BD). Autre instant mémorable: sa première confrontation avec la police. “Des agents sont venus pour nous demander d’arrêter de graffer à la Marina car nous n’avions pas d’autorisation. Nous avons alors tout fait pour en obtenir une tout en continuant notre travail car lorsqu’on y réfléchit, quelle est notre faute ? Colorer des pans de murets sales et abandonnés?”, peste Roksy One qui rêve aussi de partir aux quatre coins du monde pour laisser son nom sur des façades et des trains. “Des graffs et des wagons, c’est une belle combinaison vous ne croyez pas ?, sourit-elle. Car dans les deux cas, on voyage.” D’ici là, Roksy One compte bien s’emparer de plus en plus de Casablanca en y parsemant son empreinte atypique.
Le street art féminin, l’envolée à venir
“Le street art est une discipline majoritairement représentée par les hommes, explique d’emblée Thamud Mellouk, directeur général de Placebo Studio, la première agence de street art au Maroc. Car réaliser des graffitis va de pair avec aller dans la rue, grimper des grillages ou des fils barbelés s’il le faut. Bref, pour une fille seule, c’est difficile et encore plus au Maroc connaissant son statut ici.” Certaines se sont néanmoins lancées malgré les embûches. Elles sont moins d’une dizaine, dont Roksy One, et ont initié un mouvement, comme il l’assure. “Je suis très confiant pour le développement du street art féminin au Maroc, soutient-il. Car ces jeunes femmes ont défriché le terrain.”