“Violez-moi, épousez-moi, ma vie est vaine, je suis marocaine”, le slogan, brandi lors d’un sit-in de protestation à Rabat au lendemain de l’annonce du suicide d’Amina Filali, en dit long sur la rage qui secoue la société marocaine. Le 10 mars dernier, le suicide de la jeune fille âgée de 16 ans à peine et contrainte d’épouser l’homme qui l’avait violée a eu l’effet d’un électrochoc. Tout le pays est en émoi suite à cette affaire. Des sit-in ont été organisés un peu partout : à Larache, Rabat, Marrakech, Agadir et Casablanca. C’est un véritable raz-de-marée sur la Toile aussi. Une pétition pour l’abrogation de “l’article criminel” a été mise en ligne, recueillant plus de 4.000 signatures en quelques jours.
Un article controversé
Partout, une seule revendication revient en boucle : abroger l’article 475 du Code pénal, qui protège implicitement l’agresseur en lui épargnant d’être mis derrière les barreaux s’il épouse sa victime. “Lorsqu’une mineure nubile enlevée ou détournée a épousé son ravisseur, celui-ci ne peut être poursuivi qu’à la suitede la plainte des personnes ayant qualité pour demander l’annulation du mariage et ne peut être condamné qu’après que cette annulation du mariage a été prononcée”, indique le désormais fameux article. En vertu de cette loi, la petite Amina a dû se plier à une pratique ignoble : se voir contrainte de rester à la merci de son violeur ad vitam aeternam. Initialement victime de viol, Amina devient aussi victime de la loi. Pire encore, au lendemain de sa mort, un communiqué du ministre de la Justice et des Libertés finit par retourner le couteau dans la plaie, lui faisant porter la responsabilité du cauchemar qu’elle a subi et qui l’a poussée à mettre fin à ses jours. Le communiqué affirme que “la jeune adolescente entretenait une relation sexuelle avec l’homme qui l’a épousée durant laquelle elle a perdu sa virginité avec son consentement”. Un communiqué qui n’a pas manqué de susciter la colère et l’indignation de la société civile. Celle-ci est d’ailleurs montée au créneau.
Le “Printemps de la dignité”, coalition regroupant 22 associations de défense et de promotion des droits humains, a ainsi décidé de présenter son mémorandum concernant la révision de la législation pénale. Sa principale revendication n’est autre qu’un Code pénal plus équitable vis-à-vis de la femme.
Les réactions s’enchaînent
Pour les militants du Conseil National des Droits de l’Homme aussi, le code en vigueur doit être révisé. Dans un communiqué, le conseil interpelle les autorités : “Il faut accélérer la promulgation du Code pénal révisé, en instance depuis plusieurs années, afin que cette disposition et toutes les autres dispositions contraires à la dignité humaine, à la Constitution, à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard de la femme ainsi qu’à la Convention sur les droits de l’enfant, soient abrogées”. Il pointe également du doigt les dispositions du Code de la famille, qui donnent le droit au juge d’autoriser le mariage des mineurs. Et contrairement aux déclarations du ministère de la Justice et des Libertés, le CNDH affirme qu’“Amina Filali, victime de viol, a été contrainte, suite à un arrangement familial et avec la bénédiction de la loi, d’épouser son violeur”.
Le drame de la jeune Amina a également fait réagir les instances internationales. L’Unicef a ainsi appelé, dans un communiqué intitulé “Pour ne pas souiller la mémoire d’Amina”, l’Etat marocain à l’application de la Convention des droits de l’enfant. Le bureau de cette organisation onusienne à Rabat n’a pas hésité à attirer l’attention sur le système de protection des enfants au Maroc. “Le cas de la jeune Amina est aujourd’hui révélateur des dysfonctionnements dans le système de protection de l’enfant au Maroc qui doivent être pris sérieusement en considération”, peut-on lire dans le communiqué. Autant de réactions qui nous laissent espérer que le drame d’Amina serve au moins à faire réviser la loi, pour qu’aucune victime de viol ne soit plus jamais contrainte d’épouser son bourreau. â–