Pr Omar Séfrioui : « On assiste à un véritable déclin de la fertilité » (Interview)

La loi régissant la PMA a posé un cadre juridique à cette pratique, pourtant, dans ce domaine, le Maroc se présente comme le mauvais élève par rapport aux pays musulmans. Et ce sont les couples infertiles qui en paient le prix. Les explications de Pr Omar Séfrioui, gynécologue à Casablanca et président de la SMMR.

La loi 47-14 régissant la PMA adoptée en avril 2019, est contestée par les praticiens. Certains disent que c’est la montagne qui a accouché d’une souris, est-ce que vous partagez cet avis ?

Les divers intervenants dans la PMA, que ce soient les biologistes, les praticiens, et autres demandaient depuis une quinzaine années, une loi pour encadrer la pratique de la PMA. Il s’agit d’une question qui est extrêmement sensible (on manipule des embryons, des gamettes, etc.). Donc, cette loi a le mérite d’exister. Pour nous, c’est un grand acquis. La reconnaissance de l’infertilité comme une pathologie est également une grande avancée. Ce qui va sans doute ouvrir le débat autour de la prise en charge de l’infertilité par les assurances maladies.

D’ailleurs, il y a déjà quelques médicaments qui ont été acceptés, et qui attendent juste les procédures administratives. Le SGG (Secrétariat général du Gouvernement), devra donner son aval, pour que l’ANAM puisse les inclure dans le panier des médicaments remboursés. Certes, il y a une écoute qui augure d’une bonne évolution. Mais, pour avancer il faut accélérer les choses. Parce que cela fait des années que ces couples vivent dans une sorte de déni, ils vivent dans un stress quotidien, ils se battent seuls… Je pense que la solidarité familiale existe partout sauf dans cette situation car le couple la vit comme un tabou. C’est souvent assimilé à un problème de féminité chez la femme et de virilité chez l’homme, du coup les couples n’en parlent pas, parce que nous sommes dans une société qui ne pardonne pas.

À vous entendre, on dirait que les choses sont plutôt parfaites, pour autant les professionnels avaient vigoureusement critiqué ce dispositif ?

Aujourd’hui on dispose d’un cadre juridique, qui a le mérite d’exister comme je disais. Il est vrai que nous avions, en tant que société savante, contesté de nombreux articles du projet de loi, avant son adoption. Nous avions fait du lobbying, ce qui a permis de rectifier certaines dispositions aberrantes. En revanche, tout le volet juridique a été maintenu. Quand on fait un benchmark au niveau international et au niveau de tous les pays musulmans qui ont mis en place des cadres juridiques pour réguler la PMA, on s’aperçoit que nous sommes de très mauvais élèves.

Qu’est-ce qui vous dérange le plus ?

La Loi 47-14 remet en cause la confiance entre le médecin et le patient. Pour n’importe quelle omission, la loi prévoit une peine privative. Nous sommes très inquiets. Autant, nous sommes tout à fait d’accord sur les lignes rouges qui ont trait à l’éthique (don ou commerce de gamettes, ou autres) et sur lesquelles la loi ne badine pas. Mais, sur des questions administratives, on estime que certaines dispositions sont excessives. Il est inadmissible qu’on puisse fermer un centre où des milliers d’embryons sont conservés, sans avertissement, sans l’avis des instances ordinales. Un huissier de justice peut venir à n’importe quel moment dans un centre, et s’il trouve la moindre faille, c’est la prison qui s’en suit. Je n’exagère pas, mais la réalité est presque aussi caricaturale. Il n’y a aucun pare-feu, les Conseils de l’Ordre sont complètement occultés. Il a fallu au moins cinq années d’échange, de travail collectif, de négociations avec le département de la Santé… Hélas, le changement des personnes en charge de ce dossier, ou certains calculs politiciens ont fait que la présente loi n’a rien à voir avec ce que nous souhaitions.

Aujourd’hui, l’infertilité est reconnue comme une pathologie. Cela impliquerait le remboursement de la prise en charge de la PMA par les assurances médicales. Ce qui permettrait de démocratiser la PMA ? Qu’est-ce qui bloque ?

Pour le moment, elle n’implique rien du tout. Mais elle ouvre la voie pour une nouvelle dynamique et une nouvelle lutte que les médecins, biologistes, l’industrie pharmaceutique et la société civile devraient mener pour accélerer les choses. Grâce à cette loi, nous pouvons aujourd’hui prétendre à certains changements alors qu’auparavant, nous ne pouvions rien revendiquer, puisque la PMA n’était pas à l’ordre du jour. Grâce au cadre législatif, les décideurs ne peuvent plus nier le problème d’infertilité et par conséquent les moyens de prise en charge. On ne peut pas donner que le bâton (je parle du volet juridique), il faut également donner la carotte. Cette loi qui est aussi restrictive devrait au moins avoir le bénéfice d’apporter un avantage financier à cette population, autrement elle n’a aucun intérêt. En tout cas, la loi va permettre d’ouvrir la voie, pour améliorer de manière globale la prise en charge de l’infertilité et non seulement la PMA. Il faut savoir que sur 1 million 750 milles couples concernées, seule une partie sera candidate à la PMA. Pour certains cas, il y a des petites thérapeutiques simples, mais qui sont systématiquement rejetées par les assurances, parce qu’ells sont considérés comme des traitements de luxe, pour la simple raison que cela concerne l’infertilité. Mais, les choses vont probablement changer. Grâce à cette loi, on ne peut plus estimer que ces traitements relèvent du luxe. Ainsi, on pourra à moyen ou long terme prétendre à un remboursement des soins inhérents à l’infertilité, dont la PMA, qui n’est qu’un volet de la thérapeutique.

Dans votre pratique, est-ce qu’il vous est déjà arrivé de voir des candidats à la PMA, abandonner à mi-chemin faute de moyens ?

Ils n’abandonnent pas à mi-chemin, mais souvent avant même de démarrer. J’ai reçu un couple en 2012, qui est revenu en 2019. Certains couples mettent du temps pour se préparer. Quand on demande 20.000 ou 25 000 DH, ce n’est pas toujours à la portée de toutes les bourses. Surtout pour des couples à revenu modeste, qui ont déjà des crédits automobiles et/ou immobiliers, ou des loyers à payer. Souvent, il faut attendre 5, 6 ou 7 ans pour que certains couples peuvent accéder à la PMA. Entre temps l’horloge biologique a tourné, les chances se sont amoindries.

Est-ce que vous confirmez que les taux d’infertilité sont en constante évolution ?

En effet, c’est bien le cas. Toutes les statistiques au niveau mondial l’attestent. On estime que le taux d’infertilité va augmenter de 4 % à 5 % par an. Cela ne veut pas dire qu’on va passer de 12 % à 16 % de couples infertiles, mais on va avoir une augmentation de l’incidence de l’infertilité. À titre d’exemple, sur 1000 couples, on va avoir 120 qui ont un problème d’infertilité pour cette année, l’année suivante on va passer à 128. C’est un chiffre effrayant. On observe une évolution assez impressionnante, aussi bien chez la femme que chez l’homme. Il y a un autre constat tout aussi déplorable : on assiste aujourd’hui à un déclin important du capital folliculaire et à une insuffisance ovarienne, chez des femmes de plus en plus jeunes. Chez l’homme, ce n’est pas mieux. Depuis 20 ans, l’OMS a revu à la baisse de manière extrêmement significative la normalité du permogramme. On a de plus en plus de formes anormales de spermatozoides, de même la mobilté et la numération ont été revues à la baisse. Il s’agit d’un véritable déclin de la fertilité dans le couple. L’infertilité sera sans doute la maladie du siècle.

Quelles peuvent être selon vous les raisons de cette évolution inquiétante ?

On ne maîtrise pas rééllement les causes à effet, mais il y a probablement un lien avec notre mode de vie, notre environnement, la pollution, les téléphones portables, …

En conclusion ?

C’est surtout un vœu. J’aimerais bien qu’on puisse prendre à bras-le-corps le problème d’infertilité comme l’on fait tous les pays voisins car ils se sont rendus compte que c’était important. Surtout qu’on assiste actuellement à un recul de l’indice de fécondité, qui est de moins de 2,1 en milieu urbain. Ce qui risque de menacer l’équilibre de la pyramide générationnelle. Je ne dis pas que la PMA va résoudre le problème de l’indice de fécondité, mais elle pourra contribuer à améliorer la donne. En Europe, 3 à 4 % des naissances sont issues de l’AMP, ce qui n’est pas négligeable. Les démographistes devraient comprendre que la fertilité est partie intégrante de l’équilibre de la pyramide générationnelle. 

Par Leila Ouazry

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