Avoir un enfant est le vœu caressé par une grande partie des couples mariés. Cela semble être la suite logique, dans le cadre d’un projet de mariage “classique”. Certes, le choix du timing dépend de chaque couple et de chaque situation, mais à quelques exceptions près, le rêve de donner la vie est pratiquement partagé par tous. Alors que certains vont décider de concevoir un enfant assez rapidement après leur union, d’autres feront le choix d’attendre plusieurs années avant d’y songer. Cela paraît d’une évidence et d’une simplicité telles qu’on pourrait croire être dans un monde parfait.
Hélas, le projet de procréer peut être parsemé d’embûches. De nombreux couples sont confrontés à d’innombrables difficultés avant de voir leur rêve aboutir.
Selon une enquête de la Société médicale marocaine de reproduction SMMR, entre 15 % et 17 % des couples marocains ont du mal à concevoir un enfant, soit un couple sur 7. Des statistiques pratiquement similaires aux statistiques internationales. Lesquelles seraient, selon les praticiens, en constante augmentation et pourraient atteindre jusqu’à 30% dans certaines régions. Les troubles endocriniens et hormonaux dus à certains facteurs exogènes (en particulier environnementaux) seraient parmi les causes de cette prévalence.
L’écrasante majorité des couples sondés par la SMMR, reconnaît que le problème d’infertilité ne leur a jamais effleuré l’esprit. Ainsi, mettent-ils du temps avant d’accepter la situation et de songer à des solutions.
Si pour les personnes averties, la médecine semble l’unique voie, certains, en revanche, optent pour d’autres recours. Ainsi, de nombreux couples perdent énormément de temps avant d’avoir un diagnostic clair et une solution médicale nette. Entre médecine traditionnelle et/ou parallèle, changement de gynécologues, recettes de grand-mères, le couple peut perdre en moyenne deux à cinq ans, faute d’information et de bon sens. Or, le facteur temps est d’une extrême importance, dans le process de procréation : horloge biologique oblige.
Accès difficile
L’infertilité est un problème complexe aux multiples causes, mais les progrès de la médecine permettent aujourd’hui aux couples infertiles de donner la vie grâce aux techniques de la procréation médicalement assistée.
Ainsi, au moment où le nombre des personnes concernées par l’infertilité va en augmentant, la pratique de la PMA connaît également une évolution importante. En France, près de 20 000 naissances par an sont obtenues, dans le cadre d’une PMA (dont 70 % environ par FIV-Fécondation in vitro) et 30 % par insémination). Chez nos voisins tunisiens, quelque 10.000 FIV sont réalisées par an, alors qu’au Maroc on compte seulement 2.800 FIV par an. Pour autant, ce ne sont ni les compétences et encore moins les candidats qui manquent.
Plusieurs causes sont à l’origine de ce chiffre limité au vu du nombre des personnes infertiles. Le manque d’informations, de moyens, d’orientation et de soutien, etc. limitent l’accès à la PMA.
Si les techniques de PMA permettent d’apporter une lueur d’espoir dans la vie des couples en mal de procréation, le parcours est loin d’être simple. Le coût semble être le principal frein pour de nombreux couples. Il faut compter, globalement entre 30.000 et 50.000 DH par tentative de FIV. Or, une fécondation in vitro nécessite des consultations, des examens biologiques, des examens radiologiques, des médicaments, … avant d’arriver au bloc opératoire. Quand celle-ci s’avère non fructueuse, il faut repartir à la charge. Une deuxième tentative, voire une troisième ou une quatrième…sont parfois nécessaires avant d’obtenir un test positif. Ce qui requiert beaucoup de dépenses, de temps et surtout de patience.
Quasiment exclus de la couverture médicale, quand bien même ils en auraient une, les couples doivent compter sur leurs propres fonds ou le soutien de la famille, quand celle-ci, voit d’un bon œil la PMA.
Aucune assurance privée, aucune mutuelle et autre couverture médicale ne prend en charge la PMA. Et pour cause, l’infertilité n’était pas considérée (jusqu’au récent avènement de la loi 47-14) comme étant une maladie. “Alors que l’OMS considère l’infertilité comme une pathologie, depuis 2009”, rappelle Pr Sefrioui, gynécologue à Casablanca. De même, la Santé Sexuelle et Reproductive (SSR) fait partie des Objectifs Mondiaux du Millénaire à travers l’OMD n°5 intitulé “Améliorer la Santé Maternelle”.
En France, 5 tentatives de FIV sont remboursées, au moment où chez nous, tout ce qui touche de près ou de loin à la PMA est rejeté de manière systématique. Thérapeutiques, inséminations, FIV, ICSI, et autres interventions… rien n’est remboursé. C’est dire que la santé reproductive est le parent pauvre de notre système de santé au Maroc.
Parcours compliqués
De nombreux couples se voient contraints de vendre des biens (héritage, bijoux, véhicules…) pour pouvoir financer leur désir de procréation. C’est le cas de Nadia. Après près de 10 ans de mariage, son désir d’avoir un enfant augmentait à mesure que son espoir de concevoir s’amenuisait. Quand elle entend parler de la FIV, elle veut coûte que coûte y avoir recours. C’est le début d’un long parcours. Mais, elle croit dur comme fer que la FIV lui permettra d’être maman. “Si cela a marché pour d’autres femmes, ça ira pour moi aussi”, disait-elle. Le prix “exorbitant” annoncé par le praticien ne la dissuade pas. Elle vend ses bracelets en or, et mobilise sa famille et ses amis pour collecter la somme nécessaire. “Pour moi, il n’était pas question, d’une seconde tentative. J’avais droit à une seule tentative, tant il était impossible de collecter à nouveau autant d’argent”, raconte-t-elle. Son vœu a été exaucé, et elle est devenue maman. Ce n’est pas le cas de Halima qui, après avoir consulté un nombre incalculable de médecins qui ne lui avaient jamais parlé de la FIV, finit finalement par y avoir recours. Mais après deux tentatives vouées à l’échec, son projet de procréation n’a toujours pas abouti. Entre temps elle a dû vendre une grande partie de son héritage. “ll me reste une seule parcelle de terrain. Je ne sais pas si je pourrais poursuivre”, confia-t-elle attristée.
Les exemples des femmes qui n’ont même pas pu accéder à une seule tentative ne manquent pas. Faute de moyens, elles ont choisi de baisser les bras.
Lueur d’espoir
Avec l’avènement de l’association MAPA, créée à l’initiative de Aziza Ghallam, en 2012, les choses sont en train de changer. L’association s’est fixée comme objectifs de briser l’omerta autour de cette question et d’inciter les pouvoirs publics à prendre des mesures à même de permettre à cette tranche de la population, de jouir de son droit à la santé, conformément à l’article 31 de la Constitution. Cette implication a d’abord permis de lever le voile sur cette pathologie. Les personnes concernées en parlent désormais sans gêne, et peuvent ainsi revendiquer leur droit. Les pouvoirs publics n’ont pas été indifférents à leur requête, motivés par la légitimité de celle-ci. C’est ainsi que la loi 47-14 a été adoptée en avril 2019. Censé réguler la PMA sur le plan éthique, juridique et médical, ce dispositif pourrait changer la donne. Quand bien même, il reconnaît l’infertilité comme une pathologie, il ne fait pas l’unanimité en particulier dans le rang des professionnels. Ces derniers contestent les peines privatives et les sanctions y figurant.
Si cette reconnaissance est en soi, une avancée, selon la présidente de MAPA, on n’en voit pas encore les retombées.
En effet, à ce jour rien n’a changé pour les candidats à la PMA, aucun remboursement n’est assuré par les diverses caisses de couverture médicale. Seule la CNOPS rembourse à hauteur de 5000 DH les frais inhérents à certains examens biologiques ou radiologiques, mais il ne s’agit aucunement d’une prise en charge totale de tout le process de la PMA. “C’est juste une question de temps”, estime Aziza Ghallam. Cette dernière assure que l’ANAM s’est engagée à faire le nécessaire pour introduire les traitements d’infertilité dans le panier des soins remboursés.
En effet, il faudra du temps avant de voir figurer tous les actes liés à la PMA dans le panier des soins remboursés par l’assurance maladie.
Enfin, la création en 2014 d’un centre public de prise en charge de PMA au sein du CHU Rabat, en vue d’élargir l’accès au plus grand nombre de patients nécessiteux pourrait être considérée comme une avancée importante. Cependant, le temps d’attente est assez considérable, eu égard à l’importance de la demande. Il faut compter en moyenne environ 12 mois pour avoir un rendez-vous, alors que le facteur temps n’est pas négligeable dans une telle pathologie.
C’est dire que la prise en charge de l’infertilité peut s’avérer longue, compliquée et particulièrement coûteuse.
Quelques causes de l’infertilité
Si le facteur de l’âge est la raison la plus évidente, en particulier chez la femme, on voit aujourd’hui de plus en plus de jeunes femmes en mal de procréer. Plusieurs causes peuvent être à l’origine d’une infertilité. Selon Dr Lamcharqui Mostapha, chirurgien urologue à Casablanca, les anomalies génétiques, qu’elles soient chromosomiques ou géniques, arrivent en tête de liste des étiologies d’infertilité masculine. L’altération des trompes serait la principale cause d’infertilité chez 25% des femmes qui ont du mal à procréer. Tandis que pour 50% d’entre elles, c’est un trouble de la fonction ovarienne qui en serait la cause. Une malformation de l’utérus, une endométriose ou une adénomioses, peuvent également empêcher des femmes de tomber enceinte. Au même titre que les IST (infection sexuellement transmissible), non traitées. Alors, qu’elles nécessitent généralement un traitement rapide et peu coûteux, les IST peuvent causer des dégâts irréversibles aussi bien chez la femme que chez l’homme, si elles ne sont pas prises en charge à temps. L’impact de l’homme sur l’environnement a également une incidence sur la fertilité. De nombreuses substances contenues dans certains produits alimentaires, cosmétiques, d’hygiène ou de ménage, etc. représentent un réel danger sur la santé reproductive. De nombreuses études ont prouvé que ces substances (aluminium, plomb, bisphénol A, parabènes, …) sont des perturbateurs endocriniens.
Enfin, le mode de vie peut également affecter les chances de procréer chez certaines personnes. L’excès de consommation de drogues, de tabac, d’alcool, au même titre que l’excès de poids peuvent diminuer les chances de concevoir un bébé.
Par Leila Ouazry