Mustapha Kharmoudi, à la découverte d’un Maroc méconnu

Le Maroc du XVIIIème siècle... qu'en connaissons-nous vraiment ? Si l'on se fie uniquement ànos manuels d'histoire, pas grand-chose. Dans "Voyage dans les royaumes perdus", romanhistorique aux intrigues passionnantes et dont le suspense nous tient en haleine du début à lafin, Mustapha Kharmoudi lève le voile sur un pan de l'histoire du Maroc, méconnu d'unegrande majorité d'entre nous.

FDM : Quel a été le déclic de ce livre ?

Mustapha Kharmoudi : J’étais très éloigné de l’histoire du Maroc, car on ne me l’a jamais bien racontée, mais aussi parce que des tas de tabous et d’ambiguïtés figées ne me permettaient pas de m’en faire une idée précise. Puis, il y a quelques années, un vieil ami, féru d’Histoire en général, a commencé à me faire lire des récits de voyages de chroniqueurs européens qui se rendaient au Maroc entre le XVIème et le XIXème  siècle. A la lecture de ces récits, quelque chose en particulier m’a interpellé: leur stupeur en découvrant l’abondance de verdure et d’eau qui régnait au Maroc. Moi qui suis issu de la campagne, de Ben Ahmed, je suis moi-même très nostalgique de la beauté de la nature du Maroc de ma jeunesse, et je garde des souvenirs émus des champs de coquelicots qui s’étalaient sur des dizaines de kilomètres. Le déclic, c’était donc ça : la beauté de la nature du Maroc de l’époque.

Pourquoi avez-vous décidé de sauter le pas et d’entreprendre l’écriture d’un roman historique ? 

Après avoir eu ce déclic, je me suis renseigné sur le roman historique marocain et j’ai découvert qu’il y en avait eu quelques uns, mais écrits de manière parcellaire. J’ai été pris de l’envie de transmettre leur histoire à mes enfants qui vivent en France, et aux jeunes gens de leur génération.

Quels sont les documents sur les quels vous vous êtes basé pour écrire ce roman historique ?

J’ai eu une chance énorme car la Bibliothèque nationale de France a numérisé toute une section des livres rares sur le Maroc, et donne la possibilité de la télécharger gratuitement sur Internet. Je me suis basé sur une trentaine de chroniques, de lettres et de contrats de voyageurs, d’ambassadeurs, de consuls et de captifs chrétiens ,mais également sur les deux livres d’auteurs marocains que j’ai pu trouver, ceux de Hassan Ziyani et de Diyâf.

Pourquoi avoir ciblé la période du XVIIIème siècle en particulier ?

En fait, j’étais très intéressé par d’autres périodes de l’histoire du Maroc, comme celle de la république de Salé, ou celle du règne de Moulay Ismaïl. Mais finalement, j’ai décidé d’ancrer cette histoire à la fin du XVIIIème siècle, car la fin du règne du sultan Ben Abdellah est la plus riche en écrits provenant de témoins directs. Cela m’a donc permis d’asseoir une fiction sur la base de faits avérés, car je précise que je ne me suis basé sur aucun commentaire.

Au fil de vos recherches, que découvrez vous de cette histoire du Maroc méconnue de la majorité ?

Au-delà de ma nostalgie de ce beau pays vert, j’ai découvert l’origine de certaines villes comme Fès, j’ai appris que le sultan Moulay Ismaïl avait constitué une armée de 100.000 abids étrangers pour contrôler les deux millions d’habitants que comptait alors le Maroc ; c’est dire la confiance qu’il plaçait en ses compatriotes à qui il n’imaginait même pas confier sa protection ! J’ai découvert aussi la condition des captifs chrétiens au Maroc, mais également celle des détenus musulmans chez les chrétiens. Enfin, ce qui m’a beaucoup marqué, c’est le pouvoir des majadibs, dont de nombreux témoignages indiquent le rôle important qu’ils jouaient au sein de la société de l’époque. Ces hommes mystiques enguenillés, qui erraient à travers le pays, exerçaient une influence énorme sur les gens. A Ksar El Kébir par exemple, l’un d’eux est monté au sommet d’un minaret pour exhorter la foule à tuer le caïd de la ville. Ce dernier, malgré son appartenance à la famille du sultan, a été retrouvé décapité le lendemain. Les majadibs, craints de tous pour leur pouvoir au sein des zaouiyates, pouvaient commanditer des meurtres au sein même des mosquées et ils ont en cela quelque chose en commun avec la secte des Hashashins en Orient.

A la lumière de cette période de l’histoire marocaine, que comprenez-vous de la société actuelle ?

J’ai toujours pensé que notre pays était très ouvert sur l’Occident alors qu’en fait, il ne l’était pas du tout. Et pour cause, nous étions en guerre tout le temps, que ce soit contre les Portugais ou les Anglais, qui installaient des couloirs sur le territoire marocain. Les Européens de l’époque remarquaient d’ailleurs que les voyageurs étaient prêts à aller jusqu’au fin fond de l’Asie, mais que rares étaient ceux qui osaient s’aventurer au Maroc, pourtant très proche géographiquement. En lisant cela, je me suis dit que bien plus que le colonialisme, cela expliquait en fait une partie de l’identité marocaine. Quand j’entends les Marocains revendiquer la préservation de leur authenticité, je me l’explique maintenant par les nombreuses agressions qu’a subile pays pendant des siècles.

Pourquoi avoir choisi pour narrateur un voyageur chrétien ?

Avant tout, je voulais rendre hommage à ces chroniqueurs étrangers qui m’ont inspiré ce roman car aujourd’hui, c’est principalement sur la base de leurs écrits que nous pouvons retracer une partie de l’histoire du Maroc. Certes, leurs intentions de départ n’étaient pas très louables car ils étaient souvent en mission d’espionnage ou animés par des désirs colonialistes, mais ils ont le mérite de nous avoir laissé quelque chose que nous pouvons aujourd’hui nous réapproprier à notre façon. Par ailleurs, l’intérêt d’un narrateur chrétien, c’est qu’il respecte moins les tabous, et qu’il peut dire ce qu’il veut sur ce qu’il découvre…Quel était le rôle joué par les femmes au sein de la société marocaine de l’époque ?Les seules descriptions que l’on en a dépeignent des femmes qui travaillent aux champs et qui sont très marginalisées. En même temps, il ne faut pas perdre de vue que nous n’avons que le point de vue de chroniqueurs étrangers, qui n’avaient pas accès au monde des femmes et à qui il était interdit de les approcher. Cependant, ils expliquent tout de même que les sultanes jouaient un rôle très important dans la vie politique, car ce sont elles qui poussaient leurs enfants à devenir sultans.

D’après vous, les Marocains ont-ils été dépossédés de leur histoire ?

Absolument, et en le disant, je persiste et signe. On nous a empêché d’avoir une vision correcte de notre histoire. On sait que les Marocains sont pour une grande partie berbères et pourtant, à l’école, on ne s’attarde pas sur la question. En revanche, on nous parle de la jahiliya comme s’il s’agissait de l’histoire de notre pays alors qu’en fait, il s’agit d’une période historique de l’Arabie. On nous fait croire aussi que si on critique notre pays, c’est qu’on ne l’aime pas ; qu’il y a deux types de Maroc, celui du Makhzen et celui de l’anarchie. On nous a fait croire que les tribus se faisaient la guerre sans arrêt et que c’est grâce au Makhzen que l’ordre a été établi alors que c’est faux ! Les tribus étaient organisées en fédérations qui vivaient en paix pendant de très longues périodes. Néanmoins, à chaque fois qu’un sultan mourrait, des guerres de succession ravageaient le pays pendant par fois une vingtaine d’années. Aucune dynastie marocaine n’a jamais institué le principe de succession. Ces guerres n’étaient donc pas des guerres tribales, mais des guerres de succession dans lesquelles des tribus alliées à des princes se battaient contre des tribus alliées à d’autres princes. Par ailleurs, s’agissant de notre langue maternelle, l’arabe dialectal, celle-ci n’est même pas mentionnée dans la constitution. Elle n’existe pas officiellement, et n’est ni protégée, ni enseignée. Quand on en parle, c’est souvent pour la dénigrer à tel point que les chantres de la langue arabe ne daignent pas appeler poètes ceux qui écrivent en dialectal. â– 


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