Mariage des mineures : des générations sacrifiées

Plus de 16 ans après l’entrée en vigueur du Code de la famille, et près d’une décennie après l’avènement de la nouvelle Constitution, le mariage des mineures continue de poser problème. En atteste les chiffres de l’étude de l’association Droits & Justice. Dévoilés lors de la Journée mondiale de l’exploitation sexuelle célébrée le 4 mars dernier, ces chiffres dénotent d’un véritable mal être social.

En 2018, 32.000 demandes de mariage de mineures ont été enregistrées au Maroc. Selon l’association Droits & Justice, les demandes de mariage des mineures et les actes correspondants ont connu une évolution irrégulière. “Le rapport en pourcentage des actes de mariage de mineures sur le nombre de demandes effectuées se situe entre 87,49% en 2006 (qui est la limite supérieure) et 79,47% en 2018 (qui est la limite inférieure) passant par le niveau minimal de 68,10% en 2016.”

L’étude menée sur un échantillon de 627 enquêtées dans diverses régions du Royaume (408 en milieu rural contre 207 en urbain) sur la période allant de 2006 à 2018, révèle que 319.177 des demandes de mariage déposées entre 2009 et 2018 ont été accordées. Par ailleurs, l’âge des demandeurs peut descendre jusqu’à 14 ans. Entre 2007-2018, la moyenne du nombre de mariées mineures âgées de 14 ans était de 359 “Bien que cela ne représente que 1% du total des mariages de mineures, il faut souligner que ce chiffre reste trop important”, estime l’ONG. La période 2016-2017 est hors norme avec des chiffres extrêmement élevés alors que le chiffre de 2018 est exceptionnellement bas avec à peine 9 demandes. Idem pour les filles âgées de 15 ans. Le nombre des demandes est anormalement haut pour les années 2016-2017 avec respectivement 7070 et 7060 demandes. Même constat chez les 16 ans, l’année 2017 enregistre le taux le plus élevé avec 10 744 demandes. Enfin, les 2/3 des mineures qui se sont mariées entre 2007 et 2017 étaient âgées de 17 ans.

Il faut durcir la loi

Pour rappel, la capacité matrimoniale s’acquiert pour le garçon et la fille jouissant de leurs facultés mentales à dix huit ans grégoriens révolus, comme le stipule l’article 19 du Code de la famille. Néanmoins, le législateur accorde, par le biais de l’article 20, au juge la possibilité de déroger à cette disposition. “Le juge de la famille chargé du mariage peut autoriser le mariage du garçon et de la fille avant l’âge de la capacité matrimoniale prévu à l’Article 19, par décision motivée précisant l’intérêt et les motifs justifiant ce mariage. Il aura entendu, au préalable, les parents du mineur ou son représentant légal. De même, il aura fait procéder à une expertise médicale ou à une enquête sociale”, stipule l’article 20 du même Code. Et c’est là toute la difficulté. Les juges disposent ainsi d’un large pouvoir pour apprécier les faits et accorder ou non l’autorisation de mariage. Si le législateur a prévu, cette dérogation, à priori, pour protéger les enfants nés d’une relation hors mariage, il arrive souvent, selon les associations féminines, qu’on use de subterfuges pour contourner la loi. Estimant les juges trop permissifs, de nombreuses associations féminines appellent à une réforme de l’article 20, en vue de limiter “les dégâts” des mariages précoces. L’exception serait devenue la règle, selon ces associations. Ces dernières pensent que la fixation d’un âge minimum de mariage serait un moyen pour lutter contre ce fléau qui a tendance à accentuer la précarité des femmes. “Il s’agit d’un acte contre-nature qui crée un environnement propice à davantage de situations d’injustice et de vulnérabilité”, estime le président de l’association Droits & Justice.

Avec un taux de 19,86 %, la région de Casablanca-Settat est la plus touchée par le phénomène. Mais de manière globale, sur les 12 dernières années, le nombre des demandes de mariage en zone rurale est supérieur à celui des mariages en zone urbaine. Le mariage avec “la Fatiha” perdure, avec un pourcentage de 6,56 % en milieu urbain contre 13% en milieu rural. Quelles sont alors les raisons derrière cette situation ?  S’agit-il d’un problème de droit, un problème culturel, social ou économique ? Sans doute tout cela à la fois ! 

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Recommandations jurdiques 

 Interdire le mariage des mineures de moins de 18 ans dans l’article 20 du Code de la Famille et supprimer l’article 21.

 Préciser dans l’article 16 que le contrat ou l’acte de mariage est le seul document accepté pour prouver le mariage.

 Pénaliser le mariage coutumier dans l’article 475 du Code Pénal.

 Inclure dans la loi n°27-14 les sanctions pour les cas particuliers de relation entre la victime et la famille, les parents, l’époux ou les proches pouvant être complices de la traite.

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Précarité accentuée

L’Indice d’Inégalité de Genre (IIG) élevé au Maroc (0,494), au même titre que  la misère économique et intellectuelle seraient parmi les principales causes de cette situation, selon de nombreux observateurs. L’abandon scolaire pourrait être à la fois, une cause et une conséquence du mariage des mineures. “Le recours au mariage de filles mineures est plus  lié au manque d’activité et à la vulnérabilité indépendamment du lieu de résidence, d’ailleurs la différence entre le milieu urbain et rural est négligeable”, révèle l’enquête. Les filles en milieu rural sont souvent contraintes d’abandonner leur scolarisation au terme du primaire pour de nombreuses raisons (régions enclavées, manque d’établissements à proximité, manque de moyens, difficultés de transport, inquiétude des parents, climat rude, …). 

Ainsi, la fille devient rapidement chez de nombreuses familles une charge, en plus d’être une source d’inquiétude (le que-va-t-on dire ? le risque de viol, etc.). “Le mariage en lui-même est perçu comme mode de redistribution des charges sociales et financières, de ce fait, il représente une nécessité dans des ménages où le niveau de vie est plus ou moins précaire”, explique Mohamed El Bakir, secrétaire général de l’association Droits & Justice.

L’Éducation, à la fois cause et conséquence

Encore une fois, l’éducation semble être au cœur de cette problématique. Si les parents n’ont pas eu la chance d’aller à l’école, ils ne disposent pas d’outils pour mesurer la gravité du mariage précoce pour les enfants. Nombreux sont les parents qui savent peu ou prou sur leurs droits et encore moins ceux de leurs enfants. Ils ignorent qu’une personne est considérée enfant jusqu’à l’âge de 18 ans et que la place d’un enfant est sur les bancs de l’école. Ils ne savent pas non plus grand-chose sur la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par le Maroc en 1993. Même le Code de la famille, ils en ont une connaissance très superficielle (86% grâce à la télé et 7% grâce à la radio). Il est donc évident qu’ils ne sont pas à même de protéger les droits de leurs enfants. Comment peut-il en être autrement si eux-mêmes n’ont pas pu jouir d’un droit élémentaire : l’Éducation. 

La majorité des parents des sondées est analphabète avec 74,35%, concentrés dans les régions Marrakech-Casa-Safi-Settat. Partant, les parents estiment à tort que la meilleure manière de protéger leurs filles est de les marier. Hélas, ils ne savent pas qu’en mariant leurs filles à un âge précoce, ils les condamnent à suivre la même destinée qu’eux. Près de 72% des mères des mariées mineures l’étaient également quand elles ont convolé en justes noces, Et la boucle n’est jamais bouclée, le même scénario se perpétue. On se retrouve ainsi avec des générations sacrifiées. Bien qu’elles pensent le contraire ! Les filles semblent convaincues que le mariage est bien pour elles. “La majorité des filles sondées ont déclaré qu’elles étaient tout à fait consentantes et qu’elles croient toujours qu’un mariage précoce est un bon choix.”

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Point de vue de l’ONU

Selon l’ONU, le phénomène du mariage des mineures est universel. Il touche près de 39.000 filles chaque jour dans le monde. Dans le cadre des objectifs du développement du millénaire, le phénomène devait disparaître en 2015, mais pour l’heure, cela continue de sévir dans de nombreuses contrées, notamment dans les pays en voie de développement. La première conséquence à ce fléau est l’abandon scolaire. Partant, l’organisation estime que l’éducation reste un facteur essentiel de protection contre le mariage des enfants et que l’émancipation est la seule voie pour qu’elles puissent choisir quand et avec qui elles souhaitent se marier. “Le mariage d’enfants est une violation épouvantable des droits de l’Homme qui prive les jeunes filles de leur éducation, de leur santé et de leur avenir”, rappelle-t-on à l’ONU.

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Exclues et exploitées

Pas de projet de vie, pas de perspectives d’avenir, ces filles vont tout simplement reproduire le même schéma que leurs mères. Exclues des opportunités économiques et privées, elles ne peuvent pas prétendre à un avenir meilleur, à une quelconque autonomie ou indépendance. Pour autant, elles sont exploitées à plus d’un titre. Au- delà de l’exploitation sexuelle, elles font l’objet d’une exploitation économique sans même le savoir. 99% des femmes en milieu rural exercent des activités productives (activités agricoles, tissage de tapis…), tout en ignorant qu’elles contribuent ainsi à l’économie de leur foyer. Ces femmes passent, en moyenne, plus de 7 heures par jour en dehors du foyer, notamment dans les champs. En plus des  tâches ménagères, elles vont aux champs, coupent et transportent le bois, cherchent de l’eau…Les citadines ne sont pas mieux loties. Astreintes aux tâches ménagères, elles sombrent souvent dans des problèmes psychiques, à cause de la pression sociale, et de la violence conjugale dans certains cas.

Violation de droits

Alors que la Constitution stipule l’égalité des chances, ces enfants ne peuvent pas prétendre à cette équité. Elles sont dès le départ exclues, le chemin étant d’emblée tracé. Il s’agit d’une injustice, voire d’une violence sociale qu’on fait subir à ces filles, alors qu’elles entament à peine leur vie. Certains observateurs vont encore plus loin en qualifiant le mariage de mineures d’acte de pédophilie légalisé ou encore de traite humaine.

Le mariage des mineures est lourd de conséquences, non seulement pour ces filles mais pour la société de manière globale. Les séquelles physiques et psychiques ne sont pas des moindres chez ces femmes. Confrontées aux difficultés de la vie conjugale, à la gestion du foyer, à l’éducation des enfants,… alors qu’elles n’ont même pas encore atteint l’âge adulte, ces femmes risquent selon les praticiens de faire des dépressions nerveuses sévères. Près de 56 % du total des personnes ciblées par l’enquête Droits & Justice ont eu leur première grossesse avant 18 ans. C’est dire la gravité de la situation. Démunies sur le plan intellectuel, affectif (dans la plupart des cas) et également matériel (dans certains cas), elles sont fragilisées. Selon l’ONG Printemps de la dignité, le mariage des filles mineures est l’une des principales causes du divorce. Elles sont ainsi exposées à davantage de précarité, d’exploitation, de pression et de violence. D’où l’urgence de réformer le Code de la famille. L’article 20 devrait, selon les défenseurs des droits de la femme, être abrogé, ou du moins codifié. 

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