FDM : En novembre 2012, vous avez ouvert une salle de prière accessible à tous les musulmans, notamment aux homosexuels. Quels sont les fondements de cette mosquée ?
Ludovic-Mohamed Zahed : Il ne s’agit en cela pas d’ouvrir une mosquée “gay”, ni de célébrer des mariages entre homosexuels. Ce genre de mosquées radicalement égalitaires et “inclusives” – envers les femmes et les homosexuels notamment – existe déjà dans plusieurs villes des Etats-Unis et du Canada. Il est essentiel de comprendre que c’est la prière en commun, pratiquée de manière fondamentalement égalitaire et sans aucune forme de discrimination liée au genre ou à l’orientation sexuelle, qui est l’un des piliers soutenant ce projet de réforme de la représentation que nous avons de l’islam, entrepris par certaines associations musulmanes d’avant-garde. Dans leur projet, les progressistes nordaméricains sont souvent aidés par des congrégations chrétiennes, ou même par des sociétés privées, qui leur laissent utiliser une partie de leurs locaux, notamment pour la prière du vendredi.
Dans quelles conditions la première prière du 30 novembre 2012 s’est-elle déroulée ?
Ce fut à la fois simple et très fort. Nous avons eu le soutien du très beau temple bouddhiste Zen, à l’est de Paris, et nous sommes actuellement à la recherche d’une solution plus viable sur le long terme, plus centrale, afin d’accueillir davantage de fidèles. Car c’est un projet qui intéresse, motive et redonne espoir à des individus très divers.
Qu’est-ce qui est à l’origine de cette initiative ?
Ce projet d’ouvrir une mosquée “inclusive” à Paris est d’abord né d’un long cheminement personnel. Adolescent, alors que j’avais une représentation radicale de l’islam, j’ai appris la moitié du Coran, envoûté par la beauté de ses textes empreints d’universalisme. Mais rapidement, à l’âge de 17 ans, je me suis découvert homosexuel. Après plus de 15 ans de réflexion en la matière, j’ai compris que le Coran ne faisait aucune référence explicite à l’homosexualité, ni au statut “inférieur” des femmes. En effet, l’interprétation univoque et dogmatique de certains versets du Coran ne fait plus l’unanimité, en particulier au sein du courant, certes minoritaire pour le moment, des musulmans progressistes à travers le monde. En l’occurrence, les versets qui traitent des crimes du “peuple de Loth” font référence à une pléiade de crimes en tout genre : vol, piraterie, refus de l’hospitalier, viol des hommes, mais aussi des femmes, afin de satisfaire une certaine déesse, Ishtar, tantôt déesse de l’amour, tantôt déesse de la guerre… En somme, l’islam ne condamne pas explicitement l’homosexualité en tant que telle. Le Coran – et les autres textes sacrés du monothéisme – nous parlent d’un peuple qui, il y a peu ou prou cinq mille ans, avaient des pratiques qui ne respectaient pas la dignité humaine.
Etre gay, musulman et séropositif, c’est un cocktail explosif… Comment vivez vous cette idée complexe et souvent mal perçue par la société ?
Je suis moi-même, tout simplement, audelà des carcans identitaires et des ghettos sociaux que j’ai appris à dépasser. Mon identité est complexe, comme celle de tout un chacun.
A travers HM2F, vous défendez la cause des homosexuels musulmans, mais les droits des femmes sont aussi au centre de vos revendications. Pourquoi ?
La masculinisation et la virilisation excessive de l’identité arabo-musulmane, le rejet de la féminité, qu’elle soit incarnée par des femmes ou par des homosexuels efféminés, fait les mêmes dégâts, que vous soyez un homme ou une femme.
Aujourd’hui, peut-on être musulman sans être homophobe ?
A l’heure actuelle, sous le coup de l’homophobie et de la misogynie, certains s’obstinent à condamner à mort les homosexuels par ignorance et en pratiquant l’amalgame ; considérant en quelque sorte que tous les individus appartenant de fait à une minorité sexuelle seraient des criminels. Aujourd’hui, j’ai compris que ni l’homophobie ni la misogynie ne respecte cette éthique islamique à laquelle j’adhère de nouveau pleinement.
Recevez-vous un soutien de la communauté religieuse musulmane ?
Oui, de la part de nombreux musulmans qui nous envoient de nombreux messages pour nous féliciter et nous remercier de faire vivre un islam dont il pensaient à tort qu’il n’émergerait jamais.
Quel est votre islam idéal ?
Un islam inclusif, facteur d’émancipation individuelle et non pas outil de répression politique.