Livres : Rachid Benzine l’histoire méconnue du Coran

Que savons-nous au juste du Coran ? A vrai dire, pas grand-chose. Dans "Le coran expliqué aux jeunes", l'islamologue Rachid Benzine révèle le livre saint avec méthode, et apporte des réponses à nos questions. A lire !

FDM Votre livre nous apprend beaucoup sur le Coran, l’islam, son histoire… des sujets que peu de musulmans connaissent ou qu’ils n’osent pas aborder. Mais pourquoi le Coran “expliqué aux jeunes”, et non pas aux musulmans en général ?



Rachid Benzine : Mon livre n’est pas réservé uniquement aux jeunes, mais j’ai néanmoins voulu les privilégier comme destinataires de mon travail. Pourquoi ? Parce que je pense qu’il est de notre responsabilité de les encourager à exercer leur esprit critique à l’égard de toutes les croyances. Pas seulement les croyances religieuses, mais aussi les croyances politiques, économiques, philosophiques. Nous devons leur apprendre que tous les questionnements sont légitimes, parce que je suis convaincu que c’est le doute qui fait avancer, et non pas les certitudes qui enferment dans des dogmes paralysants. J’ai aussi destiné mon livre aux jeunes parce qu’il répond, d’une certaine façon, aux questions que je me posais à l’adolescence, ne sachant pas à qui m’adresser pour satisfaire ma soif de comprendre. Comme vous avez pu vous en rendre compte, mon bouquin est pour tous ceux, musulmans ou non-musulmans, jeunes ou “anciens jeunes”, qui s’interrogent sur le texte coranique, sur son histoire, sur son message. D’ailleurs, compte tenu du conformisme qui prévaut dans l’enseignement et les études islamiques, et qui retarde toute pensée critique, on peut considérer que, finalement, nous sommes tous relativement jeunes et novices s’agissant du Coran. Nous sommes “jeunes” tant que nous acceptons de nous confronter à la complexité de la compréhension des événements, et que nous refusons les réponses toutes faites qui n’appellent pas à leur tour de nouvelles questions.



Vous passez à la loupe le Coran et le contexte historique et culturel dans lequel il a fait son apparition. Que savons-nous au juste de cette période ?



Vous considérez que j’ai “passé le Coran à la loupe”. En fait, ma première préoccupation a été de voir s’il était possible de retrouver le Coran dans son premier jaillissement en tant que parole. Cela n’est pas une entreprise aisée. Retrouver le premier contexte d’“énonciation” de la parole coranique dans son milieu d’origine et les croyances des hommes à qui il s’est adressé (les premiers croyants étaient très différents des musulmans d’aujourd’hui…), s’avère être une tâche très difficile. Nous avons très peu d’éléments et d’informations fiables sur cette période, mis à part le Coran lui-même. Même si, ces dernières décennies, la recherche historique a beaucoup progressé sur l’Arabie du VIIème siècle, les chantiers qui restent à explorer sont innombrables. Car notre connaissance de l’Arabie du temps du Prophète est loin d’être aussi claire que le prétend la tradition islamique. Disons-le : elle n’est pas claire du tout. D’ailleurs, qu’il s’agisse du Hadith ou de la Sira – des documents mis par écrit plus d’un siècle après la mort du Prophète dans des milieux extérieurs à la péninsule arabique – nous avons là des sources qui représentent déjà elles-mêmes une exégèse, une interprétation du contexte primitif de la révélation coranique. Ces écrits nous renseignent beaucoup plus sur la manière dont les gens du IXème siècle ont compris la figure du Prophète et le Coran, que sur le contexte de l’Arabie de la révélation.



Vous mettez en lumière certaines contradictions, notamment celles qui concernent l’alcool… Comment cela est-il perçu par la communauté musulmane ?



Je ne suis pas certain qu’il convienne de parler de “contradictions” à propos d’un certain nombre de versets qui, de fait, ne disent pas toujours des choses semblables. A propos de la question du vin dans le Coran, j’ai surtout essayé de montrer que la tradition islamique, pour faire face à certains versets qui semblent contradictoires, a mis en place la règle de l’abrogation. Cette théorie consiste à dire que, lorsqu’il y a des injonctions qui apparaissent contradictoires parmi plusieurs versets dits juridiques, le dernier verset révélé abroge les précédents. Cette théorie s’appuie sur le verset 106 de la sourate 2, qui proclame : “Si Nous abrogeons un quelconque verset ou que Nous le fassions oublier, Nous en apportons un meilleur, ou un équivalent”. J’ai essayé de mobiliser l’analyse littéraire pour étudier le contexte de ce verset. Il faut réaliser, en effet, qu’un verset n’a de sens que par rapport à ce qui le précède et ce qui le suit. On ne devrait pas, comme on a souvent tendance à le faire, donner une interprétation à un verset sans tenir compte de l’ensemble où il s’insère. Quand on lit ce verset, on s’aperçoit qu’il concerne des prescriptions relatives aux “gens du livre”, juifs et chrétiens : ce n’est pas un verset du Coran qui en abrogerait un autre. J’ai aussi essayé de montrer que cette question de la contradiction entre versets n’a pas du tout le même sens dans un contexte d’oralité et dans le cadre d’un écrit. En contexte d’oralité, la parole coranique est en interaction avec la communauté des auditeurs. Ainsi, les différents versets sur le vin répondent tout simplement à des situations différentes que rencontre la communauté de croyants.



L’ijtihad est-il quelque chose d’envisageable, surtout au niveau de la question des femmes ?



Pourquoi précisez-vous : “surtout au niveau de la question des femmes” ? L’ijtihad comme effort interprétatif est non seulement envisageable mais souhaitable, pas seulement à propos des femmes mais pour tout ! Votre question, en réalité, dévoile une attitude vis-à-vis du texte que je crois être, pour ma part, à éviter : celle de l’expectative, dans ce sens que vous semblez attendre du texte qu’il donne des solutions satisfaisantes à des problèmes tels que celui de l’inégalité des genres. Mais en faisant cela, vous projetez sur le texte une préoccupation et une attente qui n’étaient pas du tout inscrites dans l’agenda de l’époque. La notion d’individuation de chacun, le fait que chaque individu est saisi comme un être singulier, tout comme la notion d’égalité des genres ou d’égalité des droits, n’existaient tout simplement pas à l’époque. Il n’est donc pas très utile, à mon avis, de chercher à comprendre ce que le Coran peut dire sur ces sujets : son milieu humain de jaillissement ne se posait pas les questions que nous nous posons aujourd’hui. De même, il me paraît illusoire et appauvrissant d’entrer dans le texte coranique avec déjà en tête une idée de ce que l’on voudrait y trouver, ou faire dire à ce texte. N’oublions jamais que le Coran est apparu dans un monde tribal et patriarcal. Il est tout imprégné de culture patriarcale, comme, au demeurant, beaucoup de textes de l’époque. Le patriarcat est le postulat dominant du Coran. Il faut le dire et le reconnaître, mais cela ne veut pas pour autant dire que le patriarcat est la norme “éternelle” dont un “islam” désincarné plaiderait sans fin la cause. Si tel était le cas, que dire de l’esclavage ? Il ne faut pas non plus chercher, en matière d’égalité des hommes et des femmes, des normes dans le texte coranique. D’ailleurs, la norme est toujours une “construction” sociale et historique par les juristes. Par le passé, certains savants accordaient plus d’importance à leur contexte social dans l’interprétation et produisaient des verdicts apparemment contraires au sens explicite du Coran. Ainsi, certains juristes classiques soutiennent que causer une blessure à sa femme en la frappant est un motif de divorce, bien que le Coran dise qu’une épouse désobéissante peut être punie. Dans beaucoup de sociétés musulmanes contemporaines, on se refuse à modifier les règles de l’héritage en ce qui concerne la part qui doit revenir aux femmes au motif que telle ou telle disposition est inscrite dans le Coran. Se comporter de la sorte, c’est méconnaître le fait que, dans sa délivrance première, la Parole coranique a été en interaction avec sa société, avec les hommes de son temps. C’est aussi limiter le texte coranique que de le considérer comme ne pouvant plus produire de nouveaux sens. Un texte dit révélé qui méconnaît l’expérience et la participation de sa communauté ne peut plus fonctionner comme un “texte révélé”. Pour agir encore comme une révélation, le Coran a besoin de tenir compte des communautés de lecteurs d’aujourd’hui… comme en a tenu compte la Parole coranique première. Sans ce public et cette interaction, il cesse d’être le Coran. Après tout, que vaut une “écriture sacrée” si elle n’a pas une communauté de participants, d’auditeurs et de lecteurs ?



Le Coran s’adresse-t-il principalement aux hommes (on pense notamment au paradis des hommes, à qui l’on promet des femmes vierges et belles et des “houris”, créatures enchanteresses) ?



Vous posez une question à partir de votre représentation actuelle des rapports entre hommes et femmes. Il me paraît essentiel de rappeler que la Parole coranique s’est adressée d’abord à la société de Muhammad, une société tribale et patriarcale. Ce contexte de la délivrance première du Coran se distingue des autres périodes et sociétés que va rencontrer le Coran par la suite. Chacune des sociétés progressivement touchées par le message coranique va fournir sa propre lecture du Coran. Cela ne veut pas dire que les interprétations antérieures étaient fausses : elles répondaient simplement aux enjeux de leur temps et à la nature de la société où elles étaient nées. Aujourd’hui, vous déduisez de quelques passages sur le paradis que “le Coran s’adresse principalement aux hommes”. Mais dans les sociétés qui nous ont précédés, où la question des genres ne se posait pas du tout dans les mêmes termes, la plupart des femmes n’avaient pas le même rapport au texte que vous, qui vivez dans un contexte nouveau qui interroge, à juste titre, cette thématique des genres. Pour vous répondre sur les vierges et les “houris” du paradis, replaçons les passages les concernant dans le déroulement de la parole coranique. Ils font partie de sourates mekkoises. Ils ont été délivrés en contexte païen. Aux chefs de clans et de tribus païens de La Mecque, le discours coranique offre ainsi la perspective “eschatologique” (c’est-à-dire une vie après la mort) de séances de plaisir avec du vin, des vierges et des éphèbes. Ces réalités existaient déjà chez ces hommes, mais le Coran les multiplie à la puissance dix comme pour les “appâter”. Cette idée d’un discours cherchant à séduire ses auditeurs ne doit pas vous surprendre. C’est l’une des vocations des textes religieux d’attirer les consciences pour les éveiller. Pour en revenir aux chefs de clans et de tribus, ces promesses ne suffisent pas à les convaincre de l’intérêt de la nouvelle foi. Ce discours est alors abandonné en période médinoise. Dès lors, les promesses énoncées diront seulement que les élus seront réunis avec leur famille après la mort, et que les combattants tués auront une récompense. Mais cette dernière n’est plus jamais liée aux vierges et aux “houris”. Ce sont les lectures faites du Coran au IXème siècle qui promettront les vierges et les “houris” aux combattants tués. Ce type de lecture, qui est depuis repris et validé, généralise donc un thème : les vierges et les “houris”, qui était particulier à une situation (les païens à La Mecque), mais qui a été abandonné quand le contexte a changé (à Médine).



Que pensez-vous des fatwas de certains prêcheurs musulmans ? En quoi ceux-ci peuvent-ils se prétendre d’un islam véritable ?



Je crois que toutes ces fatwas qui prolifèrent de nos jours pour encadrer toujours plus la vie des gens, et ces prêcheurs qui les énoncent, disent tout le mal de notre époque et tout le mal-être des musulmans. Je dis “le mal de notre époque”, parce qu’à la faveur des nouvelles technologies d’information et de communication, elles jouissent d’un retentissement et d’une diffusion qui donnent un pouvoir sans précédent à ces prêcheurs, qui ont bien compris qu’elles constituaient pour eux un formidable outil de propagande et de domination. Et je dis “le mal-être des musulmans” parce qu’ils sont hélas enfermés dans un rapport très concret, très réaliste, au Coran et à la tradition islamique, dont ils attendent des réponses à tout et sur tout. Hors des textes religieux, point de salut ! Tant que la lecture critique du Coran ne sera pas quelque chose d’habituel, de presque “banal”, on restera dans une pensée qui appauvrit ce texte, qui le fige, comme s’y emploient ces prédicateurs zélés qui pensent pouvoir tirer des conclusions définitives sur toutes les questions contemporaines, sans comprendre tout l’intérêt d’une approche historique qu’ils se plaisent à blâmer et à condamner. Je trouve que non seulement ils ne rendent pas service aux musulmans, mais de plus, ils manquent cruellement d’humilité en pensant avoir tout compris d’un texte qui a encore tant à nous dire. Ils font du Coran un livre d’interdits ou de questions-réponses, ce qui est une conception extrêmement pauvre de la religion en général, et de la foi musulmane en particulier. Dans nos démarches, c’est l’humilité qui doit nous guider.



Que dire à tous ces jeunes qui considèrent l’Occident comme une émanation du diable et qui pensent que le Coran vient à l’appui de cette perception ?



Je leur réponds simplement que les Etats- Unis n’existaient pas au VIIème siècle (puisque, derrière le terme “Occident”, c’est d’eux qu’ils parlent généralement) ! Où est-il dans le Coran, cet Occident diabolisé? Ils vont chercher et pensent trouver dans le Coran ce qui n’y est pas. C’est exactement de cela dont il faut sortir de façon urgente. De toute façon, on ne peut aller nulle part avec ce genre d’invectives : pour les fondamentalistes protestants américains, les islamistes sont le diable. Chacun est le diable de l’autre ! On peut continuer comme cela longtemps, mais ça n’a aucun intérêt.

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