Guerres, prises d’otages, terrorisme, catastrophes…, des images traumatisantes font sans arrêt la une des journaux télévisés et des sites internet. Et avec le concept de l’info en temps réel, il devient difficile d’en prémunir nos chères têtes brunes. Or, dans leur cerveau d’enfant, s’agitent une foule d’interrogations entêtantes…
“Mes deux garçons ont respectivement sept et neuf ans. J’ai beau les protéger au maximum des horreurs et des morts dont on nous rend compte quotidiennement, mon filtre ne marche que jusqu’à un certain point. À l’école, il y a toujours un petit camarade pour vendre la mèche ou, carrément, exhiber des vidéos épouvantables sur son smartphone”, soupire Houda. L’actualité morbide très riche de ces derniers temps, entre catastrophes aériennes en série, attentats à Charlie Hebdo et exécution d’otages, ne lui a laissé aucun répit. “J’avais tellement de mal à leur justifier l’injustifiable que je changeais de sujet dès qu’une question pointait dans ce sens. Un mauvais point pour moi, je sais bien, mais quoi leur dire ?”, ajoute-t-elle. Lamia, une autre maman désorientée, n’a pas su non plus quoi rétorquer à une colle posée par Myriam, sa fille de huit ans : “Pourquoi les gentils sont tués et les méchants sauvés ?”
Lorsque la barbarie dépasse l’entendement et que le tumulte du monde vogue à contre-courant de toutes les valeurs de justice, de bonté et d’amour de son prochain qu’il tente d’inculquer à son enfant, le parent est désarmé net. Submergé par sa propre émotion, il a du mal à dispenser une explication logique à ce qui ne l’est pas. Pourtant, le petit gamin à la vision “Bisounours” planté devant lui a besoin d’entendre les choses, à hauteur de sa compréhension d’enfant. Le mutisme ou le non-dit ne ferait que l’angoisser davantage, ou lui faire fabriquer encore plus d’images mentales sordides, par défaut.
Dialoguer pour désamorcer l’inquiétude…
Il apparaît clairement qu’on ne peut faire l’économie d’une explication sur des événements choquants, à partir du moment où ceux-ci sont parvenus à l’enfant par un canal quelconque. Il s’agira alors de l’amener à en parler, en l’écoutant attentivement dans un premier temps. “Qu’est-ce que tu sais ?” ; “Comment as-tu appris ça ?” ; “Qu’est-ce que tu en penses, toi ?” … autant d’indices qui permettront aux parents de se faire une idée précise de la situation et d’adapter leur discours, quitte aussi à restaurer la vraie version, parfois malmenée par les médias.
Dans tous les cas, psychologues et psychanalystes de l’enfance s’accordent sur une constante : ne pas chercher à occulter la vérité! Ce qui n’empêche pas de l’édulcorer ou lui faire prendre une forme dicible… Si l’enfant est en âge de comprendre (à partir de six ans), on lui recadre les faits en en déroulant très sobrement le fil, sans jamais rentrer dans les détails glauques (sang abondant, nombre de balles tirées, proportion d’orphelins…). Nul besoin non plus d’illustrer ses propos en mettant en avant des images violentes, à caractère informatif très douteux, ayant juste un effet sidérant et inducteur d’émotions négatives ! Rajae se souvient des reportages sur le tsunami en Thaïlande, qu’elle regardait en boucle sur les chaînes d’info sans prêter attention à la présence de sa fille. “Elle était petite à l’époque, et même si elle semblait passive, en réalité, elle a tout absorbé comme une éponge. Son angoisse non verbalisée s’est exprimée par le biais de cauchemars et, coïncidence ou pas, elle s’est remise à faire pipi au lit”, se souvient-elle. Devant un parterre de jeunes immatures, le principe de précaution reste évidemment de mise. Et, clairement, moins ils auront accès aux images anxiogènes du journal télévisé, banalisant à tue-tête décapitations, mères infanticides ou guérillas urbaines, mieux cela vaudra.
Appeler un chat, un chat…
Violence gratuite, meurtres d’innocents, populations décimées…, la question épineuse du “pourquoi” va souvent constituer le point névralgique des échanges entre rejetons et parents. Et là, quel que soit l’embarras provoqué, il s’agit de ne pas se dérober, ni d’avoir peur des mots. Ainsi, un terroriste est une personne qui utilise la violence pour imposer ses idées, et tue des innocents. “Oui, mon chéri, c’est absolument affreux et impardonnable, et ça nous rend tous tristes. Comment il peut faire ça ? Et bien parfois, il y a des gens isolés qui veulent que tout le monde pense de la même manière qu’eux, et ils ne supportent pas que l’autre ait des opinions, une religion, une couleur de peau, une nationalité différentes… Ces individus peuvent se faire manipuler comme des marionnettes par des chefs puissants mais à la fin, ils ne gagnent jamais. La police les rattrape toujours et les met en prison”, est un discours envisageable, par exemple.
À partir de six ans, l’enfant peut intégrer l’idée que, pour exprimer son désaccord, le dialogue est plus important que la violenc. On le lui aura assez répété dans la cour de récréation ou à la maison, dans le cadre de ses relations avec le reste de la fratrie. À huit ans, il est d’autre part capable de saisir qu’on ne doit pas tuer des gens qui ont un avis ou une façon de vivre opposée à la nôtre. Par ailleurs, aucune religion ne demande ça…
Le caractère exceptionnel de la tragédie doit aussi être souligné, pour le rassurer. On peut notamment lui montrer des photos de rassemblements de milliers de gens qui se mobilisent à travers la planète pour la paix et l’amour. “J’ai beaucoup parlé avec lui après les récents attentats de Paris, témoigne Ghislaine. Je sens que nos discussions commencent à porter leurs fruits. J’essaie de faire germer en lui des prémices de liberté, de tolérance et de solidarité. Si ce massacre pouvait au moins servir à ça!” Le petit cours d’éducation civique sera en outre complété par quelques mises en garde sur certaines images montées dans un but sensationnaliste par les médias, et déformant parfois la réalité. Après cela, la vie normale doit reprendre ses droits. À vingt heures pétantes, usant d’un ton enjoué, on lui signifie que son univers quotidien n’est en rien menacé par ces turbulences extérieures : “On dîne bientôt. Tu as terminé tous tes devoirs ?”.