FDM : Comment vous êtes-vous retrouvés embarqués dans cette aventure ?
Abdelilah : Je fais du théâtre amateur depuis plus de 12 ans. Je faisais partie de deux clubs dans le quartier de Sidi Moumen. J’ai joué dans beaucoup de pièces, j’ai fait des formations et ai participé à des festivals, même si mon rêve était de faire du cinéma. Je ne passais pas beaucoup de castings, mais j’avais foi en mon talent d’acteur et j’attendais le jour où j’allais être découvert et apprécié par l’un de nos réalisateurs. Quand j’ai su que Nabil Ayouch faisait passer un casting pour son film, je n’ai pas hésité une seule seconde !
Abdelhakim : Pour ma part, je n’ai jamais fait de théâtre auparavant. Ce film marque en fait mes débuts en tant qu’acteur. J’avoue que c’est venu un peu par hasard… J’ai eu le réflexe d’aller passer le casting, comme beaucoup d’autres jeunes de Sidi Moumen qui ont entendu parler du film de Nabil Ayouch. Comme je n’avais aucune expérience préalable, c’était plutôt difficile, mais j’y suis arrivé à force de persévérance. Il a fallu plus d’un an d’allées et venues avant que je ne sois finalement choisi.
Quels personnages incarnez-vous ?
Abdelhakim : J’incarne le rôle de Yachine, qui vit dans le bidonville de Sidi Moumen. Il est particulièrement attaché à son frère aîné, Hamid, qu’il suit partout. Mais quand ce dernier est arrêté, il se retrouve, du jour au lendemain, sans protection, à devoir se débrouiller tout seul pour survivre et s’occuper de sa famille. Quand son frère sort de prison, il le convainc de le suivre parmi les “frères” et finit par être choisi comme futur martyr.
Abdelilah : L’histoire du film, inspirée de faits réels qui sont ceux des attentats terroristes de 2003, est très forte. Je joue le rôle de Hamid, qui devient islamiste radical pendant son incarcération. A sa sortie de prison, il persuade son frère Yachine et ses amis de rejoindre leurs “frères”. Bien avant de connaître le scénario, j’étais très enthousiaste à l’idée de jouer dans un film sur Sidi Moumen car je suis issu de ce quartier. Je n’avais qu’une idée en tête : décrocher le premier rôle ! J’avais envie de changer l’idée qu’on se faisait de mon quartier. C’était mon devoir et mon ambition, malgré les réticences de beaucoup de gens de là-bas, qui craignaient que le film ne transmette une image plutôt négative d’eux.
Comment s’est passé le tournage ?
Abdelilah : Nous n’avons pas rencontré de difficultés particulières avec le scénario. Nous possédons la capacité et le niveau nécessaires pour bien assimiler l’histoire et nous imprégner des personnages. J’ai essayé d’aider Abdelhakim au maximum, vu qu’il était novice dans le domaine. Nous ne sommes certes pas des acteurs confirmés, mais nous avons essayé de travailler avec le plus de professionnalisme possible. Nous voulions être à la hauteur du film et des rôles qui nous ont été confiés. Il était important pour nous que le public nous apprécie.
Abdelhakim : Les premiers jours ont été très difficiles. C’était ma première expérience devant la caméra et je ne m’attendais pas à ça. Parfois, on devait recommencer chaque scène sept ou huit fois d’affilée ! C’était dur, à tel point que j’ai même pensé à tout abandonner. Mais je me suis vite ressaisi et j’ai fini par m’habituer. Le tournage a duré quatre mois durant lesquels nous habitions tous ensemble, Abdelilah, les autres acteurs et moi. On se soutenait mutuellement et ça nous a beaucoup aidés.
Où le tournage a-t-il eu lieu ?
Abdelhakim : Contrairement à ce que tout le monde croit, le film n’a pas été tourné à Sidi Moumen, mais dans un bidonville du côté de Mohammedia qui s’appelle Brahma. Notre quartier a beaucoup changé depuis les attentats. Des immeubles ont été construits et le bidonville n’est plus ce qu’il était…
Les choses ont donc changé à Sidi Moumen depuis les attentats ?
Abdelilah : L’histoire du film nous fait remonter au début des années 90. A ce moment- là, Sidi Moumen était un bidonville au milieu de nulle part. Il était isolé, loin de toute civilisation. Je me rappelle que quand j’étais petit, je signais les pages de mon journal par : “La marge de Casablanca”.J’avais toujours ce sentiment d’être à l’écart. A l’époque aussi, il n’y avait pas de paraboles. Il y a eu d’ailleurs un vrai souci lors du tournage pour qu’il n’y en ait pas dans le champ de la caméra !
Abdelhakim : Ces dix dernières années, les choses ont énormément changé à Sidi Moumen. On a assisté à la naissance de plein d’associations et à l’ouverture de plusieurs maisons de jeunes. Il y a plus d’écoles aussi. La métamorphose est palpable.
Etant vous-mêmes issus de ce quartier, trouvez-vous que le film est fidèle à la réalité ?
Abdelilah : Il y a une grande part de vérité dans le film. La misère, la violence, les enfants qui fouillent dans les montages de détritus, les rues embourbées des bidonvilles… tout ça existe bel et bien ! Mais ce qu’il faut savoir aussi, c’est que malgré les conditions difficiles, on peut habiter à Sidi Moumen et avoir une vie décente, aller à l’école et être entouré de sa famille. En jouant dans ce film, j’ai d’ailleurs souhaité montrer à tous que j’étais un véritable comédien, que je ne m’étais pas contenté d’interpréter ma vie.
Abdelhakim : “Les chevaux de Dieu” ne relate que la réalité. Il ne porte pas atteinte à Sidi Moumen, bien au contraire. Il dévoile au monde entier comment les gens vivent là-bas, dans des conditions très difficiles, et comment ils sont marginalisés. C’est le message que souhaite faire passer le film et cela n’a rien d’humiliant.
Qu’est-ce que ça fait de se retrouver ensuite à Cannes et d’y recevoir un prix ?
Abdelhakim : Cannes… Je n’aurais jamais pensé y aller un jour, même pas en rêve ! J’ai certes joué le premier rôle dans un grand film, mais je n’imaginais pas pour autant qu’on se retrouverait dans un festival de cette ampleur… jusqu’au jour où ils nous ont appris la bonne nouvelle ! C’était à peine croyable. Jamais je n’ai vécu de chose aussi extraordinaire. La première projection des “Chevaux de Dieu” a eu lieu et nous avons eu droit à une standing ovation qui a duré une bonne dizaine de minutes. Aujourd’hui encore, je suis incapable de mettre des mots sur ce que j’ai ressenti sur le moment. C’était incroyable aussi de voir la réaction du public, dont certains pleuraient tellement ils étaient émus. Au Festival International du Film de Marrakech aussi, le public était au rendez-vous et ça nous fait chaud au coeur. Ces expériences m’ont prouvé que tout était possible !
Abdelilah : Mon histoire avec Cannes est à peine croyable. J’ai toujours rêvé d’y aller un jour. Tout au long du tournage, je ne cessais d’en parler à Nabil Ayouch. Je voulais absolument que le film participe à ce festival. J’en étais obsédé ! Et effectivement, on l’a fait. Il y a eu ensuite d’autres événements, comme le FIFM. Là, j’étais désolé que le film ne reçoive aucun prix alors qu’il a été primé par d’autres festivals internationaux, comme celui de Doha, par exemple. Mais quoi qu’il en soit, nous avons eu le prix du public marocain qui était au rendez-vous à Marrakech. Le film a plu et c’est ce qui compte le plus. Nous espérons un soutien des spectateurs quand le film sortira en salle le 6 février, parce que ce sont eux qui font les artistes !
Croyez-vous que ce film changera votre vie ?
Abdelilah : Nabil Ayouch s’est beaucoup fait connaître grâce à “Ali Zaoua”. Beaucoup diront qu’il a refait la même chose pour ce film, puisqu’il a choisi des enfants de Sidi Moumen pour camper les premiers rôles. Ce que j’aimerais dire, c’est que nous n’avons rien à voir avec ceux qui ont joué dans “Ali Zaoua”. Nous vivons dans une famille normale, nous sommes allés à l’école et nous avons poussé nos études bien après le bac. J’ai fait une formation de journaliste et d’animation culturelle. La différence est donc grande ! Sinon, pour répondre à votre question, je ne peux pas dire que ce film a changé ma vie. C’est certes une expérience extraordinaire, mais mon quotidien est toujours le même. Peut-être que ce sera le cas dans trois ou quatre ans !
Abdelhakim : Le film a changé un côté de notre existence en nous ouvrant d’autres perspectives. Mais pour le moment, la vie a repris son cours normal. Je suis en dernière année dans un centre de gestion. Jouer dans “Les chevaux de Dieu” m’a surtout donné une plus grande confiance en moi et en l’avenir. J’espère avoir de nouveau cette chance et pourquoi pas, devenir célèbre un jour…