Depuis février 2014, date d’achèvement de la période transitoire portée à 10 ans en vertu de la loi 08-09 du 16 juillet 2010 modifiant l’article 16 relatif à l’authentification du mariage, toutes les associations féminines sont montées au créneau pour tirer la sonnette d’alarme et pointer du doigt le lien entre l’augmentation des demandes de reconnaissance du mariage accordées et celle du nombre de mariage de mineures. Regroupées autour de la Coalition Printemps de la Dignité, créée en 2010 pour l’adoption d’une législation pénale qui protège les femmes de la violence et de la discrimination, et pour le rétablissement des droits des femmes dans leur globalité et dans leur universalité, elles dénoncent l’instrumentalisation et l’exploitation arbitraire et illégale de l’article 16 et s’opposent au prolongement de la période de recevabilité de la reconnaissance de mariage, stipulé par l’alinéa 4 de l’article 16, en lui apportant un second amendement.
La raison de ce branle-bas de combat est l’application à mauvais escient de cet article, qui a permis de contourner la loi et de recourir de manière abusive à la procédure de reconnaissance de mariage à des fins de polygamie et de mariage de mineures. Les chiffres sont là pour le prouver. Selon les statistiques du ministère de la Justice et des Libertés, les jugements rendus annuellement dans les différents tribunaux du Maroc en matière de demandes de reconnaissance du mariage ont connu depuis 2004 une hausse exponentielle. Ces effectifs, qui n’ont concerné que 6.918 couples, ont pratiquement été multipliés par quatre en l’espace de neuf ans, en passant à 23.057 en 2013, avec un pic enregistré à 38.952 cas en 2011. Cette année a d’ailleurs enregistré les taux les plus élevés en matière de mariage des mineures (12 % de la totalité des mariages contractés, soit quelque 40.000 cas) et de polygamie (0,34 %, soit 1.104 cas). Les demandes d’autorisation de mariage de filles avant l’âge légal ont atteint 43.508 en 2013, tandis que les celles concernant les garçons mineurs n’ont pas dépassé les 92. Ce qui démontre clairement une discrimination fondée sur le genre !
Les travaux de recherche menés par les associations attestent également de cette triste réalité. Une étude réalisée par l’association “Initiatives pour la promotion des droits des femmes” à Meknès, Fès et Khénifra révèle que 46 % des jugements favorables de reconnaissance de mariage concernent des jeunes filles, dont 25 % sont des mineures âgées de moins de 15 ans à la date du début de la relation de mariage. Toujours d’après cette étude, l’article 16 n’exige à aucune des deux parties concernées par la demande de mariage de présenter un certificat de célibat. De même, le juge n’est pas tenu de poser la question au demandeur sur sa situation familiale ou d’instruire une enquête à ce sujet si elle s’avère nécessaire. “La transgression de la loi par la société est le principal facteur favorisant la hausse du pourcentage des mariages de fillettes et de la polygamie. Et pourtant, il n’y a aucune volonté politique de changer les choses, au contraire! La cause de la femme est complètement marginalisée. Nous faisons un pas en avant, et dix pas en arrière”, déplore Khadija Rougany, avocate au barreau de Casablanca et membre de la coalition.
Ainsi, la période transitoire de cinq ans au départ, puis prolongée à 10 ans, n’a pas résolu le problème des mariages conclus par la Fatiha. Loin de là ! “En effet, au lieu de recourir à l’article 16 pour régulariser tous les mariages survenus avant 2004, en veillant à sanctionner pénalement ceux faits dans les mêmes conditions après cette date, les autorités ont continué à accorder cette dérogation sans même se soucier de sa conditionnalité par l’article 16 qui la limite aux “raisons impérieuses”, empêchant l’établissement de l’acte de mariage en temps opportun, ce qui est contradictoire avec le nombre alarmant des jugements de reconnaissance du mariage rendus en 2013. Il faut d’ailleurs préciser que les cas de jugements de reconnaissance de mariage rendus n’ont pas concerné que les mariages contractés avant 2004 ou encore avant 2009, dates de prolongation de cette dérogation considérées comme période provisoire. Il n’y a d’ailleurs aucun moyen pour prouver la date à laquelle est survenu le mariage”, explique Samira Bikarden, coordinatrice de la Coalition Printemps de la Dignité.
La Fondation Ytto pour l’hébergement et la réhabilitation des femmes victimes de violence, qui mène des caravanes annuellement dans les régions les plus défavorisées du Maroc, conteste également les chiffres publiés par le ministère de la Justice et des Libertés, arguant qu’ils ne concernent que les informations enregistrées par les tribunaux de la famille et ne comptabilisent pas les unions non déclarées. “Les autorités locales ne fournissent pas toujours les vrais chiffres relatifs aux mariages conclus par la Fatiha, n’informent pas les populations sur leurs droits et obligations et essayent souvent de saboter le travail des associations sur le terrain. En août 2014, nous étions dans un village avoisinant le centre d’Imlchil, une région extrêmement pauvre et complètement coupée du monde pendant au moins six mois par an, et les autorités locales nous ont affirmé ne pas avoir de cas de mariages non actés. Or, une fois sur place, nous avons constaté que la plupart des filles du village de moins de 18 ans avaient déjà été mariées et divorcées au minimum deux fois. La majorité a été mariée à 12 ans et a consommé le mariage. Certaines sont mères aujourd’hui. Et ceci n’est qu’un exemple parmi tant d’autres. La région de Midlet regorge d’exemples similaires. La situation est alarmante ! De nombreuses vies sont sacrifiées au nom de traditions désuètes”, décrie Saida Bajjou, assistante sociale à la Fondation Ytto et membre de la coalition.
Au vu de ce constat, la Coalition Printemps de la Dignité, au nom de tous ses membres, revendique ainsi l’abrogation des alinéas 2, 3 et 4 de l’article 16 et la mise en place de sanctions pénales à l’encontre des personnes qui continuent en toute impunité à se servir de ce vide juridique à mauvais escient. “Les campagnes de sensibilisation aux dispositions du Code de la famille ainsi que sa vulgarisation doivent également être menées de manière continue et être fortement médiatisées, à l’instar de ce qui se fait pour le Code de la route. Des sanctions doivent aussi être prévues. De même, il est important que les procédures administratives soient gratuites, particulièrement au profit des personnes pauvres et dans les régions enclavées, où l’accès à la justice, droit fondamental, doit être assuré de manière permanente à travers les tribunaux ambulants. Ce n’est que de cette façon que l’on viendra à bout de cette pratique qui met en danger les droits les plus fondamentaux des fillettes et altère le développement de notre pays”, conclut Samira Bikarden. À bon entendeur, salut ! .
Ce que dit la loi, Article 16 du Code de la famille
“Le document de l’acte de mariage constitue la preuve valable du mariage. Si des raisons impérieuses ont empêché l’établissement du document de l’acte de mariage en temps opportun, le tribunal admet lors d’une action en reconnaissance de mariage tous les moyens de preuve ainsi que l’expertise. Le tribunal prend en considération, lorsqu’il connaît d’une action en reconnaissance de mariage, l’existence d’enfants ou de grossesse issus de la relation conjugale et si l’action a été introduite du vivant des deux époux. L’action en reconnaissance de mariage est recevable pendant une période transitoire ne dépassant pas cinq ans, à compter de la date d’entrée en vigueur de la présente loi.” .