Le consentement sexuel, une notion taboue

Essentiel. Crucial. Le consentement sexuel dans le couple n’est malheureusement pas une évidence alors qu’il devrait l’être. Car rien n’est acquis surtout pas le désir de sa partenaire. Décryptage avec Siham Benchekroun, psychothérapeute.
Siham Benchekroun,
psychothérapeute

Qu’est-ce que le consentement sexuel dans le couple ?

Il y a plusieurs niveaux de réponse à cette question complexe. Littérairement, si l’on se concentre sur ces trois mots (consentement/ sexuel/ couple la définition pourrait être : “le fait de donner son accord pour un rapport sexuel avec son partenaire”. Mais cette formulation soulève toute une série d’autres questions. Car que signifie “donner son accord ?” Que vaut-il s’il n’est ni demandé ni attendu ? Quelle légitimité a le non-consentement sexuel d’une femme mariée ? Est-il reconnu ? Respecté ? Comment définir un rapport sexuel sans consentement dans le cadre du mariage ?

Dans notre société comme ailleurs, la sexualité fait partie des engagements des époux l’un vis-à-vis de l’autre. Se marier, c’est donner son accord (renouvelable par tacite reconduction pourrait-on dire) à des relations sexuelles avec son conjoint. Le principe du consentement est donc acquis d’avance, et pour toujours ! Il s’agit à la fois d’un droit et d’un devoir pour chacun des partenaires. Néanmoins, le désir sexuel est sujet à fluctuation. En effet, qu’en est-il si l’épouse, notamment, n’a pas envie d’avoir des relations sexuelles mais que son mari y tient ? À titre d’exemple, si elle est malheureuse, frustrée ou en colère, elle pourrait ne pas vouloir d’intimité avec lui ? Quelle liberté s’autoriserait-t-elle alors pour refuser ? Hélas, il semble que de nombreuses femmes ont des rapports sexuels non désirés. Certaines y consentent par respect de leur “devoir conjugal” (ce serait péché de se refuser à son mari, dit-on !). Mais la peur des conséquences de leur refus peut aussi forcer leur consentement (risque de violence ou d’infidélité du mari par exemple). Rappelons que le refus de sexualité peut être un argument de divorce. Or céder à la demande du partenaire par souci “d’avoir la paix” et/ou de ne pas être mal jugée, ou encore le subir à contre-cœur par crainte de le contrarier et/ou par peur de représailles, est-ce consentir ? Si on n’a pas le choix, si on n’est pas libre de refuser, que vaut son acceptation ? Peut-on être considérées consentantes ? Nous sommes au cœur de la question du consentement : il ne peut être considéré comme tel que s’il est libre. La définition juste deviendrait donc : “Le fait de donner librement son accord pour un rapport sexuel avec son partenaire”.

Mais comment prendre conscience que “céder” ne signifie pas “consentir” ?  Et pourquoi la notion du consentement est-elle souvent perçue comme une “zone grise” complexe à cerner au sein d’une relation ?

ll y a un manque de considération du consentement sexuel des femmes aussi bien par les hommes que par les femmes elles-mêmes. Beaucoup de femmes ne s’autorisent pas à exprimer leur refus lorsqu’elles en ont conscience (ce qui n’est pas toujours le cas tant elles sont engluées dans leurs obligations) et beaucoup d’hommes ne s’embarrassent pas de la question du consentement sexuel de leur épouse tant ils sont convaincus qu’il leur ait acquis de droit. Ceci est dû à un long et permanent formatage des individus, dès leur enfance, sur ce qu’est le masculin et ce qu’est le féminin, sur le rôle et les prérogatives de chacun. Il existe notamment un préjugé tenace dans les mentalités: il est normal que la femme dise non, c’est une stratégie féminine classique, de séduction ou de pudeur (un comportement de gazelle, n’est-ce pas ?), mais l’homme, c’est le chasseur, il doit insister jusqu’à obtenir ce qu’il veut. Au final, l’idée véhiculée, c’est qu’une femme a toujours besoin d’être forcée pour dire oui. Son “non” ne doit pas être pris à la lettre. C’est pourquoi un homme peut draguer une femme jusqu’au harcèlement sans se penser inconvenant.

Dans le système patriarcal qui est le nôtre, la sexualité est appréhendée comme masculine, “opposant” un homme désirant, actif et dominant, à une femme désirée, passive et soumise dont le corps, objet de consommation, appartient aux autres. J’aimerais citer à ce sujet le passionnant ouvrage de la maroco-canadienne Osire Glacier “Le Sexe Nié” dans lequel elle démontre en quoi, dans les principaux registres de la vie, “le féminin est celui dont le corps n’est pas le sien, il est corps pour autrui”. De fait, dès leur plus jeune âge, les filles sont dressées à intégrer ces conceptions. Leur corps est sous contrôle puisqu’il est destiné à leur futur conjoint. On limitera leur liberté, on surveillera leur façon de se vêtir, on survalorisera la beauté physique, on leur inculquera docilité, patience, abnégation et peur des hommes…

Dans ce sens, comment déconstruire cette notion de “devoir conjugal”, souvent invoquée pour nier l’existence du viol conjugal, sachant que la loi 103-13 ne le punit pas ?

Cela ne peut se faire qu’en transformant la mentalité qui assujettit les femmes aux désirs des hommes, qui les réduit à leur corps et méprise leur humanité. Cette mentalité qui définit la virilité comme la “domination du féminin”. Tant de pratiques sociales avilissantes, tant d’inégalités continuent de maintenir l’homme et la femme dans leur rôle de prédateur et de victime ! La question du viol s’inscrit hélas dans le même scénario. Et le vieil ordre patriarcal n’est pas le meilleur terreau pour le changement. Il est indulgent envers les hommes car “leur désir sexuel est naturellement intense” et sévère envers les femmes car elles sont “tentatrices”. Quant aux lois, elles ne reconnaissent pas l’agression sexuelle dans le cadre du mariage, sauf si évidemment, il y a des preuves de violences physiques. Et là, on entre dans le cadre général des violences conjugales. Or il n’est pas nécessaire qu’il y ait de la violence physique pour parler de viol :  il y a viol dès qu’un rapport sexuel se produit sans consentement. Il y a viol lorsqu’un partenaire est forcé de se soumettre. C’est donc un long travail que celui de cette “déconstruction”. Les femmes y prendront une grande part en se réappropriant leur propre corps, et en œuvrant pour leur autonomie. Cela va au-delà de la sexualité. Alors on pourra espérer des relations intimes entre partenaires égaux et tous deux consentants. Et cela cessera d’être des “prestations de services”, sexuels et autres, en continu et à volonté, par “un corps” féminin à disposition, dans le cadre d’un contrat marital. Les changements passent évidemment par de nombreux facteurs identifiés pour l’amélioration du statut des femmes (éducation des garçons et des filles, travail de sensibilisation auprès des familles, accès à l’instruction, autonomisation et indépendance des femmes…)

Comment aborder le sujet tabou du consentement sexuel avec son partenaire ?

S’opposer à un pouvoir, quel qu’il soit, suppose une forme d’autonomie et un niveau suffisant d’estime de soi. Ici en l’occurrence, dans un couple, si l’épouse n’ose pas s’exprimer, si elle ne s’affirme pas face à son partenaire, comment pourrait-elle aborder le sujet si intime de sa sexualité ? Les mêmes causes produisent les mêmes conséquences. Il y a d’abord besoin de faire et prendre sa place au sein du couple. Pour cela, il est important de ne pas écouter les paroles culpabilisantes de ceux dont l’obsession est que “les femmes ne se révoltent pas” et qui conseillent le silence et “la patience à vie”. Certes, toutes les relations conjugales ne sont pas construites sur le modèle dominant-dominé et c’est heureux, mais la communication est fréquemment dysfonctionnelle. Elle le devient davantage en cas de sujet tabou. Hommes et femmes peuvent avoir du mal à parler de leurs désirs sexuels et de leur non-désirs de manière ouverte, et sans craindre le jugement de leur partenaire. Parfois aussi, il s’agit de timidité et de pudeur plutôt que de peur. Et les partenaires gagneraient beaucoup à oser échanger, à partager et bâtir de la confiance. Avec du respect et de la tendresse, une complicité peut s’établir.

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