Latifa Akharbach : “La représentation équitable, un marqueur démocratique” (Interview)

Si la parité au sein de l’écosystème médiatique est presque atteinte, l’accès des femmes aux postes de décision peine à se concrétiser. La visibilisation des femmes se heurte également à la persistance des stéréotypes du genre, à la chosification de la femme et aux incitations à la violence à son encontre. Latifa Akharbach, Présidente de la HACA, en dresse l’état des lieux. 

Depuis votre nomination à la tête de la HACA, on parle de la touche Latifa Akharbach. Pourriez-vous nous en parler ?

Ce serait particulièrement prétentieux de ma part de parler de ma touche quand on a eu la chance de rejoindre une équipe compétente et paritaire comme l’est l’équipe de la HACA ! De plus, les 51% de femmes et 49% d’hommes qui constituent la vraie force de notre instance sont parfaitement conscients que la promotion de la culture de la parité fait partie intégrante de la mission de la HACA.

Maintenant, peut-être que mon passé de pédagogue et de professeur de journalisme fait que nous accordons désormais, tous ensemble, plus d’importance à la vulgarisation de la nature du mandat de régulateur des médias et à la communication autour de la dimension citoyenne de cette régulation. Quand il s’agit de promouvoir et consacrer des pratiques et des contenus médiatiques sensibles aux questions de droits humains et de lutte contre les stéréotypes de genre, l’implication du citoyen est primordiale.

La représentation des femmes dans les médias est toujours biaisée. La HACA pourrait-elle avoir un rôle à jouer pour remédier à cette situation ?

Même si nous relevons plusieurs points d’amélioration dans la représentation médiatique des femmes, celle-ci-reste, dans notre pays comme ailleurs, problématique à plusieurs égards. Grâce au monitoring des programmes audiovisuels nationaux et à la veille intellectuelle et professionnelle que nos équipes maintiennent y compris en matière de contenus numériques, nous avons une idée très précise des manquements médiatiques aux principes d’égalité citoyenne, de respect de la dignité de la femme, de respect de la dignité humaine, de la promotion de la diversité, etc. Malheureusement, ces exemples de manquements sont encore nombreux, récurrents et à contrecourant du modèle de société démocratique que le Maroc veut édifier. La femme chosifiée, la femme plus consommatrice que citoyenne engagée, la femme subordonnée de l’homme, la femme non responsable de son corps, la femme condamnée à la sphère domestique, etc. tous ces stéréotypes ont la vie dure dans nos médias, classiques et nouveaux.

Le Conseil Supérieur de la Communication Audiovisuelle, qui est l’instance délibérative et décisionnaire de la HACA, n’a de cesse de sensibiliser et d’agir contre la mauvaise représentation de la femme marocaine dans les contenus médiatiques, à travers notamment des décisions normatives ou même des sanctions. Mais il reste, pour nous tous, beaucoup de chemin à parcourir.

La perpétuation des stéréotypes constitue un véritable frein à la construction d’une société égalitaire, au sein de laquelle, chacun trouve sa place sans pâtir d’une image biaisée et minorée qui ne peut à la longue, qu’être intériorisée par les femmes elles-mêmes. Ces dernières deviendraient ainsi encore plus handicapées dans leur marche vers la citoyenneté égale au moment où on a un besoin croissant de leur présence dans les affaires de la cité et la vie du pays.

Le rôle du régulateur est clairement défini dans la loi qui fixe les missions et les attributions de la HACA. Mieux encore, cette loi a été révisée à deux reprises, notamment pour mieux prendre en compte l’égalité hommes/femmes dans les médias et lutter contre les stéréotypes portant atteinte à la dignité des femmes.

Nous inscrivons par ailleurs notre engagement dans un dialogue constructif avec les opérateurs, pour une plus grande appropriation du droit de la communication audiovisuelle. Certes, il est de notre pouvoir et de notre devoir de sanctionner les opérateurs de radio et de télévision quand des contenus diffusés par eux portent atteinte à la dignité des femmes mais cela n’est qu’une partie de notre action en matière de promotion de la culture de l’égalité.

La HACA inscrit son action dans une approche préventive. Nous participons à construire une culture de l’égalité dans et à travers les médias au moyen de nombreux outils : monitoring des programmes, interactions avec les opérateurs, études, groupes de travail thématiques, propositions de normes, etc. Un exemple très concret : nos outils statistiques sont sexo-spécifiques, ce qui amène les opérateurs eux-mêmes à se questionner sur la parité au sein de leurs entreprises et dans leurs offres de programmes. Par ailleurs, nos outils de suivi des contenus audiovisuels comptabilisent dans plusieurs programmes de radios et télévisions, la présence féminine.

La veille médiatique et le plaidoyer en faveur de l’amélioration de la représentation des femmes s’avèrent indispensables. Mais que faire lorsque les femmes elles-mêmes sont en retrait et que les animateurs des débats télévisés assurent qu’ils ne trouvent pas d’invitées ?

Vous pointez du doigt une question majeure et qui touche d’ailleurs de très nombreux pays y compris certains très développés aux niveaux économique et social.

Aujourd’hui, de très nombreux opérateurs de l’audiovisuel marocains sont sensibilisés à cette question. Ils ont des obligations inscrites dans leurs cahiers des charges et certains prennent des initiatives proactives. Cependant, l’effort de chacun de nous doit être renforcé car il y va du développement et de la prospérité de notre pays.  À ce propos, je tiens à rappeler que la représentation équitable des femmes dans les contenus médiatiques et dans la gouvernance des médias est un véritable marqueur démocratique. Il est aussi important du point de vue du régulateur qu’est la HACA, de promouvoir et d’encourager les bonnes pratiques. C’est pour cela que je considère comme un acquis significatif que le pôle public de l’audiovisuel, aussi bien au niveau de la SNRT que de 2M, ait pris des initiatives positives comme la création de comités parité au sein de l’entreprise. On peut citer aussi l’exemple de la plateforme expertes.ma mise en place par Soread 2M et qui met en avant de nombreuses expertises féminines marocaines susceptibles d’être sollicitées par les journalistes pour le traitement de questions d’intérêt général et pas uniquement de questions en relation avec les femmes. C’est une manière de sortir les avis, les opinions et les analyses des femmes du ghetto des programmes de femmes pour les femmes. Personnellement je considère que la mixité, la coresponsabilité et la parité font partie des fondements de la société équitable.

Toutefois, si les médias peuvent aider à faire avancer la condition et les droits des Marocaines en mettant en perspective les différentes contributions des femmes et en faisant entendre leurs voix, ils sont souvent en butte à des difficultés et des complexités qu’ils ne peuvent résoudre car participant à d’autres domaines et engageant d’autres responsabilités. L’une de ces questions complexes qui entrave la visibilisation des femmes est celle du porte-parolat féminin dans notre vie politique, syndicale et même civile.  

La société marocaine s’enrichit de plus en plus de compétences féminines, parfois pointues et de gabarit international, mais leur visibilité médiatique est minime. Or, une plus grande présence de l’expertise féminine dans les contenus comme dans la gouvernance des médias permettrait non seulement de promouvoir la qualité de ces contenus mais susciterait des vocations de leadership féminin dans notre société.

Vous avez récemment déclaré que “les stéréotypes de genre véhiculés par les médias créent un nouveau plafond de verre au-dessus de la femme”. En tant qu’experte des médias, que préconisez-vous pour en venir à bout ?

Tout d’abord, je dois de préciser que la HACA en tant que régulateur de l’audiovisuel ne s’ingère jamais ex ante dans les politiques éditoriales des médias qu’elle régule.

Ceci posé, pour répondre à votre question, il ne faut pas perdre de vue que les médias participent de manière nodale à la construction de notre imaginaire collectif. Ils façonnent l’image de notre société et de notre pays. Le rôle des médias n’est cependant pas uniquement de refléter les distorsions et les perceptions inégalitaires dans notre société, mais d’informer sur les pistes d’amélioration de la condition de la femme, de présenter les expériences réussies, de contextualiser les problèmes, de promouvoir les masculinités positives, de déconstruire le discours stigmatisant, etc. Cela demande du professionnalisme, de l’expertise et un solide background en matière de droits humains.

Je ne me permettrai pas d’adresser de conseils à personne et surtout pas aux femmes et hommes de médias dont je respecte l’indépendance et la lourde responsabilité sociale.  Mais en tant que citoyenne je me pose avec une certaine angoisse cette question : à quoi pourrait rêver une Marocaine de seize ans si la télévision ne lui propose comme modèle que des mères au foyer ou si elle ne suit sur Internet que des égéries du maquillage et de l’accessoire de mode ?

À votre avis, quel devrait être concrètement le rôle des médias dans le processus de réduction des disparités entre les deux genres ?

Il faudrait d’abord préserver notre vision des choses en nous gardant des effets du prisme “améliorer l’image des femmes” dans les médias. L’enjeu se situe au niveau des droits fondamentaux et de l’égalité et non uniquement de l’image. Et en outre, les médias peuvent agir sur beaucoup plus profond que l’image.  

Aujourd’hui, les médias ont les moyens, notamment technologiques, d’agir sur les consciences et de raccourcir le temps et l’espace. Il est grand temps de nous donner les moyens en termes d’engagement citoyen et de synergie d’efforts pour user de cet “atout communication” afin de tirer nos standards démocratiques vers le haut. Cela ne pourra se faire sans la réduction du gap qu’il y a entre les hommes et les femmes en matière de jouissance de leurs droits humains.

Nous avons la chance dans notre pays, d’avoir une réelle volonté politique au plus haut niveau de l’Etat, pour construire une société égalitaire et forte de toutes ses potentialités. Au sein de ce grand dessein national, les médias peuvent être un réel levier d’accélération du rythme du changement et d’approfondissement de l’impact des réformes. Il est essentiel que tous les protagonistes et les acteurs de l’écosystème prennent en compte l’impératif démocratique inhérent à un traitement médiatique responsable des questions en rapport avec la dignité de la femme, la violence de genre, la lutte contre le discours de haine sexiste, etc.

Pour cette question comme pour bien d’autres, seule une approche systémique est susceptible d’être efficace et probante. 

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