FDM : Un livre de proverbes contre la corruption, c’est original et peu courant…
Hakima Lebbar : Ce livre est parti des proverbes, car ceux-ci représentent notre mémoire collective, la traduction d’un patrimoine oral commun. Mon travail a consisté à recenser, parmi tous les proverbes existant sur la corruption, ceux qui banalisent le phénomène. Dans un deuxième temps, il s’est agi de les refondre dans un message à visée dénonciatrice, cette fois, tout en préservant leur forme syntaxique initiale. Cette démarche a été complétée par l’apport de nouvelles expressions anti-corruption, nées de l’imagination des uns et des autres. Les proverbes sont présentés en darija et amazighe, et traduits en français.
Quel est le point de départ de cette initiative ?
L’idée du projet est née en 2001. A l’époque, nous animions des cycles de formation anti-corruption en partenariat avec l’Education nationale, et j’ai voulu remanier les proverbes en lien avec la corruption. Par la suite, des citoyens, toutes couches sociales confondues, ont répondu présent avec enthousiasme : intellectuels, artistes, anonymes. Les cent premiers proverbes ont été calligraphiés par Qarmad, l’un des maîtres en la matière. On a aussi mené des ateliers avec des élèves pour stimuler leur créativité et leur sens du civisme.
Ce plaidoyer contre la corruption s’est-il cantonné aux proverbes ?
Non. Nous avons voulu donner au projet une dimension plus vaste en créant une chaîne de solidarité avec l’ambition d’y impliquer aussi les artistes, plasticiens, écrivains et poètes, lesquels, via leur plume ou leur toile, s’engagent contre ce fléau. Et vingt-sept écrivains nous ont concocté des écrits décalés, inventifs, sans tomber dans le piège de la moralisation.
L’art peut-il être un vecteur de lutte contre la corruption ?
Tout à fait. L’art comme moyen de communication et de sensibilisation est plus fort que tous les discours. L’image, l’expression scénique, le patrimoine oral interpellent, font réagir et bouger les lignes…
“CHAQUE DÉPARTEMENT, MINISTÈRE, ORGANISME PUBLIC A SES ROUAGES DE CORRUPTION.”
Mais notre pari avec ce livre et cette exposition est de réussir, aussi, à toucher les jeunes là où se construisent les bases éducatives… Outre le travail réalisé par T.M, en concert avec les associations de droits humains pour faire entrer un certain nombre de textes dans les programmes scolaires, nous voulons marquer certaines dates clés par des actions concrètes : lors du 9 décembre, journée internationale de lutte contre la corruption, ou le 6 janvier, journée nationale dédiée à la même cause.
La situation de la corruption au Maroc est-elle aussi catastrophique qu’à vos débuts ?
Elle ne fait qu’augmenter. Beaucoup de choses se monnaient en toute impunité car tant que les droits fondamentaux – justice, santé, éducation pour tous – ne seront pas respectés, la corruption continuera de sévir. Nous avons créé les Centres d’Assistance Juridique Anti- Corruption. Nous travaillons aussi sur un projet de loi de protection des témoins, pour encourager les gens à dénoncer la corruption.
Le Mouvement du 20 février est passé par là, participant à une prise de conscience…
Oui, et un ras-le-bol généralisé des passe- droits, du clientélisme et de la hogra inhérente aux mécanismes de corruption s’est exprimé… Mais si la volonté politique ne suit pas, le fossé risque de se creuser entre le peuple et les dirigeants.
Chaque département, ministère, organisme public a ses rouages de corruption et il faut y répondre. En sanctionnant, mais aussi en sensibilisant…
Les femmes sont réputées moins corrompues que les hommes. Est-ce vrai ?
Oui. Est-ce parce que ce sont les femmes qui transmettent plus les valeurs en tant que mères ? Ou encore, parce qu’elles se trouvent encore en minorité dans les sphères décisionnelles et de pouvoir ? La question reste ouverte… (Rires) â–