L’Aïta, ce blues en péril

L’art de l’Aïta sort des limbes de l’oubli. Non pas que ce genre musical ait été jamais délaissé, mais il revit littéralement grâce aux ouvrages qui lui sont consacrés. Ce travail d’archivage et de documentation confirme que l’Aïta fait partie intégrante de notre patrimoine oral marocain.

Une présence forte sur scène, des voix puissantes, des paroles osées parfois à la limite de l’indécence, des rythmes enflammés, une musique entraînante… Schématiquement, cette petite description peut résumer de façon caricaturale le chant des chikhates, ces chanteuses populaires, libres, adulées mais souvent honnies. Mais ce serait aller trop vite en besogne. Car ce sont les chikhates qui ont donné ses lettres de noblesse à l’Aïta, l’un des plus anciens styles musicaux au Maroc et dont les origines remontent, selon certaines sources, au XIIème siècle, et plus précisément au règne des Almohades. Des périodes de déclin et d’apogée parsèment cependant le parcours de cet art qui a pris son envol avec l’avènement des Mérinides. Le verbe, support indispensable à l’Aïta, se renforce des apports berbère, arabe et du parler andalou, le tout pétri de la préciosité de la darija. L’Aïta est alors de toutes les fêtes et son succès perdure même au cours du règne saâdien. Mais ce fut de courte durée. La voix libre et joyeuse de l’Aïta est condamnée au silence par de puritains gardiens du temple qui estiment que la musique n’avait pas droit de cité en terre d’islam. Elle renaît enfin de ses cendres sous le règne du sultan alaouite Moulay Hassan 1er, au milieu du XIXème siècle, date effective de sa résurrection.

Une transcription orale de la mémoire

Signifiant littéralement “le cri”, “l’appel”, l’Aïta a rythmé la vie des populations rurales au grè des célébrations, des fêtes et des moussems. Mais pas seulement, car l’Aïta, qui est à la fois cri d’amour, d’espérance et appel au dépassement de soi, a revêtu, à une certaine époque de l’histoire du Maroc, un caractère revendicatif d’opposition et de résistance. À cet égard, la figure légendaire et mythique de cheikha Kherboucha illustre à merveille, par ses chants et paroles, le côté contestataire et farouche de ce genre musical.

Au lendemain de l’indépendance, l’Aïta, appel fédérateur par excellence, a continué à dénoncer les injustices tout en célébrant la vie, l’amour, la beauté, la nature, les chevaux… Ode à la mémoire, aux joies et plaisirs de la vie, aux souffrances et espoirs du quotidien, elle se décline en plusieurs genres qui s’inscrivent dans l’ancrage territorial. Dans ce sens, elle s’étend dans la plaine de l’Atlantique, englobant les régions de la Chaouia, Abda et Doukkala en passant par El Haouz et Zaer. L’Aïta est également connue par les registres dans lesquels elle se décline, à savoir l’Aïta “El Hasbaouia”, “Azzaaria”, “Al Haouzia”, “Al Jablia”, “Gharbaouia”, “Al Marsaouia” et “Al Mallalia”. Ce sont ces sept genres qui sont dépoussiérés et défrichés par Brahim El Mazned qui en ravive l’héritage dans l’anthologie Cheikhates et Chioukhs de l’Aïta : “Chaque variante de l’Aïta se nourrit des caractères propres de sa région d’implantation : les traditions sociales, les pratiques culturelles, les spécificités linguistiques et l’environnement naturel ; autant de composantes qui façonnent les différentes versions. Il n’en reste pas moins que les régions de Abda, Chaouia, Haouz, Zaër, Rhamna, Jbala, le Gharb et Doukkala constituent le cœur de cette forme de poésie orale. L’Aïta y a en effet trouvé un terrain fertile et favorable”, explique l’auteur. Le travail de fourmi de Brahim El Mazned a permis également d’identifier plusieurs artistes qui ont pu enregistrer leur répertoire, le sauvant in extrémis de l’oubli.

Travail d’archivage et de documentation

L’art de l’Aïta a suscité, tout au long de ces dernières années, l’attention de réalisateurs, chercheurs, musicologues et ethnologues qui se sont mobilisés, chacun dans son domaine, dans une vaste opération de préservation de ce patrimoine oral séculaire. C’est ainsi que dès 1988, la réalisatrice Izza Gennini signe le premier documentaire consacré à cet art, appelé sobrement Aïta. En 2011, la réalisatrice a signé Maroc en musiques, un documentaire de cinq heures où un important volet est dédié à l’Aïta.

Pour sa part, le poète Hassan Nejmi a transcrit ce trésor musical dans Étude de la poésie orale et de la musique traditionnelle à partir de Aïta. D’autres musicologues comme Ahmed Aydoun ou des réalisateurs, à l’instar de Ali Essafi, ont également contribué à la préservation de ce genre musical par le biais de livres ou de films.

L’anthologie Cheikhates et Chioukhs de l’Aïta est la dernière action d’envergure entreprise pour la préservation de ce pan de notre patrimoine musical. Composée de dix CD représentant les sept types de Aïta enregistrés par quelque 300 artistes, l’anthologie ouvre la voie à un voyage musical d’une rare beauté au cœur des régions du Maroc. Dévoilée en avant-première au salon-marché de Babel Med Music de Marseille en mars dernier, l’anthologie a reçu le prix Coups de cœur 2017 de la catégorie “Musiques du monde” de l’Académie Charles Cros. Une belle consécration pour un travail de mémoire qui rend hommage à un art ancestral et à des traditions musicales précieusement préservées. L’Aïta, référence musicale de toute une société ne pourra, dès lors, qu’avoir de magnifiques jours devant elle. 

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