La transmission, ça marche comment ?

Le métier de parent est un métier impossible, disait Freud. Quoi qu’on fasse, on passe à côté de quelque chose, inévitablement. Et pourtant, nous continuons à transmettre nos valeurs à nos enfants…

“Quand ma fille de 13 ans a eu ses règles, ma mère l’a prise à part et lui a expliqué qu’on allait organiser une fête pour elle, avec henné, chant et halawiyat pour fêter son nouveau statut, comme cela se fait dans nos traditions. Ma fille a refusé net l’offre de sa grand-mère nous traitant toutes deux d’attardées quand je suis venue à la rescousse de ma mère.” Wassima, 42 ans, originaire de Tetouan, est toujours sous le choc de la réaction excessive de son adolescente.

Nabil, 50 ans, se rappellera toute sa vie ce regard noir jeté par son fiston quand il lui a relaté son amertume et sa honte d’avoir été convoqué par la Direction du bahut fréquenté par son rejeton surpris en train de copier à l’aide de son Smartphone lors d’un contrôle.

Nabil, Wassima, comme d’autres parents, ont le sentiment amer que quelque chose a raté, qu’un élément a rompu dans la chaîne de transmission des valeurs et des traditions.

Aujourd’hui, tout change si vite qu’on peut se demander s’il est encore possible – et utile?- de  transmettre d’une génération à l’autre les valeurs qu’on a reçues. Ces valeurs, elles-mêmes, ne sont plus aussi nettes qu’elles l’étaient, car les priorités ont changé.

Hier (qui semble si lointain aujourd’hui, surtout en milieu urbain), les enfants reprenaient le métier du père. Du coup, ils héritaient des valeurs intrinsèques liées à la profession. Ce schéma est totalement caduc aujourd’hui. Même le langage a changé. Les enfants n’obéissent plus, ils revendiquent des opinions personnelles. De plus en plus tôt. Latifa, 41 ans explique: “Avec mon mari, nous avons veillé à instaurer dès la naissance de notre premier enfant, une démocratie familiale basée sur la discussion, le dialogue, les échanges d’idées… Les enfants sont invités à s’exprimer, à s’expliquer. On écoute leurs aspirations. Bien sûr, souvent, cela tourne à la cacophonie. Mais n’est-ce pas là le prix de la démocratie ? (rires).”

La démocratie familiale a effectivement un prix : la  tâche des parents est devenue beaucoup plus difficile, voire ardue. À titre individuel, parce que nous, parents, nous nous sentons souvent moins assurés dans nos convictions. A titre collectif, parce que l’environnement ne nous aide pas. L’anonymat de la vie urbaine et la complexité des structures, moins bien hiérarchisées, incitent au relâchement. Les incertitudes de l’avenir, les difficultés, les nouvelles convenances poussent même au chacun pour soi. Les parents ne sont pas les seuls à transmettre. Les enfants, dès leurs premiers pas, sont soumis à de multiples influences. Les nouveaux médias, les réseaux sociaux sont omniprésents et porteurs d’une grande part de dérision, d’agressivité, d’instantanéité, d’incitation à la satisfaction immédiate. Des valeurs opposées à celles de la famille, de l’école. “J’ai l’impression, en tant que mère et transmetteuse de valeurs d’être tout le temps disqualifiée par le sacro-saint web et sa cohorte de blogueurs et youtubeurs et tout ce qu’ils véhiculent : promotion de la réussite spectaculaire sans efforts ; surexposition de l’intimité ; banalisation des comportements violents et aberrants”, explique Loubna, 38 ans. Cette maman de deux enfants, comme beaucoup de parents, se sent désarmée face aux nouveaux médias, pointés comme dangereux. À tort ou à raison ? “À tort, répond, catégorique, Dr Batoul El Harti, psychiatre. Les enfants aujourd’hui sont multi référentiels. Ils sont capables de s’ouvrir et de s’identifier à plusieurs modèles grâce à leur rapidité d’adaptation et à leur facilité pour communiquer, notamment via Internet qu’ils connaissent depuis le berceau et qu’ils maîtrisent mieux que les parents. Ce qui participe, soit-dit en passant, au sentiment d’insécurité des parents face à ce média : on a toujours peur de ce qu’on connaît mal. De tout temps, les jeunes s’identifient aux pairs. Cette sociabilité spécifique s’est encore renforcée et semble plus précoce et plus indépendante de l’influence familiale, par la force justement de l’outil Internet.”

À LA RECHERCHE DU MODÈLE (ÉDUCATIF) PERDU

Internet est un attribut de la modernité. Il ne faut pas en avoir peur, mais plutôt s’y adapter. Mais comment ?  “Ce qui nous fait défaut, à nous, parents aujourd’hui, c’est une stratégie éducative bien définie. On nous a vendu la modernité en tout y compris en matière d’éducation, mais sans nous donner le mode d’emploi qui va avec !” Nadia, superbe maman moderne de deux enfants avoue, sans détour, succomber plus que de raison à une bienveillante tolérance qui amène facilement au “chacun fait ce qui lui plaît” ou presque ! “Tout a changé, dit Mona, maman et enseignante. Quand j’étais enfant, on ne pouvait pas tricher au nez et à la barbe du professeur. Aujourd’hui, certains profs ne bronchent même pas quand les élèves copient. Alors, ces derniers en profitent et disent que c’est normal d’en jouir puisque tout le monde le fait.” Fréquent, oui. Normal, non. Précisément, non. “Il est probable que de nombreux enfants favorisent la triche en classe. L’honnêteté ne ferait pas partie des priorités  des jeunes aujourd’hui ? A nuancer ! Nos jeunes n’ont pas appris ailleurs les frontières  nettes dans ce domaine. L’éducation religieuse que reçoivent les enfants sur les bancs de notre école  fait la part belle au dressage par la trouille. Résultat : des barbus et des voilées copient le jour des examens sans état d’âme”, analyse la psychiatre.

Alors, Internet, une école défaillante, un environnement agressif, autant de géants auprès de qui les parents se sentent tout petits, dépossédés de la possibilité de transmettre les valeurs auxquelles ils croient ?  Le pouvoir des parents en matière de transmission des valeurs serait-il agonisant ?

LA TRANSMISSION VIA LES STYLES DE VIE

Internet n’y peut rien : nous imprégnons nos enfants des valeurs qui dominent notre vie. Nos jugements, nos passions, nos colères, nos indifférences servent toujours de grille à leur lecture du monde. Même si, de parts et d’autres, le mécanisme n’est pas spontané, ni conscient. Enormément de choses se transmettent à travers nos attitudes. On ne transmet que ce qu’on porte en soi ! Certes, plus nos valeurs sont explicites, fortes, plus elles impressionnent nos enfants. En grandissant, ils subiront d’autres influences, ils rejetteront  probablement ce qui les a trop marqués mais qui subsistera en creux.

La transmission est également sous-tendue par les styles de vie marqués à l’aune d’options de valeurs déterminantes. Il y a les familles ouvertes, qui reçoivent avec plaisir et souvent. Il y a les familles qui vivent recroquevillées sur elles-mêmes. Celles où les repas sont des plaisirs longuement mitonnés. Celles ou l’on expédie les repas en dix minutes chrono. Celles où les livres font la trame du quotidien et celles où on s’agrippe à son Smartphone H 24.  Dans chacune de ces familles, les enfants vivent des émotions, des plaisirs différents. Ils constituent une hiérarchie de valeurs particulière. Des comportements-réflexes sont adoptés. Ainsi, à notre insu, nous transmettons à nos enfants un héritage dont beaucoup de pièces serviront aussi à nos petits-enfants. Nos propres parents consolident auprès de nos rejetons certaines de ces pièces.  “Ce qu’on transmet à nos enfants, ce n’est pas tant ce que l’on maîtrise, qu’un état d’esprit. Et cet état d’esprit traduit la confiance que l’on a – ou pas!- dans le monde qui  nous  entoure”, précise encore la psychiatre.

Mais, en matière de transmission, tout n’est pas automatique ! Les enfants n’adhèreront à nos valeurs que s’ils sont emballés ! Si nos propres valeurs ne nous rendent pas heureux, nos rejetons n’auront aucune envie de les entériner et de les faire leurs ! Ils refuseront d’être, pour parler contemporain, les héritiers de valeurs sans aucune valeur ajoutée !

LA TRANSMISSION, UNE AFFAIRE DE CONFIANCE

On n’est pas dans le même univers que nos enfants. Mais on reste pour eux un point de référence. Les enfants sont tournés vers l’avenir, vers la nouveauté. Pour les accompagner, il faut croire à la nouveauté. Il faut faire confiance au monde qui les entoure et qui nous entoure ! Cette confiance se construit chez l’enfant à travers ses parents. Le regard que posent les parents sur le monde est un paramètre de l’équation transmission. Si les parents ont confiance, l’enfant se sent en sécurité. Les parents qui ont peur du changement transmettent cette peur à leurs enfants. Et plus les enfants se sentiront en insécurité, plus ils auront besoin de s’agripper à des valeurs figées ou, à l’inverse, à tenter d’exploser le système. Côté parents, quand on est inquiet, on cherche à transmettre de façon figée une structure sociale qu’on pense avoir trouvé une fois pour toutes. Or, transmettre du pareil au même, c’est un peu  transmettre  la mort. 

Soyons-en certains. Il y aura des valeurs tant qu’il y aura des parents pour les transmettre et des enfants pour les recevoir. Nous laissons le mot de la fin à une grande dame : “C’est avec l’éducation que nous décidons si nous aimons assez nos enfants pour ne pas les rejeter de notre monde, ni les abandonner à eux-mêmes, ni leur enlever leur chance d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu, mais les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun”, ainsi s’exprimait Hannah Arendt en 1954.  C’est toujours d’actualité.

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