Hommage à la parole des Raïssates

Brahim El Mezned vient de consacrer une anthologie aux Rrways, ces poètes chanteurs itinérants amazighes. Cette œuvre qui vient à point nommée met également en lumière les Raïssates (Tarrwaysin) qui, même si elles sont très peu nombreuses, n’en demeurent pas moins des figures importantes de cet art.

La première génération des Raïssates remonte aux années 40 du siècle dernier. Parmi les pionnières, on cite, entre autres, Fatima Belaïd, Raïssa Mbarka, Abouch Tamati, Fatima Tagourant. Ces pionnières présentaient leurs chansons uniquement dans des cadres privés. La seconde génération des Raïssates, représentée par Raïssa Sefia Oltotoua, Raïssa Rkiya Damssiriya et Fatima Tihihit Muqqrn (l’aînée), fait parler d’elles dès 1968. Ces Raïssates n’hésitent pas à se produire et à chanter sur scène la poésie amazighe. Des enregistrements à la radio et en microsillon actent de ce passage et signent, comme le souligne Brahim El Mezned dans L’Anthologie “Rrways, Voyage dans l’univers des poètes chanteurs itinérants amazighes” “l’âge d’or de Tirruysa”. Le chemin est ensuite emprunté par d’autres étoiles de la musique amazighe, à l’instar de Fatima Thihit Sghira et Raïssa Fatima Tabaârmrant qui jouent un rôle incontestable dans le développement du phénomène des Raïssates et la valorisation des chants et de la musique amazighe.

Des pionnières célèbres

Dépositaire d’un patrimoine séculaire, les Raïssates transmettent de génération en génération un savoir-faire musical et poétique. Et si au tout début, elles devaient se contenter de compléter, en chœur, les phrases mélodiques du Rays, elles ont réussi à imposer le droit de porter avec panache la poésie rythmique amazighe sur la scène, envoutant par leurs voix et leurs célèbres joutes verbales, le public. “Certaines Raïssates ont ainsi gagné une grande popularité en interprétant, en solo, des compositions écrites parfois par leurs homologues masculins”, explique l’auteur de L’Anthologie “Rrways, Voyage dans l’univers des poètes chanteurs itinérants amazighes”.

De plus, ces Raïssates, grâce à leur sensibilité féminine, apportent une incroyable touche aux chants. “Si les poètes craignent d’exposer leur fragilité au cours de leurs déclarations amoureuses, leurs pendants féminins osent davantage mettre en avant leur fougue et leurs désirs. Les femmes ont créé la part la plus spontanée et indisciplinée dans l’expression des sentiments”, peut-on lire dans l’Anthologie.

Les grandes fêtes, les célébrations et les festivals sont les rendez-vous privilégiés pour la parole précieuse des Raïssates. C’est dans ce sens que depuis plusieurs années, le Festival Timitar consacre des hommages aux Raïssates, considérées, à juste titre, comme les gardiennes de la musique amazighe. “Les chants des femmes amazighes racontent la vie quotidienne et, en filigrane, leur engagement pour imposer sur la scène l’héritage légué par leurs mères”, rappelle à cet égard Brahim El Mezned.

L’anthologie consacrée aux Rrways et publiée tout récemment liste une douzaine de Raïssates dont des pionnières, mais aussi de jeunes artistes décidées à reprendre le flambeau, et à porter haut et fort la parole des Rrways. “La présence féminine est marquée par plusieurs figures historiquement parlantes, telles Rkiya Damssiriya et Fatima Tihihit, et aujourd’hui, Tabaâmrat… Ces artistes ne représentent malheureusement que 20% de la communauté”, constate Brahim El Mezned.

Aussi, et pour préserver et perpétuer la tradition de Tirruysa et sa féminisation grâce aux Tarrwaysin, la transmission est essentielle. Une mission que les Raïssates connues et reconnues peuvent perpétuer, non pas à la manière traditionnelle, mais comme le maillon fort d’une stratégie de sauvegarde d’un patrimoine culturel immatériel.

Des étoiles au firmament

Aux côtés de Rkia Talbensirt, considérée comme la plus belle voix de la planète Rrwayes, Fatima Tihihit Mzzin ou encore Fatima Tihihit Titrit, célèbres pour leurs joutes verbales, trône en bonne place Raïssa Fatima Tabâamranet, passée maître dans l’art de jouer avec les vers et les métaphores. En effet, et à la différence des autres Raïssates, Tabâamrane écrit elle-même les poèmes qu’elle chante. De plus, les sujets abordés vont à contrario des thèmes habituels et tolérés par les traditions amazighes. Poétesse engagée, la Raïssa chante très peu l’amour, et surtout les maux de la société, et dénonce le chômage des jeunes, le conservatisme, l’obscurantisme, la bigoterie et l’analphabétisme…

Autres noms mis en avant dans cette anthologie, on retrouve Raïssa Mina Tawirit qui a également démarré sa carrière à l’âge de 13 ans, la Raïssa Mina Tabaamrant présentée comme une artiste atypique et une des rares instrumentalistes actuelles de la musique amazighe ou encore Aïcha Tachinwit. Cette dernière est célèbre pour ses danses et ses déhanchés inimitable et son sens de la sensualité qui en font, comme le rappelle l’Anthologie de Brahim EL Mezned, la favorite des Rrways.

Depuis le milieu des années 90, d’autres Raïssates, à l’instar de Raïssa Naïma, plus connue sous le nom de Raïssa Tisslatine ou encore Naïma Bent Oudaden, nom sous lequel elle a réalisé une grande partie de sa carrière, qui “s’est imposée par une grande maîtrise de l’art des Rrways et son talent à lui apporter une touche moderne et originale, tout particulièrement sur le plan chorégraphique”. En 2016, Zahra Yassine qui a démarré sa carrière en remportant plusieurs prix, marque de sa présence la planète des Rrways. C’est le cas également de Keltouma Tamazight qui se fait remarquer dès 2014 grâce à sa “talentueuse interprétation d’œuvres de Rrways immortels”, lit-on dans l’Anthologie.

La relève est-elle pour autant assurée? “Le conservatisme pousse les gens à ne pas poursuivre ces traditions, surtout dans le milieu urbain. Le rôle joué par ces chanteuses interprètes d’un riche patrimoine est capital pour la musique de la région du Souss ”, estime Brahim El Mezned. Aussi, et grâce à l’implication de quelques irréductibles, l’art de Tarrwaysin pourrait espérer encore de beaux jours devant lui. 

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Un ouvrage de référence

Deux années de travaux de recherche et des centaines d’heures d’enregistrement, de mixage et de mastering ont donné naissance à l’Anthologie “Rrways, Voyage dans l’univers des poètes chanteurs itinérants amazighes”. Porté par Brahim El Mezned, l’ouvrage se présente sous la forme d’un coffret de 10 albums réunissant une sélection de 100 titres enregistrés par plus de 80 artistes, au studio Hiba à Casablanca. Ils sont accompagnés de 3 livrets de 120 pages, en arabe, français et anglais. Née de la volonté de préserver et valoriser cette part majeure du patrimoine immatériel du Maroc, tout en lui redonnant la place qu’il mérite, “l’Anthologie est un hommage aux Tarrwaysin et aux Rrways, trésors humains vivants, ainsi qu’à toutes les personnes qui continuent de perpétuer cette tradition artistique qui fait partie intégrante de notre patrimoine musical national.”

Disponible sur librairie.ma, au Carrefour des livres, et dans différentes librairies à Casablanca, Rabat et Agadir.

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