Halte à la rivalité l’école !

Vaut-il mieux favoriser la coopération ou la compétition ? Faut-il apprendre aux enfants à se battre pour affronter la vie ou pour écraser les autres ? À vouloir mettre la barre trop haut, à trop exiger, on n’œuvre pas forcément à leur bonheur. L’esprit de compétition est à manier avec modération.

Othmane, comme tous les soirs après l’école, pose son cartable sur la table et annonce fièrement son 14 en maths : “C’est bien,  non ?”, lance-t-il à sa mère  “Oui, c’est bien mais…” La question lui brûle les lèvres : “Est-ce  la meilleure note ?” Une question équivoque qu’on ne peut pourtant pas s’empêcher de poser. Moyen d’évaluer notre enfant en le comparant aux autres sûrement, mais aussi, et c’est plus insidieux, de lui suggérer qu’il aurait pu faire mieux. Ainsi distillons-nous subrepticement dans la vie de nos enfants ce parfum de concurrence, quand nous ne les plaçons pas carrément en situation de compétition maximum, l’horizon fixé sur l’éternelle comparaison entre leur moyenne en maths et celle  du copain.

Esprit de compétition, es-tu là ?

“Bien sûr que ça fait avancer et qu’on a besoin dans la vie d’avoir cet esprit-là, lance Raouf, chef d’entreprise et père de deux collégiens. Tous les jours, nous y sommes confrontés sur le terrain. Si je ne suis pas le meilleur, le plus battant, le plus compétitif, je n’emporte le pas le marché. Et mes enfants le savent pertinemment : ils remarquent que je suis en permanence dans la recherche du meilleur de moi-même et que rien ne me tombe jamais tout cuit dans le bec.” Sans aucune gêne, il avoue avoir choisi avec sa femme “les établissements les plus cotés, les plus sélectifs, pour que ses enfants apprennent à se battre”. “Tout le monde a besoin de repères, explique une maman  de deux petites filles de 8 et 11 ans, elles comme moi. C’est un moyen de savoir où elles en sont dans leur travail, leurs progrès, de leur fixer des objectifs à leur mesure. ‘Tu as eu la moyenne hier, c’est bien, mais beaucoup l’ont eue dans ta classe, cela prouve que l’exercice n’était pas trop difficile. Alors essaie de dépasser maintenant la moyenne.’ Voilà ce que je dis à mon aînée, et c’est tout ce que je lui demande.”

Besoin de s’évaluer par rapport aux autres pour progresser et donner le meilleur de soi-même. Soit. C’est très bien ainsi, tant qu’il n’est question que de se surpasser soi-même et non de laisser les autres loin derrière. Faire de l’esprit de compétition un moteur et non une valeur en soi, toute la question est là. Les enfants incités à ne travailler que pour battre les autres risquent d’être marginalisés, isolés du groupe.

La loi de la jungle

“Faire en sorte que la vie de l’enfant se résume à écraser les autres revient à développer en lui le goût du pouvoir, la volonté de s’exclure du commun des mortels et le mépris des autres”, explique Batoul El Harti, psychiatre. Des cas peu fréquents mais que certains enseignants rencontrent néanmoins. “J’ai eu dans ma classe un petit garçon élevé dans l’idée qu’il devait toujours être le premier partout, en classe, en gym, en toute circonstance. Quand  je donnais des devoirs, il en faisant toujours plus que les autres, évidemment à la demande des parents. C’était ridicule. Quand il ne gagnait pas un jeu collectif dans la cour de récré, il tapait, cognait, ne supportait pas qu’on lui ravisse son statut de leader. Il était devenu la terreur de la classe et n’avait qu’un seul but dans sa vie d’écolier : battre les autres, tout le temps. La direction a convoqué les parents. Le père, un haut dirigeant d’entreprise, était ravi qu’il se comporte de la sorte, qu’il “bouscule” ainsi l’école. Il n’osait pas le dire, mais on l’entendait penser tout haut : ‘Au moins, mon fils est un chef !’”, raconte Layla Chtioui, institutrice.

Cet esprit-là n’a rien à voir avec la stimulation créée au sein du groupe par l’enseignant, définie comme règle collective devant s’appliquer à tous les élèves d’une même classe. “Le premier de la classe devient alors celui à qui l’on veut s’identifier, puisqu’il est en quelque sorte celui qui a réalisé l’objectif de toute la classe. Cette compétition peut, par exemple, tout à fait jouer entre les différentes classes d’une même école, ou lors de concours, les lauréats devenant les représentants de leur établissement”, reconnaît Layla Chtioui. Finalement, la seule garantie que cet esprit ne prenne pas des allures de loi de la jungle, c’est peut-être que l’école s’en charge et en fixe les cadres, car elle seule est capable de concilier esprit de compétition et solidarité. À en faire une valeur en soi, on finit par oublier l’objet même de la compétition.

ça passe ou ça casse   

“S’il réussit dans cette lutte acharnée, s’il en a les capacités, sa compensation narcissique sera suffisamment grande pour qu’il ne craque pas et satisfasse ainsi continuellement le désir de ses parents, poursuit le docteur El Harti.  Il ne fera qu’entrer dans le désir de ses parents pour pallier leur propre défaillance. Mais le vrai problème, c’est que ces enfants-là ne seront jamais eux-mêmes. Ils passeront toujours à côté de leur propre vie.” Il arrive aussi que ça casse. Gare à l’angoisse ou à l’ambition démesurée des parents, cause de bien des dérives et des angoisses. Les enfants qui subissent une telle pression peuvent renoncer brutalement, c’est-à-dire se mettre à tout rater, montrant par ce rejet qu’on ne décide pas à leur place. Depuis son  entrée à 14 ans dans le plus prestigieux lycée de la capitale, Imane dort mal, ressent des maux de tête, mais est surtout atteinte d’un phénomène physique étrange : avant chaque cours de maths, ses mains se mettent à transpirer. “Je suis entourée de bêtes de travail, j’ai peur de ne pas être à la hauteur. Surtout, je sais que mes parents attendent que je leur rapporte toujours les meilleures notes.” Un an d’avance, des parents hyper impliqués dans la scolarité de leurs rejetons, Imane est mal à l’aise et regrette son ancien bahut. Ses parents lui ont fixé des objectifs démesurés. Trop lourd à porter : Imane avoue qu’elle a peur de craquer. Brahim, 15 ans, n’est guère mieux loti : à 3 ans, il savait lire, à 6 ans, il faisait du théâtre en anglais, à 10 ans, il entrait en sixième avec obligation parentale d’intégrer les classes de bac international, la meilleure voie pour décrocher un bac avec félicitations du jury. Brahim était premier dans  toutes les matières, sauf en gym. La famille aux revenus modestes vivait au ralenti, faisait le moins de bruit possible pour que Brahim puisse travailler dans les meilleures conditions. Toutes les sorties familiales étaient conditionnées par le programme de l’enfant. Avec la menace de “déshonorer la famille” si, un jour, un autre enfant le dépassait au classement.Brahim a craqué. En troisième, blocage. Désarroi parental total.

Et le plaisir, alors ?   

Reste à savoir si l’esprit de compétition, l’incessante référence aux autres, est la seule et unique pédagogie de l’action. Évidemment non. D’ailleurs, certains enfants sont tout à fait réfractaires à l’idée de compétition. Et puis, ce serait oublier l’argument du plaisir. “J’en ai rien à faire des autres !”, clame volontiers Dounia, 15 ans, quand on oppose les résultats brillants de ses copines aux siens. Peine perdue que d’essayer avec elle la motivation par la comparaison. Une seule chose l’intéresse : le dessin. Elle veut être architecte. “Alors je la stimule par le plaisir, déclare sa mère, et je lui fais prendre conscience de la nécessité de passer par les matières contraignantes pour arriver à atteindre un jour son objectif. C’est tout ce que je peux obtenir d’elle.” Malika, elle, a recours à l’auto-évaluation. “En sport, quand mes enfants courent, sautent en hauteur ou nagent, je leur dis toujours que l’important est d’améliorer leur propre score pour connaître leurs limites, plutôt que d’écraser le voisin, confie cette mère de deux grands gaillards sportifs.” Il nous appartient, en tant que parents, d’aider nos enfants à relativiser les conséquences réelles d’une défaite. Comprendre qu’on ne peut pas toujours être en première place est un apprentissage qui doit se faire tôt dans la vie. Savoir accepter la défaite signifie savoir la transformer en un évènement dont on va tirer une leçon plutôt que de la considérer comme un moment sombre et stérile. La première vraie compétition est d’abord et avant tout celle qu’on se livre à soi-même. 

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