Ghizlaine Chraibi Bons baisers de Fractalie…

Avec ce premier roman, Ghizlaine Chraibi bouleverse les codes du socialement correct. Dans "Un amour fractal", on suit les pérégrinations d'Ito, une héroïne moderne prisonnière d'un mari pervers et manipulateur, jusqu'à sa libération aux forceps de tous les conformismes...

FDM : Qu’exprime le titre “Un amour fractal” ?
Ghizlaine Chraibi : Il s’agit d’un principe mathématique qui consiste à se reproduire à sa propre image et à l’infini ; d’une construction qu’on retrouve dans la nature (ex : les flocons de neige), l’assemblage géométrique de l’art islamique… Je l’ai quant à moi transposé sur le plan amoureux. En effet, une bonne graine, démultipliée à sa propre image, donne un plant merveilleux. Dans le cas contraire, un amour enfermé sur lui-même, dans une perspective pathologique, ne peut mener qu’à l’impasse et à l’enfer.

Comment Ito et Momo Le Bo en sont-ils arrivés à ce simulacre nauséabond de couple ?
Ito et Momo forment un couple issu de la bonne société casablancaise qui a mis les voiles pour s’installer dans le pays du grand froid. Deux enfants vont naître de ce mariage. Au départ, toutes les composantes de la société s’allient pour cautionner cette union, où critères et références se superposent, où toutes les croix ont été cochées sur le cahier des charges… Seulement, une fois expatriés,le garde-fou représenté par les codes sociaux se désagrège et rien ne va plus… Le monsieur change du tout au tout : cette femme qu’il a aimée et épousée car elle était moderne, ouverte et autonome, en vérité, il ne l’assume pas du tout. Du coup, tous les vieux clichés machos se redéploient: interdiction de  sortir, de travailler, de conduire… Il l’isole peu à peu du monde, la dénigre, la balade dans des contradictions permanentes jusqu’à transformer peu à peu sa vie en tragi-comédie. Elle va quant à elle passer par plusieurs stades : de la conciliation pour sauver son couple à la dépression ; puis à la révolte cynique ; et enfin, à la rupture qu’elle va devoir payer au prix fort !

Vous plantez les bases d’un univers surréaliste avec pléthore de références loufoques puisque l’histoire se déroule entre deux contrées imaginaires : la Fractalie et la Banquise…
Le surréalisme, c’est une de mes marottes ; mon auteur préféré étant Boris Vian. Plutôt qu’intellectualiser ma démarche d’écriture et décrire une version classique des rapports hommes-femmes, j’ai préféré  faire appel à un imaginaire nouveau, recelant une part d’émerveillement et de burlesque. Mes mots, je les choisis pour faire jaillir l’émotion. Il m’arrive également de poser sur ma page des mots compliqués que je ne comprends pas entièrement; mais ça permet aussi de faire connaissance, comme on s’aborderait entre parfaits inconnus… C’est donc en laissant s’écouler le flux sans le contrarier que je commue la détresse d’Ito en ironie carnassière, en rage, en humour. Au niveau de la forme, je m’amuse aussi avec le style : haché, par à-coups, trépidant, à l’instar des paroles qui se pressent aux  lèvres et des sentiments qui bouillonnent. Ça donne des parties où j’envoie, où je mitraille, entrecoupées de moments de réflexion et  de synthèse. Ainsi, le lecteur est maintenu en état d’alerte maximale (rires)… Faire sauter la syntaxe, c’est aussi une sorte de métaphore pour fairedisparaître les barrières ! Ces barrières qui maintiennent encore la femme arabo-musulmane dans un moule, fusse-t-il doré ! Ce livre, j’avais besoin de le dérouler comme un cri, en allant jusqu’au bout.

Le jusqu’au-boutisme d’Ito va justement la conduire à faire le choix fortement décrié de la liberté aux dépens de la maternité…
Ito va faire le choix final de rompre son couple et de (re)partir, sans ses enfants ; car elle s’est déjà enfuie une première fois, avec eux, avant d’être rattrapée à la frontière de la Banquise. Plutôt que de dépérir de l’intérieur, elle va donc  mettre fin à son exil personnel, se réapproprier son identité. Elle dit : “J’abandonne ma maternité comme je laisserais tomber une deuxième nationalité ; mais je n’abandonne pas mes enfants.” Mère, donc, envers et contre tout,même si elle a dû sacrifier la chair de sa chair pour sauver sa peau. Il est clair qu’à travers le personnage d’Ito, j’explose un tabou de taille ; car quelle que soit l’étenduedu désastre conjugal, certaines femmes restent à cause des enfants et se résignent à vivre en marge d’elles-mêmes. Et quand il y en a une qui ose braver l’ordre social tacite, elle est pointée du doigt comme une mère indigne et sans coeur. Moi, je pose la question : ces enfants seront-ils plus équilibrés en ayant une mère morte à côté d’eux ; ou une mère vivante, loin d’eux, quitte à la revoir régulièrement ? Cela dit, je ne juge personne. Chacune décide en son âme et conscience et en fonction de ses possibilités.

Vous soulevez également un autre point crucial : celui de la transmission mère-fille par le biais de l’éducation familiale.
Oui, malheureusement, les schémas délétères se répètent de génération en génération et souvent, les femmes sont les premières responsables de cet état de fait. Elles éduquent leurs filles à leur image et ne leur donnent pas les  armes pour affirmer leur individualité face au poids de la communauté.Mon livre est le roman de la rupture. Rupture d’un mariage. Du silence. D’un bonheur préfabriqué basé sur les apparences et le confort du matériel, incitant à toutes les lâchetés. D’un schéma d’éducation qui impose à la femme de subir son sort sans broncher. Sans parler des mères réactionnaires qui transforment leurs fils en petits machos tyranniques !

Malgré les acquis sociaux, la femme n’aurait pas encore vraiment fait son printemps arabe, selon vous ?
Nos petites prises de pouvoir et notre supposé statut de femme moderne restent un leurre. Il faut bien comprendre que la modernité, ce n’est pas se glisser dans un pantalon moulant et arborer une montre hors de prix… mais faire ses propres choix de vie, ne pas répéter des modèles qui nous pèsent, et arrêter de composer en permanence pour la galerie. De toute façon, tant qu’on ne sera pas arrivés à une égalité face à l’héritage, le décalage persistera et l’homme  continuera de s’accrocher à ses privilèges de mâle et nous, à grappiller, au mieux, quelques miettes d’émancipation.

Vous êtes artiste peintre à la base. Pensezvous que l’art et l’écriture sont une manière de transcender ses névroses ?
Oui. On a tout loisir de s’inventer des univers, sortir de son quotidien réducteur et replonger en soi, en quête de sa partie charnelle et intuitive. Quand j’écris, je me ressens verticale, c’est-à-dire alignée et authentique avec moi-même. Pour ce qui est de l’expressionnisme abstrait, mon style de peinture, à savoir la peinture au couteau, s’appuie sur une gestuelle du  hasard instinctive : mes couleurs se placent de manière rythmée, comme les mots, pour tenter de donner du sens à ce qui, quelquefois, n’en a pas…

Fouad Laroui qui écrit la préface de votre roman, c’est une fierté pour vous ?
Et comment ! D’autant que je ne le connaissais pas du tout auparavant. J’adore le ton de ses romans et les conseils qu’il nous prodigue pour trouver un mari dans “Les dents du topographe” (rires). J’ai alors eu l’idée de lui envoyer mon manuscrit, comme une bouteille à la mer… Pari gagné puisqu’il m’a rédigé une préface très élogieuse !

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