Féminisme islamique La voie de la raison ?

Oxymore pour les uns, combat courageux pour les autres, le féminisme islamique crée le buzz depuis les années 90. De quoi s’agit-il ? Réussira-t-il là où les laïcs ont échoué ? Levée de voile sur une mouvance résolument révolutionnaire.

Les féministes islamiques disent se démarquer à la fois des islamistes fondamentalistes et des féministes modernistes laïcs. Car pour les premiers, les droits de l’Homme s’opposent rigoureusement à ce qu’ils appellent les droits de Dieu. Quant aux seconds, ils n’envisagent le féminisme qu’à travers une seule voie : celle de la redéfinition de la place de l’islam dans l’état et la société et de l’observation des droits de l’Homme comme référentiel de base pour toute législation, tels que spécifiés dans la charte.

Entre ces deux propositions, les féministes islamiques proposent une égalité venue d’en haut, adossée aux principes fondamentaux du Coran. Ils (car dans le lot, la gente masculine est également représentée) s’emploient à déconstruire les interprétations données au texte sacré par la branche des religieux extrémistes.

Opérer une telle déconstruction, pour l’écrasante majorité des laïcs, relève de la quadrature du cercle. Pour ces derniers – qui comptent dans leurs rangs un grand nombre de musulmans pratiquants, hommes et femmes – il n’existe pas de troisième voie : ou bien on met en application la loi islamique traditionnelle ou bien on la bannit de la vie publique et on établit un état séculier.

Réformer de l’intérieur, mission (im) possible ?

Le féminisme islamique se revendique d’une approche qui s’articule autour de trois axes. Le premier consiste à revisiter les versets du Coran pour corriger les interprétations biaisées qui consolident l’idée de supériorité de l’homme sur la femme. Le second s’attèle à dénombrer et à mettre l’emphase sur les versets portant sur l’égalité homme-femme. Le troisième se donne pour mission de déconstruire les versets portant sur la différence entre les sexes et qui ont été “instrumentalisés” de façon à argumenter et à justifier la domination masculine.

Les féministes islamiques crient haut et fort, sur la toile principalement, en anglais essentiellement, leur refus des normes misogynes qui régissent les sociétés musulmanes au nom de l’islam. Leurs revendications sont hardies : ils dénoncent les tutelles juridiques imposées aux femmes, revendiquent le droit pour ces dernières à mener des prières, le droit au divorce, le droit égalitaire à l’héritage. Le féminisme islamique ne connaît pas de frontière : partout dans les pays arabes, africains, européens, en Amérique du Nord, des individus montent aux créneaux pour dénoncer des discriminations que nombre de gens croient le fait du texte sacré et donc immuables. Ces militants d’un nouveau genre sont décriés sur leur droite et sur leur gauche. Car les féministes modernistes ne croient pas en leur combat, arqueboutés qu’ils sont sur l’idée que l’islam ne peut être qu’oppresseur. Certains intellectuels laïcs assimilent la mouvance féministe islamique à “une aberration ou un non objet scientifique”.

à leur droite, les traditionnalistes ne les prennent pas non plus au sérieux, car les féministes ne peuvent être que des agents de l’Occident. Au Maroc, la figure de proue de cette mouvance, Asma Lamrabet, qui refuse de se voir coller l’étiquette de féministe islamique, se dit consciente du fait que le combat n’en est qu’à son commencement. Elle croit possible une conscientisation des oulémas et voudrait les impliquer sans qu’ils se braquent. Utopique? Asma Lamrabet est convaincue qu’il n’y a pas d’autre alternative que de proposer un partenariat avec l’institution religieuse pour ouvrir un vrai débat.

La cohabitation entre militantes féministes laïques et féministes islamiques serait-elle possible ? Le débat mérite d’être approfondi. En tout cas, face à une demande islamiste totalitaire qui émerge un peu partout, profitant des libertés arrachées par les militants du printemps arabe, toutes les bonnes volontés modernistes qui hissent haut le drapeau des droits universels de la personne sont les bienvenues.

[mks_pullquote align= »left » width= »600″ size= »16″ bg_color= »#dd9933″ txt_color= »#ffffff »]Le patriarcat relève du shirk

Ainsi s’exprime Amina Wadud, Américaine d’ascendance amazigho-africaine, convertie à l’islam, professeure d’études islamiques à l’université du Commonwealth de Virginie. En mars 2005, Amina Wadud avait fait sensation en dirigeant la prière du vendredi devant une assemblée mixte, contestant ainsi de manière spectaculaire que l’imamat (fonction de l’imam) soit exclusivement masculin. Amina Wadud réfute de voir dans le Coran un texte définitif.

Pour elle, “le Coran est une parole en cours” sujette à discussion, contestation voire opposition.

D’après cette chercheuse réformiste, si le Coran met de façon constante l’accent sur la paire homme/femme (al mouminounes wa al mouminates, assalihounes wa assalihates), c’est pour démontrer avec force qu’hommes et femmes doivent être les bénéficiaires égaux des lois et des politiques émanant des enseignements coraniques. Ces lois doivent être élaborées par eux sans que la notion de sexe ne conditionne cette élaboration. Le seul impératif est la probité morale (la taqwa) et non le sexe. Le patriarcat, en niant l’égalité entre les créatures d’Allah et en instaurant la supériorité et la domination de l’homme, est par conséquent du shirk puisque qu’il viole l’unité divine.

Le féminisme islamique prétend être encore plus radical que les féminismes séculiers qui admettent la notion de complémentarité de genre et non d’égalité dans la sphère familiale. Il met en place une doctrine islamique de totale égalité hommes/femmes transversale au spectre public/privé.
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Point de vue de Mehdi Alioua,

Sociologue, enseignant-chercheur permanent à l’Université internationale de Rabat (UIR, Sciences-Po Rabat) et associé au Centre Jacques Berque.

mehdi-aliouaégalité universelle pour les uns, droits aux particularismes pour les autres ?

“La lutte des catégories  dites subalternes (femmes, ouvriers, handicapés, étrangers et minorités ethniques) pour obtenir l’égalité des droits, puis l’égalité dite réelle , s’inscrit dans un processus à dimension universaliste où l’avancée des uns profite à l’ensemble de la société. De ce point de vue, les mouvements féministes, à l’instar des mouvements ouvriers, ont permis de faire progresser l’ensemble des droits dans les pays où ils ont gagné des batailles politiques : c’est un principe fondamental de la démocratie. Cette conception de l’égalité des sexes, qui est une condition préalable indispensable à l’égalité universelle et aux luttes contre toutes formes de discriminations (discriminations auxquelles sont très sensibles nos concitoyennes et nos concitoyens), ne peut pas être “musulmane”, “chrétienne” ou “occidentale” : elle ne peut être qu’universelle. C’est pour cela que l’on nomme “progressistes” les idées politiques ou les partis qui revendiquent l’égalité universelle ; et cela les sépare radicalement d’autres conceptions, comme celles du PJD, qui place ses référentiels d’abord dans un particularisme, ici l’islam. N’oublions pas la force avec laquelle le PJD, parti dit “islamiste modéré”, a lutté contre la réforme du Code de la famille, contre le recul de l’âge du mariage des filles de 15 à 18 ans et contre la volonté de rendre quasi-impossible la polygamie dans notre pays.”

Point de vue de Fouad Laroui,

écrivain

FouadLaroui-PhotoOpale“Des féministes islamiques ? Ça me fait penser à l’entrisme, cette tactique qu’appliquaient certains trotskystes dans les années soixante : ils infiltraient les syndicats et les partis politiques pour les changer de l’intérieur. C’est ainsi que le trotskyste Lionel Jospin a si bien infiltré le PS français, qu’il s’est retrouvé Premier ministre et a failli finir président de la République… Souhaitons autant de succès à ces féministes! L’une d’elles finira bien grande muftie d’Arabie saoudite. Mieux : le prochain calife sera peut-être une califette ?”

Point de vue d’Asma Lamrabet

Asma Lamrabet est médecin. Elle est l’auteure de plusieurs articles et ouvrages sur la femme et l’islam. Elle est le porte-drapeau du féminisme islamique marocain dans les sphères internationales.

IMG_1786-ModifierFéminisme islamique : nouvelles voies, nouvelles perspectives ?

“Le féminisme islamique se présente comme une alternative entre une option religieuse traditionnelle rigide et un mimétisme aveugle du modèle occidental érigé comme unique voie de libéralisation possible et imaginable. C’est entre ces deux voies qu’il a fallu en trouver une troisième à même de concilier les privilèges et les acquis de l’une et de l’autre. Il est à préciser que ce féminisme islamique de la troisième voie, tout en se revendiquant comme un courant de penser interne à l’islam, s’inscrit dans une lignée  résolument réformiste et prétend ouvrir ainsi des espaces d’interprétation et d’approche aux textes, novatrices et intelligentes, tout en étant fidèles à l’éthique spirituelle de l’islam. Des femmes musulmanes, à la fois intellectuelles et pratiquantes, vont puiser à la source afin de vérifier par elles-mêmes ce que disent réellement les textes sacrés et tenter de se réapproprier ainsi la citadelle du savoir religieux longtemps monopolisée  par les seuls hommes musulmans. Cette relecture a permis de mettre à nu de nombreuses assertions sexistes, supposées émanant du texte coranique, alors qu’en fait il s’agissait de simples constructions humaines. Il est vrai que certains versets, approchés d’une manière exclusive, peuvent paraître réellement discriminatoires envers les femmes pour celui qui ne prend pas en compte la conception holistique du message coranique. C’est le cas de la polygamie, de l’héritage, du témoignage, du divorce, qui, extraits de leurs contextes respectifs et de l’ensemble du message, vont à travers une lecture statique, symboliser les principaux vecteurs de discrimination envers les femmes. La tendance réformiste a comme principe d’exiger une approche globale, une approche des finalités. Elle se différencie de la lecture par analogie qui est une lecture qui examine le présent exclusivement à l’aune du passé.”

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